Le 13 février 2020 dans la soirée, la candidature de Benjamin Griveaux à la mairie de Paris a été brutalement balayée. Des vidéos intimes attribuées au candidat de La République en marche circulent sur les réseaux sociaux. Ces images qui dateraient du printemps 2018, adressées à l’origine à une étudiante de 29 ans Alexandra de Taddeo, ont été mises en ligne par le compagnon de la jeune femme, l’activiste russe Piotr Pavlenski. Un homme fantasque qui se justifie par une volonté de « dénoncer l’hypocrisie » de l’ancien porte-parole du gouvernement, qui se présentait selon lui comme un homme marié et un père de famille modèle.
Hésitations premières
Devant cette situation d’un type relativement neuf, la presse hésite. Le moins que l’on puisse dire est que, quoique membre de la garde rapprochée du président de la République, Benjamin Griveaux n’est guère apprécié pour son caractère cassant et méprisant, même dans les médias proches du pouvoir. Aussi, nombreux sont ceux qui trouvent d’une certaine façon la leçon bien méritée Selon le Canard enchainé du mercredi 19 février, la première réaction du chef de l’état a été l’exaspération : « Mais quelle connerie ! Comment a‑t-il pu faire ça ? Il y a des choses qu’on ne peut plus faire quand on est publiquement exposé », a lancé en privé le président de la République. Avant d’ajouter grinçant : « Et certainement pas de commencer une improbable carrière de cinéaste ».
Ancien « DSK boy », Benjamin Griveaux fait partie de cette meute de jeunes loups qui ont porté Emmanuel Macron au pouvoir dans un Blitzkrieg et qui, partant, semble se croire tout permis. Son attitude lors des émeutes de Gilets jaunes lui avait déjà valu une certaine haine du public. Mais, même à Paris, pourtant ville bourgeoise et « macroniste », sa candidature ne faisait pas l’unanimité, concurrencée par la dissidence de Cédric Villani et laminée dans les sondages par la sortante Anne Hidalgo et la surprenante Rachida Dati.
D’un côté les grandes âmes se sont scandalisées, devant la diffusion de vidéos intimes. Dans Le Point, le vieux monsieur Philippe Tesson s’émeut ainsi des moeurs dépravées de l’âge numérique : « Et que dire de cette autre forme d’incivilité, de cet irrespect qui gouverne désormais notre âge numérique ? Les vies intimes deviennent des données publiques. Elles tombent dans un espace que l’on croit préservé, mais qui est accessible, analysé, exploité, traçant nos mouvements, filtrant nos messages, exploitant nos images, et qui incite l’individu à s’exposer sans écran, avec une fausse liberté. Une société brutale et sans foi est en train de s’installer, où tous les moyens d’expression se valent, où le public et le privé se confondent, où le respect des formes et l’informel se mêlent, où la promotion de soi est le seul horizon ».
D’un autre côté, l’autre vieux monsieur qu’est Serge July, fondateur de Libération, n’y va de main morte sur LCI : « Quand on est un homme politique, à l’époque des réseaux sociaux, on fait gaffe. Le mec qui fait pas gaffe, c’est un con, et Griveaux est un con ».
Les réseaux sociaux boucs émissaires
Les médias de grand chemin, eux, tentent de mettre l’affaire sur le dos des réseaux sociaux, leurs nouveaux rivaux. Ainsi, « Le débat sur la fin de l’anonymat sur les réseaux sociaux relancé par le #GriveauxGate», titre le quotidien gratuit 20 Minutes le 16 février ; « Réseaux sociaux et anonymat, les coupables idéaux épinglés par la Macronie », pointe le Huffington Post sur le même sujet ; «les réseaux sociaux ont bon dos», note pour sa part L’Opinion. La même thématique est évidemment abordée sur les plateaux télévisés, à l’image de ce sujet proposé ce 17 février par BFM et intitulé « Affaire Griveaux : l’anonymat sur Internet en question ».
Solidarité People
La presse people, elle, emboîtant le pas de Paris Match qui consacre un papier fleuve aux coulisses de l’affaire, prend fait et cause pour le couple Griveaux, admirative de son épouse : « “L’urgence, c’était de voir sa femme, Julia Minkowski, pour régler la question avec elle”, assure-t-on. Ensemble, Benjamin Griveaux et Julia Minkowski, parents de trois enfants, ont finalement décidé d’affronter la bataille à deux et de faire front. “Julia a été impériale. Un vrai roc”, jure “admirative” la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, membre de la garde rapprochée du Président et proche de Benjamin Griveaux. “Ils ont décidé d’affronter la situation ensemble. C’est un couple fort”, ajoute un de ses communicants. » Tout est à l’avenant sur Closer, Purepeople, Gala : le couple devient héroïque et victime d’un méchant coup monté.
La presse de gauche, elle, est contrainte de se désavouer à propos de son ancien totem Piotr Pavlenski, jusqu’alors montré en exemple de résistance à l’odieux Poutine. Voilà que l’homme se révèle incontrôlable et capable de détruire tout un chacun, même dans la douce démocratie française.
Au débat sur le cas de Benjamin Griveaux lui-même s’est vite surajoutée une nouvelle affaire, celle de Juan Branco, ce jeune auteur et avocat ultra-médiatique qui a fait des attaques contre la macronie une affaire personnelle. Ainsi, Apolline de Malherbe l’interviewant agressivement sur BFM lui lance-t-elle : « Plus on vous entend, plus on se demande si Piotr Pavlensky n’est pas que l’exécutant et vous le manipulateur ». Branco la dénonce au CSA, arguant à juste titre d’une interview à charge. L’homme cherche la lumière à tout prix et semble gagner son pari. Le Figaro consacre un long papier à son cas : ce n’est plus Griveaux et ses vidéos coquines qui font l’actualité, mais les méthodes de Juan Branco, sortie de crise rêvée pour une presse qui ne sait que dire devant des révélations qui ne viennent pas d’elle, et qu’elle ne sait ni soutenir ni condamner réellement.