Dans son numéro daté du 26 novembre 2020, l’hebdomadaire Le Point pose une question intéressante : « Amazon, Google, Facebook, sommes-nous leurs esclaves ? ». Un titre qui titille assez y regarder de plus près.
La couverture de ce numéro 2518 du Point met en scène Jeff Bezos (Amazon), Sundar Pichai (Google) et Mark Zuckerberg (Facebook), les patrons de ces entreprises. Seuls leurs visages sont visibles, comme tournés vers l’avenir. Un peu à l’image du Mont Rushmore aux Etats-Unis ou encore des bustes des dirigeants soviétiques autrefois. La symbolique : le Progrès en marche.
Pour cet important article intitulé « Sommes-nous leurs esclaves ? », Le Point a mobilisé quatre journalistes. Les accroches ? « Ils règnent sur nos vies en imposant parfois leurs lois » ; « Faut-il les démanteler ? ».
Les Big Tech menacent les démocraties
L’article débute par l’histoire d’un loser, patron d’un restaurant mythique de la Silicon Valley où venaient déjeuner les pionniers du numérique, à commencer par les fondateurs de Google. Il n’a acheté aucune action et le regrette bien. De fait, « Aujourd’hui, les sociétés qu’il a vu naître sont au firmament ». Elles sont cependant critiquées. Pourquoi ? Parce qu’elles « attirent les cerveaux les plus brillants » et qu’elles « déposent des brevets à foison ». Le vrai problème, considère Le Point, est que ces sociétés « sont devenues puissantes, trop puissantes ». Au point de menacer les démocraties. La question se pose alors : faut-ils démanteler ou dépecer ces entreprises en situation de quasi-monopole, au point d’agir maintenant parfois comme des États, passant même des accords directement avec des gouvernements ?
Ce n’est pas gagné : pour Le Point, les trois entreprises sont des « géants indéboulonnables » : « Les Big Tech se sont lancées dans une course en avant que rien ne semble devoir enrayer et qui remet en question la destruction créatrice chère à Schumpeter, selon laquelle un concurrent plus innovant venait remettre en question les situations établies ». L’article évoque Schumpeter, mais aussi l’économiste Bastiat.
De la puissance et de l’abus
Ces entreprises sont sans cesse à la frontière entre position dominante et abus, empêchant l’arrivée de concurrents « par des moyens déloyaux », moyens que l’Union Européenne prétend combattre mais sans jamais y parvenir réellement. Le veut-elle vraiment du reste ? Le Point ne pose pas cette question.
Même action déloyale d’ailleurs quand elle menace de mort le petit commerce. Amazon a ainsi récemment été accusée, en France, d’être une « prédatrice ». L’entreprise répond qu’elle crée des emplois en CDI, permettrait au moins 100 000 emplois de plus dans sa chaîne d’approvisionnement et favoriserait plus de 10 000 entrepreneurs utilisant sa plateforme pour écouler leurs produits. Il est vrai que l’on peut acheter de la viande d’une boucherie de Montélimar ou du cristal. Les commissions prises par Amazon sont cependant de 15 %. Ce n’est pas tout : une enquête pour abus de position dominante menée par la Commission européenne est en cours, réponse attendue en 2021. Pourquoi ? Amazon est accusée de récupérer les données de sa « marketplace » en vue de prendre les positions des entrepreneurs qui y vendent actuellement leurs produits. L’enquête aboutira-t-elle vraiment ?
Le Point insiste : « C’est bien ce service de stockage et d’analyse des données, appelé Amazon Web Services (AWS), qui est la véritable pépite de l’entreprise de Seattle ». AWS a connu une croissance de 37 % en 2020. Elle récupère les données de tout le monde, la SNCF, Ubisoft…
En réalité, rien de cela ne serait possible sans un puissant lobbying auprès de l’Union européenne qui se compte en millions de dollars et une bonne cinquantaine de lobbyistes pour les trois entreprises. Des lobbyistes parfaitement agréés dans un écosystème conçu pour, l’UE, ce sur quoi Le Point n’insiste pas.
Les conquérants du 21e siècle
Ces entreprises rivalisent d’imagination et de volonté de conquête de tous les pouvoirs, même celui de la monnaie. C’est ainsi que Facebook s’active à créer Libra, une cryptomonnaie non « volatile, dégagée du pouvoir des banques centrales et utilisable facilement sur les plateformes WhatsApp (1,5 milliard d’utilisateurs), Messenger (1,3 milliard) et Instagram (1 milliard) ». La monnaie ? Il s’agit du pouvoir régalien des États, pouvoir politique. Bien sûr, des hommes politiques semblent s’y opposer, en paroles au moins, mais de quel pouvoir disposent-ils encore pour le faire ? D’autant que les Big Tech s’attaquent aussi au domaine militaire, à l’image d’Amazon en train de créer le cloud de la CIA.
Ces entreprises ne manquent pas non plus d’imagination pour échapper au contrôle des États dans le domaine de la fiscalité. Il arrive que quelques centaines de millions soient réclamés et obtenus par tel ou tel Etat mais « la partie est loin d’être gagnée ». En effet, les redressements n’ont pas modifié les comportements des trois Big Tech. Leur puissance est telle que l’on voit mal qui pourrait s’y opposer, même si la Chine s’essaie à une loi anti-monopoles. Des exemples ? Google met en service des câbles sous-marins qui traversent le Pacifique et l’Atlantique, en vue de transferts de données « pharaoniques ». Amazon ? Bezos a dévoilé le projet Kuiper : 3200 satellites qui permettront à internet de couvrir la planète entière.
Encadrement des consciences ?
Un véritable encadrement de nos consciences de type totalitaire ? Toutes les quarante secondes, notre attention est sollicitée par une activité liée au numérique. La dépendance aux réseaux sociaux augmente le taux de suicide et l’obéissance, tandis que les Big Tech se passionnent « pour notre santé ». C’est le cas au Royaume-Uni où Amazon est autorisée à accéder aux informations médicales des services publics de santé, de même que Google https://www.ojim.fr/google-veut-gerer-votre-portefeuille-mais-aussi-vos-donnees-medicales/ aux États-Unis. Esclavage ? Si l’on entend une forme de privation de libertés par ce mot, même si cette privation est acceptée en conscience, alors l’accroche du Point semble justifiée. Le dossier de l’hebdomadaire est une très bonne synthèse des problèmes posés, même s’il n’apporte guère de perspectives positives. Pour Le Point, la solution serait entre les mains du président élu aux Etats-Unis, Joe Biden, qui pourrait engager un bras de fer avec les Big Tech. Qui peut y croire alors que Biden a été élu, censures incluses, avec l’appui massif des GAFAM ? ?