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Affaire Griveaux, revue d’une presse tétanisée

24 février 2020

Temps de lecture : 5 minutes
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Affaire Griveaux, revue d’une presse tétanisée

Temps de lecture : 5 minutes

Le 13 février 2020 dans la soirée, la candidature de Benjamin Griveaux à la mairie de Paris a été brutalement balayée. Des vidéos intimes attribuées au candidat de La République en marche circulent sur les réseaux sociaux. Ces images qui dateraient du printemps 2018, adressées à l’origine à une étudiante de 29 ans Alexandra de Taddeo, ont été mises en ligne par le compagnon de la jeune femme, l’activiste russe Piotr Pavlenski. Un homme fantasque qui se justifie par une volonté de « dénoncer l’hypocrisie » de l’ancien porte-parole du gouvernement, qui se présentait selon lui comme un homme marié et un père de famille modèle.

Hésitations premières

Devant cette sit­u­a­tion d’un type rel­a­tive­ment neuf, la presse hésite. Le moins que l’on puisse dire est que, quoique mem­bre de la garde rap­prochée du prési­dent de la République, Ben­jamin Griveaux n’est guère appré­cié pour son car­ac­tère cas­sant et méprisant, même dans les médias proches du pou­voir. Aus­si, nom­breux sont ceux qui trou­vent d’une cer­taine façon la leçon bien méritée Selon le Canard enchainé du mer­cre­di 19 févri­er, la pre­mière réac­tion du chef de l’état a été l’exaspération : « Mais quelle con­ner­ie ! Com­ment a‑t-il pu faire ça ? Il y a des choses qu’on ne peut plus faire quand on est publique­ment exposé », a lancé en privé le prési­dent de la République. Avant d’ajouter grinçant : « Et cer­taine­ment pas de com­mencer une improb­a­ble car­rière de cinéaste ».

Ancien « DSK boy », Ben­jamin Griveaux fait par­tie de cette meute de jeunes loups qui ont porté Emmanuel Macron au pou­voir dans un Blitzkrieg et qui, par­tant, sem­ble se croire tout per­mis. Son atti­tude lors des émeutes de Gilets jaunes lui avait déjà valu une cer­taine haine du pub­lic. Mais, même à Paris, pour­tant ville bour­geoise et « macro­niste », sa can­di­da­ture ne fai­sait pas l’unanimité, con­cur­rencée par la dis­si­dence de Cédric Vil­lani et lam­inée dans les sondages par la sor­tante Anne Hidal­go et la sur­prenante Rachi­da Dati.

D’un côté les grandes âmes se sont scan­dal­isées, devant la dif­fu­sion de vidéos intimes. Dans Le Point, le vieux mon­sieur Philippe Tes­son s’émeut ain­si des moeurs dépravées de l’âge numérique : « Et que dire de cette autre forme d’in­ci­vil­ité, de cet irre­spect qui gou­verne désor­mais notre âge numérique ? Les vies intimes devi­en­nent des don­nées publiques. Elles tombent dans un espace que l’on croit préservé, mais qui est acces­si­ble, analysé, exploité, traçant nos mou­ve­ments, fil­trant nos mes­sages, exploitant nos images, et qui incite l’in­di­vidu à s’ex­pos­er sans écran, avec une fausse lib­erté. Une société bru­tale et sans foi est en train de s’in­staller, où tous les moyens d’ex­pres­sion se valent, où le pub­lic et le privé se con­fondent, où le respect des formes et l’in­formel se mêlent, où la pro­mo­tion de soi est le seul hori­zon ».

D’un autre côté, l’autre vieux mon­sieur qu’est Serge July, fon­da­teur de Libéra­tion, n’y va de main morte sur LCI : « Quand on est un homme poli­tique, à l’époque des réseaux soci­aux, on fait gaffe. Le mec qui fait pas gaffe, c’est un con, et Griveaux est un con ».

Les réseaux sociaux boucs émissaires

Les médias de grand chemin, eux, ten­tent de met­tre l’affaire sur le dos des réseaux soci­aux, leurs nou­veaux rivaux. Ain­si, « Le débat sur la fin de l’anonymat sur les réseaux soci­aux relancé par le #Griveaux­Gate», titre le quo­ti­di­en gra­tu­it 20 Min­utes le 16 févri­er ; « Réseaux soci­aux et anony­mat, les coupables idéaux épinglés par la Macronie », pointe le Huff­in­g­ton Post sur le même sujet ; «les réseaux soci­aux ont bon dos», note pour sa part L’Opin­ion. La même thé­ma­tique est évidem­ment abor­dée sur les plateaux télévisés, à l’image de ce sujet pro­posé ce 17 févri­er par BFM et inti­t­ulé « Affaire Griveaux : l’anony­mat sur Inter­net en question ».

Solidarité People

La presse peo­ple, elle, emboî­tant le pas de Paris Match qui con­sacre un papi­er fleuve aux couliss­es de l’affaire, prend fait et cause pour le cou­ple Griveaux, admi­ra­tive de son épouse : « “L’urgence, c’était de voir sa femme, Julia Minkows­ki, pour régler la ques­tion avec elle”, assure-t-on. Ensem­ble, Ben­jamin Griveaux et Julia Minkows­ki, par­ents de trois enfants, ont finale­ment décidé d’af­fron­ter la bataille à deux et de faire front. “Julia a été impéri­ale. Un vrai roc”, jure “admi­ra­tive” la porte-parole du gou­verne­ment, Sibeth Ndi­aye, mem­bre de la garde rap­prochée du Prési­dent et proche de Ben­jamin Griveaux. “Ils ont décidé d’affronter la sit­u­a­tion ensem­ble. C’est un cou­ple fort”, ajoute un de ses com­mu­ni­cants. » Tout est à l’avenant sur Clos­er, Purepeo­ple, Gala : le cou­ple devient héroïque et vic­time d’un méchant coup monté.

La presse de gauche, elle, est con­trainte de se désavouer à pro­pos de son ancien totem Piotr Pavlen­s­ki, jusqu’alors mon­tré en exem­ple de résis­tance à l’odieux Pou­tine. Voilà que l’homme se révèle incon­trôlable et capa­ble de détru­ire tout un cha­cun, même dans la douce démoc­ra­tie française.

Au débat sur le cas de Ben­jamin Griveaux lui-même s’est vite sura­joutée une nou­velle affaire, celle de Juan Bran­co, ce jeune auteur et avo­cat ultra-médi­a­tique qui a fait des attaques con­tre la macronie une affaire per­son­nelle. Ain­si, Apolline de Mal­herbe l’interviewant agres­sive­ment sur BFM lui lance-t-elle : « Plus on vous entend, plus on se demande si Piotr Pavlen­sky n’est pas que l’exécutant et vous le manip­u­la­teur ». Bran­co la dénonce au CSA, arguant à juste titre d’une inter­view à charge. L’homme cherche la lumière à tout prix et sem­ble gag­n­er son pari. Le Figaro con­sacre un long papi­er à son cas : ce n’est plus Griveaux et ses vidéos coquines qui font l’actualité, mais les méth­odes de Juan Bran­co, sor­tie de crise rêvée pour une presse qui ne sait que dire devant des révéla­tions qui ne vien­nent pas d’elle, et qu’elle ne sait ni soutenir ni con­damn­er réellement.

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