Les médias diffusés principalement via les réseaux sociaux comme Brut, Konbini et autres Vice se multiplient. Mais certains sont accessibles uniquement via les réseaux sociaux comme AJ+ lancé depuis quelques mois en France. AJ+, comme Al Jazeera, la chaine du Qatar. Le Qatar en conflit ouvert avec ses voisins emmenés par l’Arabie saoudite a compris l’importance du soft power via le sport (le PSG et d’autres clubs) ou l’information (Al Jazeera, AJ+).
Un lien discret avec la maison mère
Pour l’internaute moyen, difficile de savoir que AJ+ est la filiale de Al Jazeera. Les identités graphiques et les logos sont différents, il n’y a aucune indication d’un lien entre les deux entités, toutes deux filiales de AJMN, la holding médias de la famille royale qatarie. Le média se présente simplement comme « en ligne pour les générations connectées et ouvertes sur le monde qui traite de façon inclusive les problématiques des sociétés contemporaines ».
Émirat conservateur et combats progressistes
Pour ceux qui ont voyagé au Qatar comme l’auteur de ces lignes, le caractère « progressiste » de l’émirat est difficile à déceler. Les causes à la mode en Europe, des homosexuels, trans, queers, neutres, bisexuels et autres trisexuels ne font pas partie de la culture qatarie, d’un conservatisme musulman assumé. La lutte contre le racisme est peu à l’ordre du jour dans un pays où une très grande partie de la force de travail et la totalité de la domesticité viennent de l’étranger. Et le féminisme ne semble pas avoir effleuré les qataries.
Le visage d’AJ+ est tout autre : écritures inclusives, minorité sexuelles, féminisme de combat, lutte contre le racisme, droits humains, discriminations fondées sur l’accent, le média aurait toute sa place comme sponsor de la Gay pride (pour ceux qui se poseraient la question : non, il n’y a pas de Gay pride au Qatar). A titre anecdotique – coupe du monde de balle au pied oblige – AJ+ s’indigne qu’Antoine Griezman (un des blancs de l’équipe de France, une rareté) ait été choisi pour illustrer une campagne contre le racisme et non pas un joueur noir.
Le pire du P.I.R. et l’ami Tariq
Connaissez vous le PIR ? Il s’agit du Parti des Indigènes de la République, fondé par Houria Bouteljda, une figure à la mode très présente sur les plateaux télévisés et certaines revues féminines. La belle Houria revendique une parole non blanche (imaginez le tollé si un quidam réclamait une « parole non noire »), dénonce l’oppression coloniale, l’islamophobie française (c’est bien connu il y a des centaines d’églises en Arabie Saoudite et au Qatar et aucune mosquée en France). Houria et ses amis sont très présents sur AJ+. De même, AJ+ est très engagé dans la défense de Tariq Ramadan, présenté comme une victime du racisme anti-musulman.
Voile musulman et conflit israélo-palestinien
Entre la célébration du « hijab cosplay » où des femmes voilées se déguisent en super-héros et célébrations plus ou moins discrètes des bienfaits du voile pour les filles, la chaine publie plusieurs vidéos quotidiennes sur les violences que subissent les Palestiniens (rappelons que le Qatar est un des fermes soutiens de Frères Musulmans).
Au total AJ+ se présente habilement comme le défenseur des intérêts du Qatar : soutien aux islamistes choyés par l’émirat (Frères musulmans, le mouvement Hamas), défense des minorités à l’extérieur (indifférence polie ou hostilité à l’intérieur), critique implicite ou explicite de l’Arabie Saoudite et… absence d’informations sur le Qatar lui-même. Une ligne politique nette et qui cache ses objectifs sous les oripeaux d’un anti racisme de bazar.
Cet article doit l’essentiel de ses informations à un excellent papier de Hadrien Mathoux publié dans la version en ligne de Marianne le 25 avril 2018.