Après 10 mois éprouvants, les quatre journalistes ex-otages en Syrie de retour http://t.co/kw5XsMr10t pic.twitter.com/3p4hv2neXu #AFP
— Agence France-Presse (@afpfr) 20 Avril 2014
Les quatre journalistes français otages en Syrie depuis dix mois ont été relâchés ce samedi 19 avril. Didier François, 53 ans, grand reporter à Europe 1, et le photographe Édouard Elias, 23 ans, avaient été enlevés au nord d’Alep le 6 juin 2013. Nicolas Hénin, 37 ans, reporter à l’hebdomadaire Le Point, et Pierre Torrès, 29 ans, photographe indépendant, avaient été enlevés le 22 juin à Raqqa.
Reçu par le président François Hollande et le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, ces derniers ont exprimés leur soulagement et ont fait part de leur « rudes » conditions de captivité. L’occasion pour François Hollande d’assurer que la France « ne paie pas de rançon » dans les affaires d’otages. « C’est un principe très important pour que les preneurs d’otages ne puissent être tentés d’en ravir d’autres. Tout est fait par des négociations, des discussions », a‑t-il conclu, laissant entendre que la diplomatie française est ainsi parvenue à convaincre des barbus armés jusqu’aux dents et avides d’argent par de simples mots. Pourtant, au vu du passé français dans ce domaine, il est permis de s’interroger. Petit retour sur la politique de la France en matière d’otages.
Enlèvements et « politique de la rançon »
En janvier 2002, un scandale éclate. Le journal l’Est Républicain révèle, en s’appuyant sur une note de la DST, qu’une collaboratrice de l’ancien ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, ainsi que l’épouse du préfet Marchiani, ont été mises en examen pour le détournement d’une rançon. Celle-ci se serait élevée à 3 millions de dollars et aurait concernée la libération, en 1988, du journaliste Jean-Paul Kaufmann, du sociologue Michel Seurat et des diplomates Marcel Carton et Marcel Fontaine.
Ces derniers avaient été enlevés à Beyrouth en 1985 par l’organisation intégriste libanaise du Djihad islamique qui exigeait la fin de l’aide française à l’Irak, alors en guerre contre l’Iran. Ils seront libérés le 4 mai 1988, à l’exception de Michel Seurat, exécuté en mars 1986 durant sa captivité.
Les principaux accusés, le gouvernement, et même les otages, nient l’existence d’une quelconque rançon, même si le doute plane quant à l’opportunité politique de cette libération. Celle-ci est en effet survenue quatre jours seulement avant le second tour de l’élection présidentielle de 1988, en pleine cohabitation entre les deux candidats : François Mitterrand, président sortant, et Jacques Chirac, premier ministre, « profitant » largement à ce dernier.
En 2004, ce sont les journalistes Georges Malbrunot, spécialiste du Moyen-Orient et du conflit israélo-palestinien, et Christian Chesnot, également spécialiste du Moyen-Orient, qui sont enlevés avec leur « fixeur » par l’Armée islamique en Irak alors qu’ils tentaient de se rendre à Nadjaf.
Les ravisseurs exigent du gouvernement français l’abrogation de la loi sur les signes religieux dans les écoles, et lancent un ultimatum de 48h. Malgré le refus du gouvernement français, les otages ne seront toutefois pas exécutés, et seront finalement libérés le 21 décembre 2004, après 124 jours de captivité. Là encore, l’idée qu’il y a eu versement d’une rançon est dans toutes les têtes.
En 2005, Roger Auque, otage du Liban, donne son point du vue au journal La Libre Belgique : « Je ne parle pas de rançon. Il y a eu des “frais d’hébergement”, un dédommagement qui a été donné aux ravisseurs. La France ne paye jamais de rançon directement. Elle a mis à contribution soit des milliardaires arabes pour les otages du Liban, soit Mouammar Kadhafi pour ceux de Jolo. Probablement que les Français n’ont pas eu besoin de donner plus qu’un bakchich parce qu’ils avaient identifié les ravisseurs — ils avaient les photos et les numéros de portable. Ils ont fait comprendre aux ravisseurs que leur intérêt était d’accepter ce qu’on leur donnait, sinon il pourrait y avoir des représailles. »
L’année suivante, la journaliste et reporter de guerre pour Libération, Florence Aubenas, est enlevée à son tour à l’université Jedida de Bagdad avec son « fixeur », alors qu’elle tourne un reportage sur les réfugiés de Falloujah. Ce rapt intervient seulement deux semaines après la libération de Chesnot/Malbrunot alors que, visiblement, les journalistes s’étaient mis d’accord pour ne plus aller en Irak pour des questions de sécurité. Imprudence ? Difficile de trancher. Quoi qu’il en soit, Florence Aubenas est libérée le 11 juin 2005 après 157 jours de captivité.
