[Rediffusion – article publié initialement le 14/11/2017]
Le vendredi 3 novembre, le quotidien Le Monde titrait : « En France un antisémitisme du quotidien ». Sept jours plus tard, l’édition de Marianne datée du 10 au 16 novembre 2017 mettait à son tour en Une l’indéniable montée de l’antisémitisme sur le territoire : « La France malade de l’antisémitisme ». Confronter les deux analyses du phénomène aide à saisir le malaise d’une partie des médias face à la nature de cet antisémitisme. Décryptage.
Tous les indicateurs le signalent : l’antisémitisme se développe de nouveau en France. Le phénomène n’est pas neuf et a déjà été repéré durant la première décennie du siècle. Dans un pays qui d’évidence n’est pas antisémite et où pourtant 40 % des actes racistes visent des juifs qui ne représentent qu’1 % de la population, la manière de traiter médiatiquement le fait de l’antisémitisme n’est pas anodine. Face à face ? Le Monde et Marianne.
Le Monde semble rencontrer des difficultés avec le réel
Le quotidien du soir indique que la stèle érigée en hommage à Ilan Halimi a été profanée à Bagneux (Hauts-de-Seine), oubliant de signaler que ce n’est pas la première fois. Ilan Halimi avait été enlevé en 2006, « parce que les juifs ont de l’argent » d’après la déposition des coupables, torturé dans une cave de l’ancienne banlieue rouge, longtemps tenue par le PCF et ses sénateurs Henri Ravera puis Jeanine Jambu. D’ailleurs, communiste Bagneux l’est redevenue. Le Monde indique qu’un tiers des actes racistes signalés en France le sont contre des juifs, et donne la parole à des témoins. Le quotidien insiste aussi sur le fait que cet antisémitisme effectivement devenu « quotidien » s’est banalisé. Par contre, la Une omet de signaler qui sont les assassins d’Ilan Halimi, dont le corps avait été abandonné encore vivant près d’une voie de RER, où il a succombé à la haine de ses meurtriers. Elle n’indique rien non plus sur la sociologie des populations développant cet antisémitisme dans les banlieues.
Qu’en est-il dans les pages du journal ? « Insultes, intimidations, tags, violences… », l’antisémitisme se vit au quotidien. L’enquête du Monde indique que cet antisémitisme use de « vive la Palestine » ou « vive daech » mais quand elle détaille une agression d’un genre « devenu banal » les mots employés pour désigner les délinquants sont « les jeunes du quartier » ou « l’entourage hostile ». Ce qui est mis en avant est plutôt le lien supposé entre cet antisémitisme et les périodes d’intifada en Israël. Comme si le développement de la haine des juifs en France résultait avant tout de ce qui se passe dans ce pays. À cette cause s’ajouterait l’endoctrinement négationniste par le biais d’internet.
Ce qui frappe ? L’incapacité du Monde à dire les simples mots du réel : l’antisémitisme actuellement en développement ne tient plus autant au conflit israélo-palestinien qu’avant mais semble devenu une constante des quartiers majoritairement musulmans. Et « l’entourage hostile » évoqué est celui de quartiers à très forte dominante musulmane, où des profils du type de Mehdi Meklat sont nombreux. À propos de ce dernier, l’enquête du quotidien se fait attendre.
Et Marianne ? Sur ce sujet, l’hebdo n’a pas peur des mots
Marianne titre sur un antisémitisme dont la France serait maladivement atteinte. L’hebdomadaire ne craint pas de nommer la souche du germe : l’islam et les « islamo-mafieux qui propagent l’obsession antijuive ». C’est une manière de réponse à l’éviction des mots de la part du Monde du 3 novembre, mais peut-être aussi une réponse à un Edwy Plenel qui, empêtré dans l’affaire des abus sexuels présumés de Tariq Ramadan, indique combien une « obsession islamophobe » serait cause des « attaques » à l’encontre de « l’intellectuel musulman » (BFM). Marianne montre que dans certaines familles musulmanes, ainsi « chez les Merah », l’antisémitisme est une « haine en famille ». En pages intérieures, les mots disent le réel effectivement vécu par les populations de certains quartiers : « Les juifs fuient des communes livrées à une violence islamo-mafieuse qui recycle les stéréotypes séculaires en y ajoutant l’obsession d’Israël ». Cet antisémitisme du quotidien est à la fois une présence maintenue de celui du passé, un rejet du sionisme et un antisémitisme lié à l’Islam. L’hebdomadaire semble soucieux de ne pas taire une partie du problème, partie qui au vu des événements se produisant en France depuis 2015 semble loin d’être anodine.
L’article principal, signé de Martine Gozlan, dit les faits : « Quarante pour cent des actes racistes visent les juifs qui représentent 1 % de la population. Mais, dans les beaux quartiers et les vastes appartements des consciences gauchisto-chic, longtemps on n’a rien voulu savoir. Rien voulu entendre des cibles quotidiennes : les juifs de banlieue, ceux des quartiers populaires (…) Merah a fait des petits, et Fofana, et Coulibaly (…) Seulement, tout au long de cette affreuse décennie, le gratin politico-médiatique avait des opprimés à défendre, et ce n’étaient pas les mêmes ». Les juifs ne peuvent plus être des « victimes », « la place est désormais occupé par les ex-colonisés, les “racisés” pour parler comme Bouteldja, Rokkhaya Diallo et Obono ». Les communes dont les juifs sont obligés de partir ? La Courneuve, Drancy, Saint-Denis par exemple. Et Bagneux ?
Dans Marianne, le mot « islamisme » est écrit comme cause du développement de l’antisémitisme en France. Et l’hebdomadaire rappelle le témoignage de l’un des frères Merah, auteur d’un livre dans lequel il montre le « climat haineux » dans lequel ses frères et lui ont grandi. Du coup, la question se pose : de quoi les silences du Monde sont-ils le nom ?