La continuité de l’État en France est toujours loin d’être acquise. L’État met France Télévisions au régime sec, et même très sec par rapport au contrat d’objectifs et de moyens (COM) que l’audiovisuel public avait signé pour la période 2016–2020. Ainsi, France Télévisions aura 29,8 millions d’€ de moins en 2018 par rapport à 2017 mais cela correspond à 47,8 millions d’€ de moins que ce qui était prévu.
Dans la foulée, 16 millions d’euros d’investissements sont saqués à Radio France, 1,6 millions d’€ de dotations pour Arte, 1 millions d’euros pour France Média Monde – mais la nouvelle version en espagnol de France 24 est maintenue, idem pour TV5 et l’INA perd 500 000 €. Il reste tout de même pour France Télévisions une dotation de 2,57 milliards d’euros en 2018 pour une masse salariale de 9 750 équivalents temps pleins qui représentent 900 millions d’euros.
Les syndicats redoutaient la rigueur et elle est arrivée : alors qu’un plan de suppression de 500 postes, lancé en juillet 2016, est déjà en cours, France Télévisions va devoir opérer des coupes d’urgence. Elle cherche en effet 20 millions d’euros d’économies en sus de la coupe budgétaire, pour rentrer dans les clous. Une dizaine de millions d’euros pourraient être trouvés sur le mastodonte des frais de fonctionnement (450 millions d’euros).
Et n’aura pas le secours de la publicité après 20 h puisque le gouvernement a refusé le retour de la pub – ce sont donc 80 millions d’euros par an de revenus potentiels qui s’éloignent de France Télévisions. Le gouvernement aura surtout cédé à la pression des chaînes privées alors que le gâteau publicitaire se réduit, grignoté qu’il est par le web. De même la publicité ne reviendra pas dans les programmes pour enfants – encore 15 à 20 millions d’euros de revenus pour l’audiovisuel public qui s’évaporent.
Il ne reste que quelques possibilités à France Télévisions : couper dans les emplois, de 600 à 700, et aller au-devant de graves tempêtes syndicales et politiques, ou tailler dans les programmes (1,4 milliards d’euros). Delphine Ernotte, en marge d’un forum organisé récemment par Télérama, a indiqué qu’elle étudiait la deuxième possibilité « quand le gouvernement nous dit : vous allez devoir faire avec 50 millions en moins, nous allons être contraints de couper dans les programmes, dans la création ».
Or la création devait au contraire bénéficier de 420 millions d’euros par an d’investissements de la part de l’audiovisuel public, selon le COM 2016–2020, contre 400 millions d’euros aujourd’hui. Selon Les Échos, ce sont les sports (200 millions d’euros) et les programmes de flux (jeux, divertissements, pour 400 millions d’euros) qui pourraient devenir la variable d’ajustement – au risque de remettre en péril les objectifs d’audience fixés à l’audiovisuel public. Le départ de Sven Lescuyer, délégué aux sports de France Télévisions, annoncé par la CGC Médias, semble accréditer l’idée selon laquelle le service des sports sera sacrifié aux coupes budgétaires.
Il y aurait pourtant des économies faciles à faire. Ainsi, le logo de France Info, deux points, a coûté 500 000 € ; une étude pour « accompagner, nourrir et construire la réflexion sur l’architecture de marque France Télévisions en formalisant les implications et représentations », réalisée par l’agence Movement, comme le logo, a coûté encore 90 000 € fin 2016 ; à cela s’ajoutent 240 000 € de conseil qui ont conduit France Télévisions à ajouter un point dans le nom des chaînes, sur les bons conseils de l’agence JoosNabhan. Un point d’or pour les communicants !
