Jamal Khashoggi, journaliste saoudien, chroniqueur au Washington Post, a été assassiné puis démembré au consulat saoudien d’Istanbul le 2 octobre 2018. Un livre turc traduit en français en relate les détails. Précisons que le livre a sans doute été écrit ou réécrit (outre les journalistes turcs qui le signent) par la diplomatie et les services de renseignement turcs, bien placés pour connaître les dessous macabres de l’affaire.
Qui était Khashoggi ?
Né à Médine en Arabie Saoudite le 13 octobre 1958, Jamal Khashoggi a poursuivi ses études supérieures aux États-Unis. De retour dans son pays il s’est lancé dans le journalisme avec l’appui (certains disent aussi en échange de services réciproques) du prince Turki qui a dirigé les services de renseignement du pays pendant près de 30 ans. Exilé à Londres entre 2003 et 2007 pour des critiques sur les institutions religieuses du pays, il rentre en Arabie saoudite en 2007 pour s’installer aux États-Unis en 2017 et devenir chroniqueur au Washington Post.
Ce second exil est consécutif à la prise de pouvoir du pays par le nouveau prince héritier Mohammed Ben Salman (alias MBS) en 2016, avec lequel les relations de Khashoggi étaient notoirement exécrables, le journaliste ayant soutenu un autre prince pour la succession du roi. Avant sa mort il aurait voulu mettre en place une équipe de cyber information (les Abeilles) pour contrebalancer les trolls informatiques de MBS (les Mouches), s’attirant l’animosité de MBS et de son entourage.
Les circonstances de sa mort
Elles sont parfaitement documentées dans le livre et pour cause, la principale source est constituée par les renseignements turcs eux-mêmes. Lorsque Khashoggi se rend au consulat saoudien d’Istanbul c’est pour retirer un certificat lui permettant d’épouser une turque rencontrée un an auparavant. Il a pris rendez-vous quelques jours plus tôt et se présente accompagné de sa fiancée qui l’attend à l’extérieur. Il ne ressortira jamais.
La suite est un roman d’espionnage accompagné d’un film d’horreur. Les services secrets turcs (à l’insu du consul saoudien) avaient placé des micros dans le consulat pour enregistrer les conversations. Les systèmes de surveillance de l’aéroport ont fait le reste pour déchiffrer toute l’opération.
Trois équipes saoudiennes sont arrivées à Istanbul le 1er octobre ou dans la nuit du 1er au 2 octobre pour repartir le soir même ou dans la nuit du 2 en Arabie Saoudite. Ces quinze hommes comprenaient des membres des services de renseignement saoudiens dont un médecin légiste de haut rang.
L’enregistrement
Il existe (ce sont les services turcs qui parlent) plusieurs enregistrements de ce qui s’est passé au consulat. Les préparations, le congé donné au personnel turc ce jour-là, la mort par étouffement puis le dépeçage du cadavre sont documentés. Un des Saoudiens ressemblant au journaliste a endossé ses vêtements (mais pas ses chaussures trop grandes ou trop petites, ce qui a permis de le confondre) puis est sorti pour faire croire que Khashoggi avait quitté le consulat. Le corps dépecé a sans doute été évacué dans une fourgonnette et transporté au domicile du consul saoudien. Le corps n’a jamais été retrouvé.
Les déclarations saoudiennes
Les saoudiens ont commencé par nier le meurtre, puis devant les informations habilement distillées par les services turcs ont fini par accepter une visite du consulat préalablement nettoyé de fond en comble. Dans un second temps ils ont invoqué un « accident ». On aurait proposé au journaliste de rentrer au pays (en clair un enlèvement), il se serait débattu et aurait trouvé la mort dans la bagarre. Il est impossible de savoir si MBS en a donné l’ordre ou l’a suggéré ou si l’initiative vient de son entourage proche. Onze membres du commando ont été inculpés en Arabie Saoudite, dont cinq sous peine de mort. Il est possible qu’ils soient simplement assignés confortablement à résidence, et l’Arabie saoudite n’extrade pas ses ressortissants.
Le tout sur fond de rivalité entre la Turquie et l’Arabie saoudite dans le monde musulman. Les Turcs soutiennent les Frères Musulmans qui sont soit pendus soit emprisonnés en Arabie Saoudite. Le livre, très documenté, assez touffu, se lit comme un roman policier. Les odes et dithyrambes au régime turc, au président Erdogan et à sa politique, nuisent au récit et sont parfois empreints de ridicule sans obérer l’intérêt d’ensemble de l’ouvrage.
Sauvagerie diplomatique : l’Affaire Khashoggi, Le Jardin des livres, 2020, 310 p., 24 €