Connaissez-vous Nangis ? Un reportage paru dans le numéro de juin du magazine Causeur sur le quotidien de cette ville de Seine-et-Marne a fait couler beaucoup d’encre. Tant le contenu de l’enquête que les réactions qu’elle a suscitée en disent long sur les difficultés à parler de l’islamisation de la société française. Nous revenons sur cette chronique d’un malaise certain, qui aurait pu concerner bien d’autres communes d’une France en voie de transformation démographique accélérée.
Nangis, islam-en-Brie
Nangis est une commune de 8 500 habitants située dans la Brie, une région agricole entre Paris et Provins. Son environnement champêtre ne la prédisposait pas à être sous le feu croisé des médias. C’était sans compter sur un contributeur de la rubrique culturelle du mensuel Causeur, Yannis Ezziadi, qui y a réalisé une enquête de terrain publiée dans le numéro de juin du magazine.
Dans une interview donnée à Sud Radio le 22 juin, Yannis Ezziadi indique à André Bercoff que ce qui l’a amené à faire son enquête est le déclenchement d’émeutes à Nangis pendant quelques nuits, suite à une tentative par les gendarmes d’interpellation d’un jeune de 14 ans qui faisait du rodéo avec sa moto et qui s’est blessé à cette occasion.
La suite est malheureusement prévisible : attaque du commissariat au mortier, de la mairie avec des jets de pierres, plusieurs nuits de « violences urbaines », comme le relatait d’ailleurs 20 Minutes le 26 avril. Suite à ces événements, Yannis Ezziadi a décidé d’aller dans la commune pendant 6 jours pour voir ce qui se passe dans ce « village au milieu des champs ». Il n’a pas été déçu.
Le comédien franco-tunisien présente son enquête dans un article publié sur le site du Figaro le 17 juin comme une « peinture du quotidien des habitants de Nangis, une commune de Seine et Marne marquée par une montée du communautarisme ».
Changement de population et de mœurs
L’article de 7 pages paru dans Causeur permet de donner la parole à des habitants de la commune qui constatent avec effarement le changement de population et des mœurs dans leur ville. Le reporter occasionnel s’est entretenu avec une quarantaine de « Français de souche » habitant la commune. Leurs témoignages sont quasi-unanimes : « je ne reconnais plus mon village », l’impression que « leur mode de vie n’a plus vraiment sa place dans la ville de Nangis ».
Ce qui frappe le plus les « petits blancs » ? « la proportion énorme de femmes voilées, des hommes en djellaba, la halalisation des commerces, l’implantation de la mosquée avec à chaque heure de sortie de prière une proportion d’hommes en djellabas, portant des barbes pour certains, et beaucoup de jeunes (…). Et puis le fait qu’à partir d’une certaine heure le soir, c’est très difficile de croiser une femme dans les rues du centre-ville, on y croise majoritairement des hommes d’origine extra-européenne ».
Lors de l’interview, André Bercoff demande à Yannis Ezziadi la raison pour laquelle il n’a interrogé que des Français de souche, la réponse est rapide : « les gens qui souffrent dans cette ville sont les Français de souche ». Un habitant de Nangis souligne que lors de l’arrivée des premiers maghrébins dans la commune, dans les années 1960, l’accueil des habitants a été bon et le fait qu’il n’y a pas de racisme parmi les habitants. Mais Yannis Ezziadi a constaté lors de son enquête de terrain que non seulement de nombreux habitants de longue date de Nangis vivent très mal un sentiment de « remplacement » de population, mais également qu’ils ont peur et qu’ils s’interdisent de le dire aux musulmans aux mœurs ostentatoires habitant la commune, « Il n’y a pas de discussion, on ne se parle pas, on se côtoie ».
