La décision du nouveau Ministre de l’intérieur italien de ne pas accepter l’accostage du bateau l’Aquarius de l’ONG SOS méditerranée transportant des clandestins n’est pas passée inaperçue. Les réactions indignées ne se sont pas limitées à certains partis politiques. Elles émanent aussi d’une large frange des médias. L’émotion était au rendez-vous. L’analyse et la réflexion des médias un peu moins. Illustrations.
La couverture médiatique de l’itinéraire de l’Aquarius a pris plusieurs angles
L’immersion dans l’aventure humanitaire
Le Parisien, Europe 1, BFMTV, Orange Actu, RFI, Libération, Le Monde, Marianne, France Info : la liste est longue des organes de presse ou de chaines de radio et de télévision qui ont fait un reportage sur le bateau de l’ONG française. L’Express nous informe que l’itinéraire contrarié de l’Aquarius amène la chaine France Ô à bousculer sa programmation en diffusant le 13 juin un documentaire, « Mission Aquarius », version longue d’un reportage diffusé dans Envoyé Spécial, fin 2017. On est dans le registre de l’émotion : « Mission Aquarius émeut parfois aux larmes ». On remet le couvert le 20 juin, à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés. Canal+ rediffuse deux documentaires intitulés « Exode ». France Inter met cartes sur table : « l’objectif assumé du réalisateur : susciter de l’empathie pour balayer les peurs et les fantasmes sur les migrants ». On l’aura compris, la contextualisation n’est pas de mise.
L’indignation
La France n’a pas proposé d’accueillir l’Aquarius sur ses côtes, hormis l’initiative d’élus corses. Cette inertie déplait fortement à de nombreux médias : LCI s’interroge au sujet de l’Aquarius : « le loupé du gouvernement ? ». « L’exécutif a manqué de courage et de clarté sur l’affaire Aquarius, provoquant l’indignation des députés de la majorité présidentielle ». France Info donne la parole au rédacteur de la revue d’extrême gauche Regards : « on voit bien qu’aujourd’hui, il y a une volonté de créer un mur au sein de l’UE et de ne plus accueillir ».
La Provence interviewe un député En Marche dont une déclaration sert de titre à l’article : « La France vaut mieux que ça ». Selon Euronews, l’Aquarius est « un phare en Méditerranée ». Libération consacre un article issu de l’AFP au sujet de la marche en faveur des migrants qui arrive à Paris le 15 juin. Entre 10 et 30 participants mais une couverture médiatique à chaque étape. L’occasion de donner la parole à une marcheuse, Leila, au sujet de l’Aquarius : « On veut avoir honte dans quelques années ? On a oublié l’histoire » ? Encore un article issu de l’AFP dans Courrier International. La parole est donnée notamment à un représentant de la Fondation Carnegie Europe : « Attiser la peur des migrations est au cœur du business model des populistes ». Des propos repris dans Ouest-France , La Croix et 20 Minutes.
Le registre général est celui de l’indignation et de la culpabilisation. Les prises de positions politiques vont souvent dans le même sens que l’analyse journalistique.
Les questions que les médias se posent…
Les questions relevées par les médias mainstream soulevées par le refus du gouvernement italien d’accueillir l’Aquarius concernent :
- l’urgence humanitaire, avec un bateau surchargé et en manque de vivres, balloté dans une mer houleuse. Préoccupation légitime, même si le retour en Afrique n’est jamais envisagé.
- le règlement de Dublin. France Inter en présente les grandes lignes : « le pays responsable de la demande d’asile d’un migrant est le premier État membre où sont conservées les empreintes digitales ». Le site d’information Euractiv déplore ce « principe géographique simple, qui a cependant créé un déséquilibre profond entre les pays frontaliers de l’Union européenne tels que l’Italie ou la Grèce … et les autres ». L’affaire est entendue dans de nombreux médias : ce règlement doit être modifié ou supprimé : il est « en crise » pour Euronews, c’est « haro sur les règles de Dublin » dans le HuffPost. Il est dans Challenges à la base d’« inégalités d’accueil »
- le non respect des relocalisations de migrants décidées en 2015. Ces difficultés sont reprises dans de nombreux médias : Le Figaro, Challenges, Le Monde, Marianne, etc… « La France connait l’un des taux les plus bas d’Europe en matière de demandes d’asile, quand elle n’a rempli que le quart de ses engagements en matière de relocalisation, soit 5 000 personnes venus d’Italie ou de Grèce » affirme Hélène Jouan sur Europe 1 dans un billet intitulé « L’Aquarius, à la dérive dans un océan d’égoïsmes ». La manipulation des chiffres va bon train : la France fait partie des pays européens, après l’Allemagne et la Grèce, qui ont enregistré le plus de demandes d’asile en 2017 selon le site Toute l’Europe. Des chiffres en progression constante selon France 24. Manipulation toujours dans le Parisien qui s’interroge : « la France prend-elle vraiment sa part » ?