Rançon ? Dans un entretien au journal L’Actu le 16 juin 2005, Aubenas déclarait : « Jamais ils ne m’ont demandé d’exprimer une revendication. Jamais je n’ai su le nom du groupe. Ils se sont toujours présentés comme des moudjahidins, des combattants sunnites contre les Américains en Irak. Jamais je n’ai entendu parler de rançon. Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai été libérée, j’aimerais bien le savoir. »
Un article du Times va lui fournir une possible réponse. Celui-ci avance que la France, l’Italie et l’Allemagne ont accepté de payer 45 millions de dollars (35 millions d’euros) pour obtenir la libération de neuf de leurs ressortissants pris en otage en Irak. Parmi eux, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, pour qui la rançon aurait été de 15 millions de dollars. Concernant Aubenas, le Times parle de 10 millions. De son côté, Roquer Auque s’interrogera : « Y a‑t-il une partie du groupe ayant détenu Chesnot et Malbrunot qui, se sentant flouée, a décidé de prendre en otage Florence Aubenas et son chauffeur pour justement demander une véritable rançon ? » Comme toujours, le gouvernement français dément.
Le double jeu dangereux de la France
C’est que le scénario est immanquablement le même : le gouvernement français fait libérer ses otages, assure qu’aucune rançon n’a été payée… avant que la presse ne révèle le contraire. Un double jeu ambigu et dangereux, et notamment pour la sécurité des journalistes français.
Suite à la libération d’otages français en 2010, détenus par Aqmi, J. Huddleston, ancienne ambassadrice américaine au Mali, déclarait que : « Les rançons, comme toutes les rançons, ont été payées indirectement. Elles ont terminé entre les mains du gouvernement malien et ensuite elles sont retournées, du moins une partie, aux salafistes. » Selon Vitraulle Mbougnou sur Afrique Expansion, la France est « connue pour avoir une politique relativement souple. Elle a la réputation de payer facilement la rançon aux kidnappeurs ».
La Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), dispose même officiellement de fonds spéciaux votés par le parlement français (53,9 millions d’euros pour l’année 2011) destinés à payer les rançons, ce que le gouvernement s’est toujours refusé à confirmer. Certains parleront de prudence. Mais la faculté de la France à payer étant connue dans le monde entier, les rançons d’abord niées étant finalement souvent prouvées, ce double jeu n’a pas vraiment d’efficacité.
Contrairement aux états anglo-saxons comme l’Angleterre et les États-Unis, qui ne paient pas de rançon et ne négocient pas avec les ravisseurs, le gouvernement français a donc fait le choix d’une certaine hypocrisie. Une méthode malheureusement aussi coûteuse qu’inefficace qui se fait aux dépens de la sécurité des journalistes, et des Français en général, dans le monde, qui deviennent des proies idéales.
De l’imprudence de certains journalistes
Au-delà de la question de la posture diplomatique très généreuse de la France, arrêtons-nous un instant sur la responsabilité des journalistes eux-mêmes. Pour ce faire, l’affaire Guesquière-Taponier offre un bon éclairage.
Les deux journalistes de France 3, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, sont enlevés le 30 décembre 2009 par des talibans en Afghanistan. Aussitôt, la DGSE se charge des négociations et les ravisseurs, réclament la libération de prisonniers talibans. Les deux hommes sont libérés le 29 juin 2011 après 547 jours de captivité. Officiellement, comme toujours, aucune rançon n’a été payée. Mais d’après Frédéric Helbert sur BFMTV, qui évoque des sources diplomatiques, une rançon de plusieurs millions d’euros a transité via des intermédiaires afghans. Une hypothèse confirmée plus tard par Michel Peyrard dans Paris Match.
Cette affaire ne s’est pas faite sans son lot de polémiques. Dès leur enlèvement, le président Nicolas Sarkozy piquait une colère, les qualifiant d’ « inconscients ». « Il leur avait été très clairement demandé de ne pas s’aventurer ainsi parce qu’il y a des risques », avait-il tonné. Et de conclure : « C‘est insupportable de voir qu‘on fait courir des risques à des militaires pour aller les chercher dans une zone dangereuse où ils avaient l‘interdiction de se rendre. » Le 17 janvier, Claude Guéant en rajoutait une couche en montrant du doigt « une imprudence vraiment coupable » et en estimant que leur comportement faisait « courir des risques à beaucoup de nos forces armées, qui du reste sont détournées de leurs missions principales ». Le 21 février sur Europe 1, le général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées françaises, révélait avec agacement que « plus de 10 millions d’euros » avaient été dépensé pour les recherches et en appelait au « sens des responsabilités des uns et des autres ».
Ces réactions amères trouvent leur source dans ce qui est dit des conditions de l’enlèvement et des arrière-pensées d’Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier. Selon plusieurs sources, ces derniers auraient, alors que leur mission officielle était terminée, prolongé leur séjour pour se rendre, sans aucune escorte, à la rencontre des talibans sur une route de Kapissa. Leur but ? « Ils voulaient démontrer que l’Armée française ne contrôlait rien ou pire, vu leur haine des institutions militaires françaises, assurer aux Talibans leur sympathie », estimait Yves Debay, journaliste et correspondant de guerre tué en Syrie en janvier 2013.