Un pavé dans la mare
Le grand intérêt de l’enquête de terrain de Yannis Ezziadi est d’avoir donné la parole à des habitants qui, à Nangis comme dans bien d’autres endroits en France, ont de plus en plus fréquemment l’impression d’être des étrangers dans leur propre pays. Cette angoisse existentielle, méprisée par le président Macron, qui organise les flux migratoires les plus considérables des dernières décennies, a été décrite notamment par Laurent Bouvet dans un ouvrage publié en 2015 consacré à « l’insécurité culturelle » : « vivre, voir, percevoir ou ressentir le monde ou le voisin comme une gêne ou une menace en raison de sa culture, de différences apparentes ou supposées, qu’il s’agisse par exemple de ses origines ethno-raciales ou de sa religion, voilà ce qui provoque l’insécurité culturelle ».
Mais tant qu’il s’agit de manier les concepts et de les consigner dans un essai, pas de problèmes. Par contre, parler de vrais gens, d’une commune en particulier et donner des exemples précis des raisons pour lesquelles des Français, de plus en plus nombreux, ressentent un malaise sans s’autoriser à l’exprimer autrement que dans le vote, a provoqué à l’occasion de la publication du reportage de Yannis Ezziadi des réactions particulièrement vives. Le reporter d’un jour indique lors de l’interview donnée à Sud Radio que s’il a reçu de nombreux témoignages de confirmation de la véracité de ses propos par des Français de souche, il a également été taxé de raciste (alors qu’il est franco-tunisien) et a reçu des menaces de mort de la part de personnes de la communauté musulmane.
Monographie versus enquête quantitative
Le 8 juin, Jean-Marc Morandini consacrait une émission « live » sur C News au reportage de Yanis Ezziadi à Nangis. Outre son auteur, Gerald Briant, adjoint PCF au maire du 18ème arrondissement de Paris, y était invité. L’occasion pour lui de remettre en question l’enquête au motif que « bien sûr, dans tout ce que vous venez de lire, rien ne repose sur des études, des calculs, des chiffres. C’est simplement le ressenti des personnes que nous avons croisées ».
Comme le souligne Yannis Ezziadi, « quand Aïssa Maiga, qui est comédienne, fait un reportage sur le quotidien des femmes peulhs, ou que Mélanie Laurent, qui est comédienne, fait un reportage sur les problèmes environnementaux, pas de problème, personne ne dis à ces gens, vous êtes des acteurs ».
On peut également souligner le fait que les techniques d’enquête, en particulier dans le domaine sociologique, ne se limitent pas à des études quantitatives. Les enquêtes de terrain qualitatives, au cours desquelles des témoignages sont recueillis, sont également une pratique courante pour essayer de mieux cerner des phénomènes collectifs. Mais de cela, l’élu communiste n’a pas parlé.
Le représentant d’Ensemble condamne le reportage
Le conseiller de Paris « Ensemble » Pierre-Yves Bournazel, était également invité à l’émission Jean-Marc Morandini. Son intervention est importante puisqu’il s’agit d’un élu de la majorité présidentielle. Au lieu de tenter de comprendre les préoccupations de Français de souche, P.-Y. Bournazel accuse Yannis Ezziadi de faire un amalgame entre islam et islamisme. Une façon commode de nier le ressenti de nombreux Français et de botter en touche un problème dont son bord politique porte une lourde responsabilité.
Le reportage de Yannis Ezziadi a plusieurs mérites. Il permet d’illustrer un sentiment d’étrangeté ressenti par de nombreux Français dans des zones de plus en plus nombreuses du territoire. Loin du « vivre ensemble » et du cosmopolitisme qui donnent des étincelles dans les yeux des progressistes qui l’évoquent, le reportage met en lumière des habitants de ce pays qui sont « côte à côte », comme un ancien ministre de l’intérieur le soulignait en 2018. Le récit de Yannis Ezziadi parle à nos tripes, pas à notre intellect à partir de chiffres campés sur un tableau Excel, pour reprendre l’expression d’André Bercoff lors de son émission qui lui était consacré. Cela est suffisamment rare pour être souligné.