Le panel de pays retenus dans la comparaison du nombre de demandeurs d’asile ne comprend que des pays qui en ont enregistré le plus (Allemagne, Suède, France). Le quotidien se garde bien de préciser que si la France a un taux de refus sensiblement plus important que d’autres pays européens, les déboutés du droit d’asile restent sur le territoire à 96% selon la Cour de comptes citée par France Bleu. L’article est construit de façon à apporter une réponse clef en main à la question posée. La veille, la question était : « La France peut-elle en faire plus ? ». Plus la corde est grosse, moins elle se fera remarquer. Le message implicite répété en boucle est que la France n’en fait pas assez.
- La pression démographique. Alors que L’Humanité estime que la population de l’Afrique « pourrait quadrupler d’ici un siècle, passant d’un milliard d’habitants en 2010 à probablement 2,5 milliards en 2050, et peut-être plus de 4 en 2100 », Le Monde donne la parole à un historien : « il y aura bien une vague durable d’émigration africaine. Et l’Europe et la France, surtout, sont bien plus exposées à cette crise migratoire que toute autre région du monde ». Les propos de l’historien sont répétés comme un mantra et repris par France Culture et Deutsche Welle. Les flux migratoires sont présentés comme un phénomène naturel.
Les questions que l’on ne trouve pas dans l’immense majorité des médias
- Des liens troubles entre ONG et passeurs. Cette information a été révélée dès l’automne 2016. L’Obs la reprend en août 2017 : « un infiltré révèle les liens troubles entre une ONG et des passeurs ». Les passeurs ont intégré la présence permanente en méditerranée de bateaux d’ONG prêts à recueillir des rafiots de fortune surchargés de clandestins. Au point de les mettre en danger dès leur départ des côtes libyennes. Curieusement, la volonté du gouvernement italien de mettre un terme à ce business cynique ne rencontre pas d’écho dans les médias.
- Des migrants économiques qui viennent de pays qualifiés de « sûrs ». La nationalité des clandestins à bord de l’Aquarius est passée sous silence. S’il est peut-être encore trop tôt pour la connaitre, les personnes arrivées sur les côtes italiennes viennent essentiellement de pays considérés comme « sûrs », comme en témoignent ces statistiques de l’Office International des Migrations. La dernière vague d’articles à ce sujet dans les médias remonte à… 2015. Ce sujet ne serait-il plus d’actualité ?
- Le coût de l’aide humanitaire est beaucoup plus élevé en Europe qu’en Afrique. Le journaliste Douglas Murray le faisait remarquer dans son livre (page 498) récemment traduit en France : le coût du logement est de 50 à 100 fois supérieur en Europe (l’exemple pris est la Suède) qu’en Afrique. Quitte à consacrer de l’argent dans l’aide humanitaire, il est plus rationnel d’aider sur place. Le sujet est complètement absent des médias.
- L’Europe, un eldorado en trompe l’œil. Le journal Capital le soulignait récemment : le taux de chômage des ressortissants de pays situés hors de l’union européenne atteint 24,9%. « Le hic, c’est que, comme le rappellent les experts de l’OCDE dans un récent rapport, la proportion d’individus ayant un niveau d’éducation faible parmi les migrants potentiels souhaitant venir en France atteint presque 50%, contre 33% pour l’Allemagne et 13% pour le Royaume-Uni ».
- Le droit maritime inadapté à la pression migratoire. Rares sont les journaux ou sites d’information à en parler : le droit maritime a contribué à l’immigration clandestine massive arrivée en Italie. S’écartant pour une fois de ses couplets favorables à un accueil inconditionnel, le journal Ouest-France interroge un professeur de droit à l’Université de Nantes : « La convention de Hambourg de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes (…) est complètement inadaptée à ce que nous voyons aujourd’hui avec des dizaines de milliers de personnes qui cherchent chaque année à traverser la Méditerranée pour gagner l’Europe ».
On le voit, la boussole des médias vis à vis de l’Aquarius indique invariablement le nord : les pays du nord sont tancés et sommés d’accueillir encore et toujours plus de clandestins. Le discours présentant les flux migratoires massifs comme inéluctables revient en boucle. À l’image de cet historien qui répète dans les médias qu’ « il y aura bien une vague durable d’émigration africaine ». Au risque d’oublier que certains pays européens s’en sont préservés. Et que la population la rejette dans sa majorité, comme en témoigne ce sondage publié dans le journal Capital selon lequel « pour 72% des Français, notre économie ne peut absorber un nouvel afflux de migrants ». Mais leur demande t‑on leur avis ?