Nous reprenons une partie d’un entretien de Junge Freiheit du 8 mars 2021 sur une fondation allemande qui entend réécrire l’histoire de la RDA sous un prisme politiquement correct. Nous laissons à la sagacité de nos lecteurs de trouver de semblables exemples en France. Certains intertitres sont de notre rédaction. Jörg Drieselmann, né à Erfurt en 1955 a été arrêté en 1974 pour une manifestation publique contre le mur de Berlin et condamné à quatre ans de prison. Il est directeur du musée de la Stasi depuis 1992.
Bon ton politique
La Fondation Amadeu Antonio donne désormais souvent le ton en politique et dans les médias allemands en matière d’extrémisme. Jörg Drieselmann, directeur du Musée de la Stasi (n.d.t. : Services de la sûreté de l’État de l’ex-RDA) à Berlin, met en garde : cette fondation promeut l’idéologisation et la diabolisation.
JF : Monsieur Drieselmann, selon le journal Welt am Sonntag, la Fondation Amadeu Antonio veut réécrire l’histoire de la RDA. Cela vous surprend-il ?
Jörg Drieselmann : Non. Toute discipline scientifique, y compris l’histoire, procède d’un dialogue sans fin, qui devrait être multilatéral et ouvert, dans le respect de la vérité. La discussion est ouverte à tous, y compris à la Fondation Amadeu Antonio.
JF : «Multilatéral», «ouvert». Peut-on s’attendre à cela de la part de cette fondation ?
Jörg Drieselmann : Non. Mais ce n’est pas obligatoire car le traitement de l’histoire contemporaine n’est jamais uniquement l’affaire des historiens. C’est un processus social auquel participent différentes personnes, y compris des institutions politiques. Ce débat doit être polyphonique. Par conséquent, Anetta Kahanes, présidente de la fondation, a son mot à dire. Même si, personnellement, je ne souhaite pas recevoir de leçons sur la RDA d’une ancienne employée (non officielle) de ses Services de la sûreté.
JF : Donc, aucun problème et inutile de s’affoler ?
Jörg Drieselmann : Non, pour la troisième fois. Parce que cette fondation veut faire de la dictature nazie l’unique cheville ouvrière de l’histoire contemporaine, et de la RDA le résultat du national-socialisme. D’une part, c’est trivial, car tout dans l’histoire est lié à tout le reste. Par ailleurs, la connaissance de la complexité des relations entre les causes et les effets en histoire devrait nous empêcher d’établir une telle causalité. Cela ferait d’Hitler, au lieu de Staline, le père fondateur de la RDA. Je pense que c’est extrêmement audacieux.
Les « bons » et les « mauvais » sont devenus la « gauche » et la « droite ».
JF : Dans quel but ?
Jörg Drieselmann : La dichotomie du bon contre le mauvais sur laquelle se fonde la pensée totalitaire –nous sommes bons, les autres sont mauvais- a été remplacée par celle de la Gauche contre la Droite. Goebbels considérait le NSDAP comme la «gauche allemande» et Staline appelait la sociale-démocratie le «jumeau du fascisme». Ceux qui font de la politique aiment justifier leurs actes par l’histoire.
Le but est de prouver que la droite est responsable de tous les maux de l’histoire, tandis que la gauche résiste. Et qui est « de droite » est aujourd’hui déterminé par des organisations comme cette fondation. Afin de ne pas avoir à traiter objectivement ceux qui critiquent, on les catalogue comme «de droite», «populistes de droite» ou même «d’extrême droite». La Fondation Amadeu Antonio accentue la polarisation de la société au lieu de la surmonter.
“Financement par subventions et grande influence politique”
JF : Beaucoup oeuvrent déjà à cette diabolisation ; la Fondation Amadeu Antonio est-elle donc si importante ?
