L’Aisne Nouvelle est une paisible filiale du groupe La Voix du Nord (Rossel). Ce journal qui paraît quatre fois la semaine dans le département du même nom, et dont la DFP atteint péniblement les 17 200 exemplaires, n’est habitué ni des grandes envolées lyriques, ni des engagements tonitruants.
Mais voilà, au deuxième tout des élections départementales de dimanche prochain, l’Aisne peut devenir le premier département français tenu par le FN, qui y a littéralement laminé les autres partis au premier tour de l’élection. Au cœur de cette France des oubliés et de la désindustrialisation, le FN a d’ailleurs pris un canton dès le premier tour, à Vic-sur-Aisne.
L’heure était donc suffisamment grave pour que Samir Heddar, rédacteur en chef du journal, se fende d’un édito vibrant pour exhorter les autres partis à s’unir contre la peste brune. Au diable la neutralité, aux orties l’objectivité, c’est carrément le grand méchant loup qui est aux portes de l’Aisne. Et notre journaliste devient stratège politique : “l’UMP, le PS, le PC et le Front de gauche n’ont qu’une seule question à se poser : faut-il laisser entre les mains du parti de Marine Le Pen l’action sociale, les collèges, les routes, les sports et l’économie ?”
Ce serait très grave en effet de permettre une alternance politique démocratique avec le FN, “sauf à considérer que le Front national est un parti comme les autres”, ce que Samir Heddar évacue de suite. Il veut convaincre ses lecteurs qu’il “reste des différences fondamentales entre la droite et la gauche française, à plus forte raison quand il s’agit de politiques de proximité” tout en exhortant quelques lignes plus loin les partis précités à s’unir contre le FN : “Si les socialistes et la droite française doivent se ressembler, c’est sur le partage des valeurs républicaines et le rejet des idées populistes.” Plus loin il insiste : “les partis républicains ont quelques jours pour s’entendre”.
Car le FN n’est pas qu’un danger pour la République, c’est aussi un loup pour l’Aisne : “Les Axonais ont tellement peur du lendemain qu’ils sont prêts à voir si le loup peut les guider plus efficacement que le berger”. Sans grande subtilité, le vote FN est relié à la peur des campagnes, alors que la crise économique, sociale, sécuritaire très grave que traverse ce département progressivement transformé — y compris par la réforme régionale — en banlieue très éloignée de Paris et de Lille n’est ni vue ni comprise par le journaliste. Journaliste dont on se demande si l’habitude de prendre ses lecteurs pour des moutons n’est pas venue à force de les tondre.