Nous revenons sur la décapitation de Conflans-Sainte-Honorine, que nous avons déjà traitée ici. Certains choix éditoriaux, certaines acceptations ou mises en perspective en disent parfois beaucoup sur ce que pense réellement un média. Concernant l’assassinat islamiste du professeur Samuel Paty par un « réfugié » tchétchène le vendredi 16 octobre 2020, la première page du site de Médiapart datée du mardi 20 octobre 2020 était révélatrice.
Le titre général de Une est en soi parlant : « Conflans, l’enquête avance, l’exécutif s’affole. » Pas de terrorisme, pas d’islamisme, pas de musulmans, pas de Tchétchènes dans ce titre, mais un exécutif politique qui perd les pédales. Ce dernier point est donc le choix éditorial de Médiapart pour couvrir le fait sordide majeur qui secoue la France depuis vendredi 16 octobre 2020. Un choix reflété dans les trois principaux articles.
Trois articles à la Une
1er article : « Après l’attentat de Conflans, l’exécutif fait feu de tout bois ».
Les arguments développés :
- L’accroche : « Renforcement du projet de loi contre le« séparatisme islamiste », retour de la loi Avia, changements envisagés à la tête de l’Observatoire de la laïcité… Après l’assassinat de Samuel Paty, le président veut donner à voir des actes « concrets », quitte à sombrer dans le confusionnisme. »
- L’insistance est ensuite portée sur la volonté du gouvernement de dissoudre des associations et le comité contre l’islamophobie en France, sans indiquer concrètement de faits pouvant expliquer cette volonté de l’exécutif.
- Ce premier article de Médiapart emploie bien le mot « attentat » mais refuse de le qualifier pour ce qu’il est : un « attentat »
- Vient ensuite une cible : Manuel Valls. Ce dernier « a immédiatement ressurgi pour montrer du doigt tous ceux qu’il juge« complices » des « ennemis de la République ». Les associations comme le CCIF donc, mais aussi « cette gauche-là, politique, LFI, la gauche journalistique, Edwy Plenel, la gauche syndicale, l’Unef, mais aussi la ligue de l’enseignement, la Ligue des droits de l’Homme, qui ont fait rentrer les théories de Tariq Ramadan en leur sein ». Le lendemain, l’ex-premier ministre s’en est également pris à l’Observatoire de la laïcité. « Empêché, je n’ai pas réussi à changer l’orientation de l’Observatoire de la laïcité et ses responsables, coupables de tant de renoncements. Je ne cesse d’alerter : les pouvoirs publics ne peuvent pas s’appuyer sur cette institution pour promouvoir la laïcité. Il est temps d’agir ». Valls ne goûte guère Plenel ou Médiapart et ces derniers le lui rendent bien, l’assimilant à « ses réseaux » supposés du Printemps républicain, prototype même d’une supposée islamophobie en France selon le média.
- Le point de vue de Médiapart : « Laïcité, communautarisme, séparatisme, terrorisme… Tous les sujets sont désormais mélangés » et « l’heure n’est visiblement plus à la complexité ».
- Vient ensuite l’amalgame habituel, dans Médiapart, entre toute mesure envisagée pour lutter contre le terrorisme musulman et les idées de « l’extrême-droite ». C’est la conclusion de l’article, à demi-mots : le gouvernement met en oeuvre la politique de « l’extrême-droite » et ferait son jeu.
2e article : « Contre le CCIF et BarakaCity, Gérald Darmanin manie la menace de dissolution. »
Les arguments développés :
- L’accroche : « Après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, le ministre de l’intérieur met gravement en cause deux associations musulmanes. Et propose d’utiliser l’arme administrative plutôt que d’en débattre devant la justice. »
- Le ton ? Les rafles entre 1939 et 1945, ainsi : « Cette annonce très politique coïncide avec une vaste opération de police administrative : ce lundi, une quarantaine de particuliers et d’associations désignées par les services de renseignement comme appartenant à la mouvance islamiste font simultanément l’objet de« visites domiciliaires », le nouveau nom des perquisitions administratives depuis l’entrée en vigueur de la loi Silt, en 2017. Plusieurs imams et responsables associatifs musulmans figurent parmi les cibles. »
- S’ensuit la défense volontariste du CCIF qui serait la «figure de proue de la défense des droits musulmans en France ».
- Concernant « L’ONG BarakaCity», le cas serait différent : « La semaine dernière, son fondateur, très controversé, a été placé sous contrôle judiciaire dans l’attente de son jugement pour harcèlement en ligne ». Difficile de la défendre. Du moins, en ce mois d’octobre 2020 car Médiapart a longtemps défendu « l’ONG » : articles ici.