Pour ce dernier, auteur d’une tribune assez rude dans son magazine Assaut, « les “idoles” n’étaient simplement que des ambitieux cherchant le scoop à tout prix et non des journalistes responsables. » Et celui-ci de dénoncer leur « antimilitarisme », leur « arrogance » et leur « goujaterie » auprès des militaires, leur « recherche malsaine du sensationnel » qui « ont mené au drame de cette prise d’otage qui a causé mort d’homme ». Certains parlent de 9 soldats français tombés en lien direct avec cet enlèvement…
Un courriel daté du 29 décembre 2009 adressé par le lieutenant-colonel Jackie Fouquerau au rédacteur en chef de l’émission « Pièces à conviction » sur France 3, nous apporte un éclairage sur le comportement des journalistes. Celui-ci les décrit comme « assez peu respectueux des consignes, bravant les interdictions et manifestant trop souvent une agressivité verbale ». Ce courrier finira dès le lendemain sur le bureau du président de la République.
Aussi, Yves Debay dénonçait clairement leur irresponsabilité, qui avait entraîné bien plus que leur capture : l’échec d’une opération militaire, l’arrêt de toutes les opérations dans la région, la mise en danger de la vie des militaires français… À quoi il fallait même ajouter le renforcement des talibans suite à la libération de 17 d’entre eux et au paiement d’une grosse rançon. « Et à quoi va servir cet argent ? Eh bien à acquérir de l’armement sophistiqué, des munitions, à corrompre les policiers qui laisseront passer les “suicide-bomber”, à acheter des bombes ou des mines qui tueront ou mutileront des jeunes de 20 ans. Voilà, messieurs GHESQUIERE et TAPONIER ce que vous avez contribué à faire », accusait le journaliste.
Ce sentiment est partagé au sein même des rangs de l’armée. « Ils ont eu leur portraits sur l’arc de triomphe et nos camarades tombés pour la France n’ont droit qu’aux entrefilets dans les journaux ou un court communiqué entre la météo et les résultats du tiercé dans l’audiovisuel », aurait déclaré un soldat à Debay. Le bloggeur Défense Jean-Dominique Merchet confirme : « la libération d’Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier a donné lieu à une couverture médiatique sans commune mesure avec l’annonce de la mort de militaires français en Afghanistan. »
Au-delà de cette concurrence bien connue entre militaires et journalistes, c’est bien leur supposé manque de vigilance qui est dénoncé en premier lieu. Un comportement irresponsable fermement démenti par Hervé Guesquière. « Personne ne nous a rien dit. Que cela soit clair », déclarait-t-il le 30 juin 2011, dans les locaux de France Télévisions. « On n’est pas allés à l’aventurette pour risquer nos vies. (…) On était bien préparés, on a pris le minimum de risques possibles », ajoutait-il à l’AFP.
Une version récemment contredite par une information exclusive du site infodéfense.com. Ce dernier publiait le rapport d’un militaire écrit une heure avant leur enlèvement, le 30 décembre 2009. Dans ce rapport, le militaire affirmait avoir croisé les journalistes et, après avoir appris leurs intentions, leur avoir dit que « ce n’était pas une zone très sûre » et qu’ils devaient « prendre contact avec le chef d’élément infanterie », ce que Ghesquière aurait accepté – sans s’exécuter cependant, avec les conséquences ce l’on sait. Mais cette vision des choses a également été démentie par Hervé Ghesquière qui assure n’avoir jamais été averti de rien.
« Tout le monde sait qu’ils ont bien été avertis du danger de se rendre dans ce secteur non sécurisé, qui plus est à la recherche de contacts avec les talibans. D’ailleurs, tous les journalistes français arrivant sur le théâtre afghan le sont systématiquement », résume Jean-Dominique Merchet. En effet, tous les journalistes arrivant en Afghanistan sont avertis des dangers et il peu probable que Ghesquière et Taponier n’aient pas été au courant des risques qu’ils encouraient en s’aventurant dans cette zone, sans escorte par-dessus le marché.
Au final, outre les journalistes, c’est le contribuable français – rançon et coût des opérations –, les militaires – pour leur prise de risque – et l’armée – qui a vu ses missions bloquées et les talibans renforcés – qui ont payé le prix de cette imprudence. Quoi qu’il en soit, cette affaire est l’illustration parfaite à la fois d’un comportement typique de certains journalistes – insouciance, recherche de sensationnel… – mais aussi de l’animosité que cela génère dans l’armée.
Ajoutons à cela la politique très généreuse de la France à l’égard des preneurs d’otages, et l’on obtient une situation extrêmement dangereuse aussi bien pour les journalistes, les militaires et les Français vivant dans les zones à risque. Un constat que les cérémonies officielles en grande pompe suivant chaque libération en doit pas faire oublier…