Qui a sonné le tocsin contre le « Manifeste des 343 salauds » ? Mardi dernier, une tribune publiée dans Le Monde éventait le « coup » que le magazine mensuel Causeur d’Élisabeth Lévy avait préparé dans la plus grande discrétion : un « Manifeste des 343 salauds » contre « la pénalisation des clients de prostituées ». Intitulé « Touche pas à ma pute », le texte de la pétition ne devait être publié que le 7 novembre, à la sortie du magazine, mais Anne Zelensky, présidente de la Ligue du droit des femmes, en a décidé autrement.
Alors que les signataires de l’appel, parmi lesquels on trouve l’écrivain et journaliste Frédéric Beigbeder, le chroniqueur, acteur et scénariste Nicolas Bedos – qui s’est courageusement rétracté depuis – , les écrivains Benoît Duteurtre et François Taillandier, le chanteur Antoine, les journalistes du Figaro Eric Zemmour et Ivan Rioufol, ainsi que de nombreuses plumes de Causeur comme Basile de Koch, Marc Cohen ou Jacques de Guillebon, condamnent sans ambiguïté le proxénétisme et l’exploitation sexuelle, leurs contemptrices féministes rivalisent d’indignation et de courroux. Le crime de ces conjurés ? Rejeter la proposition de loi de la députée socialiste Maud Olivier, laquelle prévoit d’infliger de lourdes amendes aux clients afin d’éradiquer l’amour tarifé. La Une du numéro devait initialement détourner le logo historique de SOS Racisme en rose mais, devant les menaces de représailles judiciaires proférées par l’association antiraciste, la rédaction de Causeur a dû reculer pour éviter la saisie avant publication.
« Nous ne défendons pas la prostitution, nous défendons la liberté. Et quand le Parlement se mêle d’édicter des normes sur la sexualité, notre liberté à tous est menacée », clame le manifeste de Causeur, dont on trouve la liste complète des signataires dans l’édition électronique déjà en vente sur Internet. Calqué sur la pétition des 343 femmes en faveur du droit à l’avortement publié en avril 1971 dans Le Nouvel Observateur, le manifeste tonne avec humour : « En matière de prostitution, nous sommes croyants, pratiquants ou agnostiques. Certains d’entre nous sont allés, vont, ou iront aux « putes » – et n’en ont même pas honte (…) Aujourd’hui la prostitution, demain la pornographie : qu’interdira-t-on après-demain ? Nous ne céderons pas aux ligues de vertu qui en veulent aux dames (et aux hommes) de petite vertu. Contre le sexuellement correct, nous entendons vivre en adultes. »
C’en était trop pour la féministe Anne Zelensky, à l’origine de l’appel des 343 d’avril 1971 avec Simone de Beauvoir. « Dans cette pétition “Touche pas à ma pute”, par un tour de passe-passe pervers, la liberté est mise au service de la défense d’un esclavage de fait », dénonce-t-elle dans les colonnes du Monde, concluant sans autre forme de précaution : “L’appel “Touche pas à ma pute” humilie les femmes”. Depuis, ses comparses ne décolèrent pas : un site propose carrément d’insulter automatiquement sur Twitter les premiers signataires de l’appel, livrés en pâture comme des criminels sexuels. La présidente de la Ligue du droit des femmes ayant donné le la, toute la galaxie féministe a suivi, jusqu’à la ministre du droit des femmes et porte-parole du gouvernement Najat Vallaud-Belkacem qui voit dans l’initiative des 343 un regrettable « appel à disposer du corps des autres ». Venant d’une fervente partisane de la Gestation Pour Autrui, la critique vaut son pesant d’embryon…
Qui est vraiment Anne Zelensky, à l’origine de la bronca anti-« salauds » ?
Cette professeur agrégée, décorée de la Légion d’honneur, apparaît comme une militante de longue date de la cause féministe, issue du Mouvement démocratique féminin, organisation qui se fondra dans le Mouvement de Libération de la Femme (MLF) en 1974. Mais, depuis une bonne dizaine d’années, tout en conservant un fréquent droit de tribune dans le quotidien vespéral, Anne Zelensky poursuit son engagement féministe au sein de Riposte laïque, groupe laïcard allié au Bloc Identitaire dans son combat contre « l’islamisation » de la France.
Ainsi, le 18 juin 2010, la papesse du féminisme prenait activement part au projet d’ « apéro-saucisson pinard » co-organisé par Riposte Laïque et les Identitaires. Au sein de l’association, régulièrement accusée de mener une croisade contre les Musulmans au nom de la cause laïque, Zelensky représente la tendance féministe entrée en lutte contre l’islam par refus du voile et du patriarcat. Interviewée le 2 février dernier sur le site Enquête et débat, elle s’en expliquait sans détours : « J’ai toujours été très critique sur l’islam. La place qu’il donne aux femmes, au seul service de leurs maris et de la procréation, me rend d’emblée cette religion détestable (…) La progression de l’islam en Europe réveille les vieux démons mal assoupis du machisme hexagonal ».
Entrée en « résistance » contre l’islam, Zelensky a participé aux « Assises de l’islamisation », le 18 décembre 2010 à Paris, aux côtés du Suisse Oskar Freysinger, de Fabrice Robert, président du Bloc Identitaire et de ses camarades de Riposte Laïque. « Mes petites camarades se contentent largement de séparer l’islamisme de l’islam. Elles sont toujours prêtes à dénoncer l’islamisme à l’extérieur mais pas en France, où ” la stratégie première d’invasion islamiste” (sic), ce sont les femmes », lançait-elle à la tribune, dans un discours éloquent, se justifiant notamment sur ses alliances broussailleuses : « Comment peux-tu cohabiter avec des Identitaires ? m’ont dit mes petites amies. J’ai eu une fois de plus l’expérience de ce qu’est le purisme de gauche ! (…) Mais ces gens là ne se demandent pas : « Les Identitaires, qui ne sont pas très favorables à l’avortement, qu’est-ce qu’ils font avec toi ? Bonne question ! ». La réponse ne tardait pas : « la gauche est incapable de prendre en charge la
menace gravissime que représente l’islamisation de l’Europe », déplorait-elle.
Trois mois plus tard, dans Le Monde – toujours – elle s’émouvait de son éviction d’un séminaire de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales consacré aux 40 ans du MLF. Invitée puis décommandée, elle dénonçait la pression de certains groupes menaçant la sécurité de l’événement si elle s’y était rendue.
Plus récemment, sur le site de Riposte Laïque, elle s’est prononcée pour l’enseignement de la théorie du genre à l’école afin de mettre en pièces le modèle patriarcal, supposé reprendre du terrain sous l’« influence pernicieuse de quelques têtes brunes coranisées » (sic). Auparavant, Zelensky avait franchi un pas idéologique vers ses compagnons de route Identitaires : « Je considère que le métissage n’a d’intérêt que s’il favorise le meilleur de chacun. Or, actuellement, le métissage fait prévaloir le pire. » (allocution aux Assises de l’islamisation, 18 décembre 2010).
Revenant sur « son » mai 68 féministe dans un texte à la tonalité très personnelle, Anne Zelensky concluait : « le féminisme est le seul mouvement de cette « révolution » qui ait connu une telle postérité et le seul qui ait autant modifié la société. »
Au point de réconcilier féministes progressistes, moralisateurs intransigeants et mouvements hostiles à l’islam ? Les Assises de l’islamisation en rêvaient, Le Monde l’a fait !