Pour démontrer que l’exécutif exagèrerait actuellement pour de basses fins politiques, Médiapart diffuse, dans cet article, une information qui mérite d’être lue par le plus grand nombre : « En quelques décennies, plusieurs associations communautaires musulmanes accusées d’inciter à la haine ou à la violence ont été dissoutes selon cette procédure. C’est le cas de Forsane Alizza, dissous en 2012, qui appelait à l’instauration du califat, à l’application de la charia en France et à l’union des musulmans en vue d’une guerre civile. De la « Fraternité musulmane Sanabil », dissoute en 2016, accusée de « faciliter des rencontres entre jihadistes radicaux » sous couvert d’aide aux détenus et à leurs familles. Ou encore de Killuminateam – Les soldats dans le sentier d’Allah –, début 2020, pour apologie du terrorisme. »
Mais en réalité, le danger ne viendrait pas de là : la plupart des dissolutions « visent, encore aujourd’hui, des groupuscules d’extrême droite ayant fait étalage de leur racisme, de leur antisémitisme ou de leurs projets de lutte armée. Début octobre, la Cour européenne des droits de l’homme a débouté trois d’entre elles – Troisième Voie, l’Œuvre française et les Jeunesses nationalistes – qui contestaient le bien-fondé de leur dissolution. »
3e article : « Chronique d’un terroriste annoncé »
Les arguments développés :
- L’accroche : « Mediapart publie de nouveaux éléments sur le compte Twitter d’Abdoullakh Abouyezidovitch Anzorov, le terroriste de Conflans-Sainte-Honorine. Dans un message publié avant le cours sur la liberté d’expression de Samuel Paty, il cherchait à obtenir une adresse, sans qu’on puisse déterminer s’il avait alors une autre cible. »
- Médiapart caractérise le tueur : « radical », « réfugié » légal (depuis mars 2020), « jamais condamné en France », ayant un compte Twitter en lien avec d’autres comptes du même type que le sien (islamiste, mais Médiapart ne le dit pas).
- Cependant, ce compte aurait dû attirer l’attention des autorités selon le média : « Les pseudos mêmes de certains followers sont inquiétants, tels « AminAttaque» et « MartyrFassi ». Un autre se fait appeler Al-Battar, qui est à la fois une référence à l’épée du Prophète mais aussi à une célèbre et sanguinaire katibat de l’État islamique dans laquelle sont passés plusieurs des auteurs des attentats du 13-Novembre à Paris et du 22-Mars à Bruxelles. Rapidement, @Tchetchene_270 se fait remarquer par son discours. Comme elle l’a raconté dans un tweet postérieur à l’attentat, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) a fait un signalement le 27 juillet en raison de propos « à caractère antisémite ».
- Médiapart choisit ensuite de mettre en avant des tweets par lesquels le terroriste islamiste ayant décapité Samuel Paty légitime ses opinions, ses propos et finalement, par avance, ses actes.
Globalement, l’article montre un individu agissant seul, ou avec peu de liens, influencé par les réseaux sociaux. Pas un musulman passant à l’acte terroriste.
La vérité est ailleurs
Car pour Médiapart, comme cela transparaît dans le deuxième article, les « vrais » problèmes sont ailleurs, ce que montre un autre article mis en Une, alors que ce fait divers pourrait être traité, ou pas du reste, en tout cas comme une information mineure : « Attaque d’un bar à Paris : cinq militants d’ultra-droite arrêtés »
Un « événement » d’importance pour ce média puisque l’article est confié à… trois journalistes : Matthieu Suc, Marine Turchi et Sébastien Bourdon.
L’accroche : « Selon nos informations, cinq membres du groupe d’extrême droite « Zouaves Paris » ont été arrêtés dans le cadre de l’enquête sur des violences commises le 4 juin au Saint-Sauveur, un bar antifasciste parisien. Ils sont renvoyés devant le tribunal correctionnel le 15 janvier 2021 pour des faits de violences en réunion. »
Les militants des Zouaves sont déférés devant le tribunal correctionnel pour des faits n’ayant pas entraîné d’ITT et pour quelques dégradations (quelques chaises reversées, deux vitres brisées, quelques tee-shirts emmenés.). À peine ce que certains habitants des cités de toutes les métropoles font dans tous les centre-villes quotidiennement, casquette sur la tête, origines ethniques brandies fièrement entre deux propositions d’achats de stupéfiants et franche rigolade en langue arabe. Médiapart insiste sur le fait que les Zouaves auraient été mis en fuite et indique que l’un des militants a été « passé à tabac », sans s’inquiéter de la violence de ce passage à tabac (la victime semble avoir un profil européen).