Jörg Drieselmann : En fait, avec ses trente employés, elle est insignifiante. Mais peu de fondations reçoivent des subventions aussi élevées. Grâce à celles-ci, la fondation soutient à son tour environ un millier d’autres projets de la société civile. De plus, elle possède une grande influence politique ; des personnalités politiques et les médias prennent souvent conseil auprès de ses représentants et les invitent à faire des apparitions publiques.
JF : Comment cette fondation, insignifiante lors de sa création en 1998, a‑t-elle réussi à jouer un rôle aussi important ?
Jörg Drieselmann : Elle est arrivée au bon moment et a su profiter de l’air du temps. C’est aussi grâce à Anetta Kahane, professionnelle des réseaux, qui dirige son association d’une main ferme. Et enfin, parce que la fondation fournit ce qui est souhaité, en cataloguant ceux qui critiquent le gouvernement comme « de droite ». C’est rentable pour les deux parties : les politiques n’ont plus à se confronter aux arguments de la «droite» et la fondation peut compter sur de généreuses subventions pour l’avenir. Le téléspectateur ou le lecteur, quant à lui, a l’impression que le journaliste a pris l’avis d’experts indépendants.
Soutiens financiers du monde libéral libertaire
JF : Ce serait la tâche des médias de remettre en question la fondation comme celle des politiques d’examiner sa fidélité à la constitution ainsi que les soutiens financiers qu’elle reçoit. Pourquoi n’est-ce-pas le cas ?
Jörg Drieselmann : Il y a eu quelques tentatives ; par exemple en 2011 : le ministre de la Famille, appartenant à la CDU, a rendu le subventionnement dépendant d’une adhésion explicite à l’ordre démocratique libéral. Cela n’a pas duré. En outre, il n’y a pratiquement plus de différences entre les partis établis. La politique du genre et le «revirement énergétique» sont plus importants pour le SPD, l’ancien parti des travailleurs, que le sort des bas salaires. La CDU, autrefois un parti conservateur, n’est plus qu’une association électorale pour les femmes candidates au poste de chancelier. Et le FDP (n.d.t. : parti libéral) suit l’air du temps et a complètement perdu de vue ses valeurs fondamentales, sa liberté et la primauté du droit. Les Verts et la gauche n’ont pas eu à changer, ils ont toujours été socialistes. On dirait une sorte de «coalition multi-partis» ; toute opposition à ce bloc est ciblée et montrée comme malhonnête. Et c’est là que la fondation entre en jeu, remplissant sa fonction à ce stade…
“Le noyau de la constitution n’existe plus.”
JF : Sommes-nous donc encore en démocratie alors ?
Jörg Drieselmann : Nous avons des parlements librement élus, ce qui est une caractéristique essentielle de la démocratie. Mais les élections démocratiques ne sont pas tout. Selon la Cour constitutionnelle fédérale, «l’État constitutionnel démocratique» est au cœur de notre Loi fondamentale.Mais ce noyau de notre constitution n’existe plus vraiment…
JF : Si le noyau de l’État de droit n’existe plus, nous ne sommes plus en démocratie et donc sous une dictature ?
Jörg Drieselmann : La question est mal posée. Bien sûr, nous sommes en démocratie, car rien de tout cela ne se produit contre la volonté active des citoyens, qui la soutiennent en ne retirant pas leur confiance aux responsables politiques. La question doit être : l’Allemagne est-elle toujours un État constitutionnel ? C’est exactement ce pour quoi nous avons la constitution : pour qu’elle s’applique !
JF : Est-ce le cas ?
Jörg Drieselmann : À mon avis, l’État de droit est gravement endommagé. Un organe, qui ne figure dans aucune constitution, composé du chancelier et des ministres-présidents (n.d.t. : dirigeants des Länder, entités régionales) prépare, presque à la chaîne, des ordonnances qui interviennent profondément dans les droits fondamentaux, souvent sans la participation des parlements des Länder. Certaines parties du pouvoir exécutif, donc du gouvernement fédéral et de celui des Länder, se sont distanciées du cadre légal en vigueur.
Traduction : AC