On aura beaucoup parlé de l’antisémitisme durant ce mois de février. Des insultes à l’encontre d’Alain Finkielkraut à la manifestation du 19 février en passant par la profanation de certaines tombes, l’actualité n’aura pas été avare en la matière. Pour plusieurs médias, l’indignation semble sélective dans cette condamnation.
Un antisémitisme bien franchouillard
Plusieurs titres de presse ont consacré ces derniers jours un dossier à l’antisémitisme et aux récents événements.
L’édition du 21 février de L’Express développe dans un dossier le sujet de « l’antisémitisme et ses complices ». Il comporte un éditorial, une interview du premier ministre, un article recensant des actes antisémites récents et un article de l’historien Claude Surreau. Si le journal évoque furtivement – en une seule phrase — l’antisémitisme islamique, il s’attarde longuement sur les explications possibles de la « libération de la parole anti-juive ». Les deux pistes sont une « dérive antisémite des gilets jaunes » et « une griffe de groupuscules d’extrême gauche et d’ultra droite ».
Libération du 20 février titre sur « la République réplique ». Outre la couverture de la manifestation de la veille, un article est consacré à la profanation d’un cimetière israélite près de Strasbourg. L’article pointe « l’extrême droite » en se basant sur un sigle laissé lors d’une profanation dans un autre village Alsacien…en 2015. Un historien consacre un long article aux « leçons de l’histoire ». Ses références semblent figées à l’affaire Dreyfus. Une série d’incidents dans la semaine du 9 au 16 février est égrenée : inscriptions, insultes, tir à la carabine sur une personne sortant d’une synagogue à Sarcelles. Pas un mot sur les auteurs de ces exactions quand ils sont connus.
Aujourd’hui en France consacre sa couverture le 20 février au « sursaut républicain ». C’est encore une fois des croix gammées dans le cimetière Quatzenheim (Bas Rhin) qui suscitent l’indignation. Une historienne est interviewée, elle évoque le fait que c’est en général « l’expression de courants nationalistes et extrémistes ». « La haine est bien plus forte à l’encontre d’autres groupes, notamment les musulmans ». L’article le plus court du dossier ne peut passer sous silence que l’auteur des insultes à l’encontre d’A. Finkielfraut a évolué dans la mouvance salafiste en 2014.
Sur le site de L’Obs, Sylvain Courage dédie une tribune à « l’antisémitisme en nous ». « La résurgence de la haine n’est pas accidentelle, elle résulte d’une construction idéologique bien présente à droite comme à gauche », nous assène-t-il.
« Le mot de la semaine » de l’hebdomadaire Le Point concerne l’antisémitisme. Celui-ci « a toujours prospéré sur ces deux franges (extrême gauche et extrême droite) de l’échiquier politique ».
Le point commun qui ressort de ces articles est que l’antisémitisme serait un phénomène essentiellement « franchouillard », profondément ancré dans la culture française, à l’extrême gauche et surtout à l’extrême droite.
Le lendemain de la manifestation du 19 février, le Huffington post présente les principales annonces du Président Macron contre l’antisémitisme dévoilées à l’occasion du diner annuel du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France : une définition pénale de l’antisémitisme élargie à l’antisionisme et la dissolution « des associations ou groupements qui par leur comportement nourrissent la haine, promeuvent la discrimination ou appellent à l’action violente ».
L’édition du 21 février du journal La Croix nous apprend que les groupes visés par le président de la république sont tous « d’ultra droite ».
Dans les articles retenus, on assiste à un exercice de contrition (l’antisémitisme est profondément ancré dans la société française) et à la désignation des coupables (certains courants de l’extrême gauche et surtout de l’extrême droite). Les rares fois où l’antisémitisme islamique est évoqué concernent l’auteur des insultes proférées à l’encontre d’A. Finkielkraut le 16 février.
Des brevets de moralité décernés à l’occasion de la manifestation contre l’antisémitisme
Dans un précédent article, nous évoquions la manipulation médiatique visant à sortir le Rassemblement national, et dans une moindre mesure Debout la France, des partis politiques luttant contre l’antisémitisme.
La France Insoumise (LFI) dirigée par J.L. Mélenchon a également été sous les feux de la suspicion, voire de la critique médiatique à l’occasion de la manifestation du 19 février :
BFMTV parle de « l’ambiguïté de La France insoumise à la suite des récents actes antisémites ». Libération évoque « la solidarité tardive de LFI ». Le Télégramme mentionne « la France Insoumise au coeur d’une polémique ».
Il ressort tant des dossiers et articles cités consacrés à l’antisémitisme que de la couverture de la manifestation du 19 février que l’antisémitisme s’inscrirait dans une longue tradition française. Des suspicions à l’encontre de deux partis, RN et LFI, sont par ailleurs largement relayées. Cet exercice critique dans les médias s’arrêtera à ces deux partis politiques et à des mouvements politiques « extrêmes ».
Une contextualisation a minima
Pourtant, la couverture médiatique des récents événements à caractère antisémite comporte de nombreux biais, silences et raccourcis lapidaires :
- Quand les auteurs de meurtres antisémites sont identifiés, il ne s’agit pas de « franchouillards », mais d’individus issus de l’immigration, comme le souligne Damien Rieu :
https://twitter.com/DamienRieu/status/1097534818286530560
- Alors que des procès en « insincérité » dans la lutte contre l’antisémitisme sont faits aux partis RN et LFI par plusieurs médias, à aucun moment ceux-ci ne parlent de « ces maires qui courtisent l’islamisme ». Ces maires appartenant à des partis politiques ayant appelé à la manifestation du 19 février et qui ont donné des moyens au développement de l’islamisme dans certaines mosquées. Le lecteur pourra se reporter à ce sujet au patient travail réalisé par Joachim Veliochas depuis quelques années.
- Le lien entre l’islamisme et l’antisémitisme, dans une partie grandissante de la société, est totalement passé sous silence. Pourtant, Hakim El Karoui constatait dans un rapport sur l’islam français publié par l’Institut Montaigne en 2018 que « l’antisémitisme est ainsi devenu un marqueur d’appartenance » chez une partie des musulmans (qui représenteraient selon l’auteur du rapport 25% d’entre eux).
Cet antisémitisme d’extrémistes musulmans est responsable de la plus grande partie des agressions antisémites en France, comme le souligne un rapport de l’European Union Agency for Fundamental Rights cité par le journaliste du Figaro Alexandre Devecchio :
Pour commencer à débattre sur des réalités. Agressions antisémites en France entre 2013 et 2016 : extrémistes catholiques (4%), extrême droite (7%), extrémistes de gauche (21%), extrémistes musulmans (33%). Ces chiffres sont tirés de l’European Union Agency for Fundamental Right. pic.twitter.com/KRPKnkiU4T
— Alexandre Devecchio (@AlexDevecchio) February 21, 2019
Des questions essentielles auront donc été passées sous silence par les médias de grand chemin à l’occasion de cette période marquée par la question de l’antisémitisme. Comme si un consensus médiatico-politique existait à surtout ne pas évoquer certains faits trop gênants.
Crédit photo : Patrick Gaudin via Flickr (cc)