Pour qui aurait passé le week-end sur une île déserte, le réveil a du être angoissant ce lundi matin. À en croire la presse française, une catastrophe naturelle de grande ampleur a frappé la France. S’agit-il d’un « séisme » ? d’un « tremblement de terre » ? d’un « raz-de-marée » ? Non, simplement d’une élection démocratique.
Dès l’annonce des résultats, avec un FN largement en tête des élections européennes avec près de 26 % des voix (devant l’UMP à 20,7 % et loin devant le PS à 13,9 %), les éditorialistes ont sorti le grand jeu. Sur les plateaux télé, on a tenté d’expliquer ce résultat par le sempiternel « manque de pédagogie » vis-à-vis de l’Europe… Ainsi, les gens n’auraient « pas compris » les enjeux ; la « colère » l’aurait emporté, etc. À aucun moment il n’est question d’admettre ce résultat pour ce qu’il est : un rejet massif de la construction européenne telle qu’elle est.
Pendant que certains annoncent un « jour sombre pour la démocratie » (qui n’est pourtant, en soit, ni sombre ni lumineuse car impartiale), d’autres, comme Laurent Delahousse sur France 2 posent carrément à leurs invités la question de savoir si « le peuple a toujours raison ? » Diable, pour un peu, on reprenait le cri du cœur d’Élisabeth Badinter à l’époque du traité de Maastricht : « les hommes politiques sont tout de même mieux avertis que le commun des mortels » !
Marc Levy, invité sur le plateau de France 2 on ne sait trop pourquoi, , confiera qu’il est « triste comme tout le monde, ce soir ». À qui s’adresse ce « tout le monde » ? Mystère. Car au vu des résultats, on peut, sans faire preuve d’une particulière audace intellectuelle, imaginer que « tout le monde » n’a pas dû être triste à l’annonce de ce score. Mais peut-être ce « tout le monde » s’appliquait-il à « tout le monde sur le plateau de télévision » ? Peut-être s’appliquait-il à la petite élite médiatique parisienne qui découvre soudain le décalage existant entre elle et le reste de la population ? Certains, comme Franz-Olivier Giesbert, essayent du reste de s’adapter au vent qui tourne. « Moi je fais partie des connards qui ont diabolisé Le Pen », a‑t-il lancé sur le même plateau en guise de mea culpa.
Mais le pire a eu lieu du côté de France 4. Sur le compte Twitter officiel de la chaîne, le « community manager » s’est, semble-t-il, emmêlé les pinceaux avec son compte privé, du moins on l’espère. Ainsi a‑t-on pu lire, après l’annonce des résultats : « Des gens se sont fait massacrer, ont terminés (sic) leurs vies dans la souffrance ou dans des camps. Pour que vous puissiez voter. Bandes de cons. » Un Tweet qui a été aussitôt retiré, mais n’a pas échappé à quelques internautes vigilants.
Après l’incompréhension de la soirée électorale est venu le temps du catastrophisme. Dès l’aube, la presse française a inondé les kiosques de ses couvertures aux allures de lendemain de fin du monde. Pour un peu, on se croyait revenu en 2010 à l’époque de la tragédie en Haïti. Pour le Figaro, c’est un « séisme » (mot lancé par le Premier ministre lui-même), pour Le Parisien, un « big-bang ». À l’international aussi, on évoque un cataclysme. En Italie, pour La Reppublica, il s’est produit un « tremblement de terre en France ». En Espagne, c’est un « raz de marée pour l’extrême-droite en France », selon El Mundo, qui partage son titre avec CNN.
Pour le journal allemand Bild, c’est un « choc électoral en France ». Concernant l’Angleterre, qui a vu également un parti eurosceptique, l’UKIP de Nigel Farage, triompher, le Financial Times y voit une « tempête ».
La presse régionale n’a pas été épargnée par ce mouvement de panique. « Le choc », titre La Dépêche du Midi en évoquant un « séisme politique ». Même titre pour Ouest-France qui précise que l’Ouest « résiste à la vague FN ». Du côté du Journal du Centre, on constate un « vrai raz de… Marine ». La Provence, couvrant une partie du grand sud-est où Jean-Marie Le Pen a été élu avec 29 % des voix, estime que « le FN met le feu ». Pour Le Télégramme, c’est « un tsunami bleu marine ».
Ou comment la presse française fait-elle, à la quasi unanimité et avec l’aide de certains de ses éditorialistes les plus en vue, passer un résultat d’élection des plus prévisibles pour une catastrophe naturelle de grande ampleur…
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