À Nantes, le journal Presse-Océan fête ses 75 ans, sans tambour ni trompette. Malgré un texte triomphant, le journal historique perd au fil des années abonnées, lecteurs et influence. Cannibalisé par Ouest-France, il n’arrive guère à faire vivre ses sensibilités – anti-aéroport quand Ouest-France était à fond pour, pro-réunification bretonne quand Ouest-France glorifie les régions administratives et leurs confortables budgets publicitaires.
Concurrence aiguë
L’an dernier, l’abandon prévu de la rédaction de Saint-Nazaire par Presse-Océan a fait réagir jusqu’à la mairie du premier port breton. Saint-Nazaire ne manque pourtant pas de médias locaux, mais seul Ouest-France semble proche de la municipalité de gauche plurielle actuelle. Le tout nouveau Saint-Nazaire News est plutôt distant, tandis que Saint-Nazaire Infos est tenu depuis des années par Jean-Baptiste Rochard, certes en rupture de ban avec l’UMP locale, mais surtout héritier du gaullisme historique dans la ville. Plus à l’ouest, La Baule + est aussi plutôt marqué à droite – et tient un journal gratuit qui est l’un des plus qualitatifs de France, tout en étant incontournable pour qui veut s’insérer dans l’économie de la Baie.
Indifférent aux difficultés, l’éditorialiste fanfaronne : « depuis sa création, Presse-Océan reste fidèle à ses valeurs : démocratie, République, respect des libertés. Le journal s’inscrit dans le long héritage de la presse en Loire-Atlantique […] mais il ne cesse d’évoluer pour rester au plus près des attentes de ses lecteurs […] en 1979, la couleur dans ses pages, les nouveaux outils informatiques au début des années 1980 ».
Même la cannibalisation progressive par Ouest-France, dénoncée par l’ancien rédac-chef Herv Louboutin qui a tenté sans succès d’imposer son Nouvel Ouest, est repeinte en rose : « avec son intégration au groupe Sipa Ouest-France en 2005, et le lancement du format tabloïd en janvier 2009, Presse-Ocean s’est adapté aux nouveaux rythmes de la métropole nantaise en pleine expansion ». On croirait lire un programme municipal.
Lectorat en berne et silence sur les sujets qui dérangent
Quant au lectorat, pas un mot, l’éditorialiste préfère mentionner « 2 millions de visites chaque mois » sur le site et l’application mobile, ainsi qu’une « communauté de plus de 100.000 personnes suit aujourd’hui les informations de Presse-Océan sur les réseaux sociaux ».
Il y aurait pourtant beaucoup à dire : en dix ans, Presse-Océan a perdu 20.514 exemplaires, soit la moitié de ses lecteurs – et Ouest-France 1 sur 7 (108.000 exemplaires). Par rapport au milieu des années 1980, où Presse-Océan atteignait 80.000 lecteurs en Loire-Atlantique et en Vendée, chaque jour, la déperdition est plus lourde.
Pis, « Presse-Océan a aussi perdu la sensibilité politique qu’il portait à l’origine et qui le soutenait aussi », témoigne un connaisseur de la presse locale à Nantes. « La droite modérée, chrétienne, un peu traditionnelle et affairiste de Louboutin n’existe pour ainsi dire plus. Il reste des bobos de droite, comme Garnier, qui font des scores minables aux élections [8.46% aux européennes, autant que le FN], en partie parce que les électeurs de droite à Nantes préfèrent voter là où ils sont entendus – sur la côte et à la campagne, en partie car leur base électorale est partie chez Macron pour les riches et chez Le Pen pour ceux qui sentent venir leur déclassement, en partie aussi car les gens de la classe moyenne droite-chrétienne sont partis de Nantes et ont été remplacés par des bobos parisiens ».
« Résultat, Presse‑O se cherche une nouvelle niche politique. Un peu gauchiste – à fond pour taper sur les flics lors de l’affaire Steve, emmené par le dessinateur Eric Chalmel, alias Frap. Raté pour eux car c’est leur concurrent direct Breizh Info qui avait raison : vu l’endroit où le corps a été retrouvé, les flics sont hors du coup. Un peu pro-migrants, mais le créneau est déjà pris par Ouest-France. Un peu pro-breton, mais pas trop, c’est mal vu des plus gros annonceurs. Mais sur le seul créneau où ils pourraient se différencier – le traitement de la délinquance qui explose à Nantes, la gestion des collectivités locales PS, ils se taisent, ils font partie du système, de l’omerta. Pas étonnant que leurs lecteurs se détournent ».