Le danger serait pourtant immédiat et très fort, le présumé meneur de ce groupe serait allé en Ukraine, aurait des connexions néo-nazies, aurait assisté à un concert de black métal, aurait rencontré des activistes ukrainiens… beaucoup de conditionnels dans cet article chez Médiapart, contrairement aux articles visant à minimiser ce qui tue réellement en France : l’islam.
Du côté des blogs Médiapart : un article scandaleux
Médiapart est aussi un média « participatif » qui accueille des blogs, en mentionnant que les articles publiés n’engagent que leurs auteurs et que la rédaction ne saurait être tenue responsable des propos tenus par ce moyen. C’est un mode de protection habituel. Cependant, la rédaction est attentive à ce qui se publie sur ses blogs. Ainsi, l’une de nos sources qui tenait un blog de critique littéraire dans les années 2012–2016 sur Médiapart nous a raconté avoir été contacté par la rédaction, Sylvain Bourmeau à l’époque. Il a dû fermer son blog car il défendait des romans autres qu’appartenant à la littérature parisienne de gauche, romans cependant tous publiés chez de gros éditeurs parfaitement reconnus par le monde de la culture.
Médiapart se sent donc parfois responsable de ce qu’il diffuse dans sa partie blog.
De ce fait, que penser de la diffusion d’un article intitulé « Exécution sommaire du suspect : nouvelle norme en matière de terrorisme » paru sur le blog « Horslesmurs » le 19 octobre 2020 ?
L’accroche : « L’exécution du jeune Tchéchène était facilement évitable. Malgré la dérive évidente que cette exécution sommaire symbolise, personne ou presque ne semble se préoccuper du mode opératoire des forces de l’ordre. » Ses auteurs (il est possible que ce soit un blog collectif) évoquent ici l’islamiste tueur de Samuel Paty. La décapitation barbare d’un professeur en France.
Selon l’article, la manière dont les médias traitent cet attentat est « partiale » et il y aurait un « flou » au sujet du « déroulé » des événements, de l’interpellation en particulier. Pour eux, « Ce jeune de 18 ans n’est, au moment précis de sa mort, qu’un suspect armé d’un jouet et d’un canif. Applaudir une police qui tue de façon aussi sommaire et systématique les individus suspectés de terrorisme, c’est applaudir une barbarie c’est encourager la spirale mortifère des violences policières et c’est embrasser ce choc des civilisations qui se trouve — depuis plus de 30 ans — en haut de l’agenda de toutes les extrêmes droites du monde ».
Devant les réactions suscitées par un tel article, les auteurs (ou Médiapart ?, ce n’est pas clair) ont décidé de l’amender le 20 octobre 2020, évoquant une « approche trop provocatrice ».
Précision des auteurs : « Or, si je comprends parfaitement pourquoi le couperet anti-conspi s’abat sur ce billet de blog, il me semble parfaitement injuste que Mediapart ou sa ligne éditoriale soient mis sur le banc des accusés, puisqu’ils n’exercent aucun contrôle a priori sur les billets de blogs. Et oui, c’est aussi cela, défendre la liberté d’expression… » Cette dernière information est contredite par l’exemple du blog de critique littéraire évoqué plus haut, poussé en son temps à la porte de Médiapart. Le média ne se gêne pas pour exclure ce qui ne lui plaît pas. Il conserve ce qui lui plaît. Ce blog et cet article ne semblent pas être pour déplaire à la rédaction de Médiapart.
L’auteur du blog fait ensuite mine de s’interroger et de ne pas comprendre pourquoi les forces de l’ordre seraient dans « l’incapacité ou le manque de volonté » de « capturer vivants les individus suspectés de terrorisme ». Le suspect en question était à proximité du cadavre décapité avec un couteau large de 35 centimètres. Les policiers se sont méfiés ? Rien ne disant qu’il n’avait pas autre chose sur lui, par exemple une ceinture d’explosif, une grenade ou un pistolet automatique. Sans doute « Horslesmurs » a‑t-il une pratique habituelle du combat contre ce genre d’individus et ce genre d’armes, ainsi que du type de situation dans lesquelles les forces de l’ordre se trouvent. Une suggestion : le ministère de l’intérieur devrait l’envoyer arrêter les individus suspects de terrorisme. Cet auteur aurait ainsi sans doute joué un rôle important s’il avait été conduit à l’intérieur du Bataclan, arrêtant le massacre par les pouvoirs magiques de son clavier. Une occasion ratée par les forces de l’ordre ?