Vendredi 15 février, le journal Libération publiait le portrait d’un photographe de presse, Alain Buu, dont la situation est bien révélatrice de la crise que traverse le monde du photojournalisme.
Car s’il a connu les guerres et les bombes, c’est bien cette crise qui, aujourd’hui, l’oblige à travailler dans des conditions précaires. Autrefois globe-trotteur infatigable, il a dû, il y a peu, quitter l’agence Gamma qui ne l’envoyait plus en mission à l’étranger. Désormais 80 % de ses contrats sont des commandes d’entreprise, des « corporates ». « Des centaines de photographes sont dans mon cas », affirme-t-il avant de confesser qu’il travaille souvent à perte depuis des années : « Il y a trois ans, je suis allé suivre la guerre au Tchad. Cela m’a coûté 5 000 à 6 000 euros, dépensés en pure perte car je n’ai pas vendu de photos. »
Pour la révolution égyptienne, il a doublé son investissement (1 500 euros pour les billets d’avion et la vie sur place), « mais cela reste exceptionnel ». Sans investissement, pas de déplacement. Sans déplacement, pas de revenus. La situation des photojournalistes est plus qu’une impasse. Ainsi n’a‑t-il pas pu, récemment, se rendre en Libye et en Syrie. « Avant, c’était différent : l’agence prenait en charge la moitié des frais et se rétribuait avec la moitié des ventes de photos », rappelle-t-il. Des propos confirmés par Marc Roussel, autre photographe très au fait de ces questions : « En quinze ans, le nombre de commandes fermes a été divisé par trois, la valeur marchande d’un reportage par deux et le temps qu’il faut y consacrer ne cesse de s’accroître avec le travail de postproduction numérique. Ce qu’autrefois le laboratoire — et donc le journal — assumait, c’est aujourd’hui le photographe qui le supporte sans contrepartie financière. »
Alain Mingam, ancien patron de Gamma, évoque « la pudeur et le silence complice, car obligé, des photographes qui n’avouent qu’en privé l’état déplorable de leurs revenus et le traitement de leurs images, recadrées sous l’effet d’une “illustrationnite” aiguë. » Selon ce dernier, pour survivre, les photographes se dirigeraient désormais « vers les festivals, fondations, galeries, musées devenus les refuges nobles ou le “Samu obligé” d’une photo de presse malade, car trop mal exploitée dans ses supports d’origine. »
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Source : PAJ www.paj-photographe-auteur-journaliste.org