« Honte » et désarroi : Xavier Couture quitte l’audiovisuel public
Pendant ce temps certaines personnes ne veulent pas laisser leur nom à la devanture d’une déconfiture qui s’annonce puissante. Le numéro 2 de France Télévisions, Xavier Couture, est parti après avoir exprimé sa « honte » devant la médiocrité des grilles de France 2 et faute d’avoir trouvé sa place : « A 66 ans, je ne vais pas me faire chier à un poste où je n’ai pas le pouvoir », assénait-il à Libération cet été. Et pour cause, expliquait TéléObs : « pour son titulaire, c’est mission impossible : il est situé hiérarchiquement au-dessus des patrons de chaînes mais, dans les faits, ce sont bien eux qui ont l’autorité sur leur maison. En un an, Couture n’a rien imposé à personne »
Libération revenait sur le sujet ce 6 novembre : « Face à nous, Couture se désolidarisait totalement de sa collègue du comité exécutif, sur laquelle il désespérait de ne pas avoir l’autorité hiérarchique, et de sa politique éditoriale, qu’il trouvait sans aucune consistance, ni ambition ou originalité. Il disait espérer reprendre les rênes rapidement pour faire évoluer les choses dès le mois de janvier, à la faveur d’un arbitrage de Delphine Ernotte. Mais on sentait bien alors que la rupture était proche ».
Une fois de plus, Delphine Ernotte est dans la tourmente alors que les audiences sont en chute libre, les équilibres budgétaires menacés et qu’elle refuse d’écouter son entourage. Après des cadres de France Télévisions qui se sont lâchés dans les colonnes de Valeurs Actuelles cet été, l’accusant d’ « amateurisme » et de « ne rien comprendre », c’est Frédéric Taddeï qui s’en est pris à elle dans les colonnes du Monde : « Delphine Ernotte, ne connaît rien à la télé et est en train de casser France Télévisions. Xavier Couture, qui travaille à ses côtés, est atterré et tente de lui faire comprendre certaines choses, mais cela paraît compliqué ».
Couture ne sera pas remplacé – France Télévisions économisera ainsi son salaire, plus de 10 000 € par mois. Cependant l’audiovisuel public le paiera jusqu’en janvier prochain, le temps d’assurer la transition… et de continuer à prêter le flanc aux critiques. Le Canard Enchaîné a ainsi révélé que depuis le 28 juin dernier Xavier Couture est directeur général d’une start-up de Londres, Sportzap, dont il possède 14% des parts sociales. L’objectif est de monter un réseau social pour les sportifs ; Bernard Laporte, Denis Charvet et Jean-Luc Berlot en sont les trois autres cofondateurs. Or pour Xavier Couture, c’est en contradiction évidente avec l’obligation de l’exclusivité de collaboration – à savoir « l’interdiction pour chaque salarié d’exercer une activité lucrative, salariée ou non, hors de l’entreprise qui l’emploie » telle qu’elle est définie dans l’accord d’entreprise de France Télévisions, rappelle la CGC Médias.
Il ne manquait plus qu’un scandale de harcèlement moral et sexuel !
On l’a compris, l’ambiance à France Télévisions est pourrie. Et pour ne rien arranger un de ses anciens pontes, Éric Monier – il dirige aujourd’hui la rédaction de LCI – a été attaqué pour harcèlement moral et sexuel par une journaliste politique, Anne Saurat Dubois. Treize autres journalistes, dont douze femmes, qui ont travaillé sous ses ordres témoignent (de façon anonyme) ses dérives sexistes et ses allusions lourdes à Buzzfeed.
France Télévisions se retrouve donc, sans surprise et à retardement, touchée par la vague de déballages et de chasse aux sorcières médiatiques dont l’affaire Harvey Weinstein a été le détonateur. Pourtant Eric Monier avait été écarté en 2015 sans faire de scandale, la direction évoquait des « problèmes relationnels et de management » sans faire plus de détails. Le problème, c’est que la direction semble avoir été au courant et a été avertie à plusieurs reprises, selon Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes et ancienne déléguée du SNJ France Télévisions.
Crédit photo : logo France Télévisions. DR