C’est fait. Malgré les critiques et les mises en garde des experts numériques, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a fait adopter jeudi dernier par l’Assemblée nationale, sous l’impulsion du premier ministre Manuel Valls, l’article 9 du projet de loi dit de « lutte contre le terrorisme ».
Celui-ci prévoit le blocage des sites « terroristes », sans décision de justice préalable. Cette mesure ouvre la voie à une surveillance encore plus importante d’internet, mais aussi à une dérive arbitraire. On commencera par bloquer des sites à la gloire du Djihad mais qui sait où l’on s’arrêtera ?
Et pourtant, les levées de bouclier ont été nombreuses. Les députés PS n’ont pas hésité à attaquer leur propre ministre et les experts n’ont eu de cesse de rappeler l’inefficacité et la dangerosité du projet. Le Conseil national du numérique, la Commission de l’Assemblée nationale sur les droits et libertés numériques, les acteurs du numérique, les experts en sécurité, sans oublier le patron de l’Agence nationale de cyberdéfense (ANSSI) ; tous ont voulu faire barrage à ce texte. Rien n’y a fait.
« Cette méthode a des effets secondaires infiniment plus graves que les effets attendus, qui n’auront pas lieu », a prévenu la députée écologiste Isabelle Attard, avant de confier : « Je ne veux pas que la représentation nationale se ridiculise par méconnaissance technique. (…) Nous voulons que le blocage soit décidé par un juge judiciaire ! » Elle n’a visiblement pas été écoutée.
De son côté, le député UMP Lionel Tardy s’est interrogé : « Faut-il faire reculer encore la liberté, contre le terrorisme ? » Et d’ajouter que « la France s’engage à petits pas dans la direction de la NSA »… Et tout ça pour quoi ? Pour des mesures inefficaces.
Dans une chronique publiée sur le site du Point intitulée « Loi antiterroriste : les députés ont voté la censure du web français », Guerric Poncet a rappelé l’inutilité de cette loi au regard de ce qu’est le web : « En deux clics, l’internaute peut installer l’excellent logiciel gratuit Tor, initialement destiné aux cyberdissidents. Il est aussi possible de souscrire pour quelques euros par mois à un réseau privé virtuel (VPN), qui permet de choisir via quel pays du monde on veut accéder au Web. »
Et de conclure en soupirant que, « finalement, le seul effet concret de cet article 9 sera la création par le ministère de l’Intérieur d’une liste noire des sites web terroristes. Une liste qui fuitera : à l’ère de WikiLeaks et d’Edward Snowden, ce n’est qu’une question de temps. Et l’État aura constitué les marque-pages du parfait petit terroriste… »
Pourtant, en juillet dernier, même Reporters sans Frontières, qui n’a pas pour habitude de taper sur les doigts de la France, avait prévenu que ce texte « pourrait engendrer un recul de la liberté d’information puisqu’il (…) prévoit le blocage administratif de sites internet et augmente les mesures de surveillance ».
Mais c’est bien dans cette voie, au faux-air de Big Brother, que le gouvernement semble s’engager, envers et contre tous.
À lire sur un sujet similaire : Comment le CSA veut restreindre les libertés sur internet
Crédit photo : pseudoxx via Flickr (cc)