L’agression à l’arme blanche du maire de Gdańsk, le libéral Paweł Adamowicz, sur la scène d’un concert caritatif le 13 janvier 2019 et son décès le lendemain des suites de ses blessures a été l’occasion pour certains médias libéraux-libertaires et de gauche de s’en prendre à un « climat de haine » que les conservateurs du PiS auraient généré depuis leur arrivée au pouvoir il y a trois ans.
Télévision publique accusée par l’opposition
La télévision publique TVP reprise en main par le PiS début 2016 s’est aussi retrouvée dans la ligne de mire de ces médias, qu’ils soient polonais ou européens. Elle aurait, par ses attaques incessantes contre l’opposition libérale et notamment contre la Plateforme civique (PO) et contre le maire Paweł Adamowicz, directement inspiré le tueur. Celui-ci, condamné à une peine de cinq ans de prison en 2013 pour des hold-ups contre plusieurs banques, aurait nourri sa haine de la Plateforme civique alors au pouvoir par les rappels incessants des affaires de corruption de la PO pendant les informations de TVP, seule chaîne que les prisonniers auraient le droit de regarder. Si le tueur sorti de prison en décembre 2018 après avoir purgé sa peine était soigné pour des problèmes de schizophrénie paranoïde, il n’aurait sans doute jamais commis son terrible geste sans la propagande anti-PO de la télévision publique souligne l’opposition polonaise reprise par certains médias à l’étranger.
Infox de Gazeta Wyborcza reprise en France
Une précision s’impose ici : Paweł Adamowicz avait suspendu son adhésion à la PO qui lui avait préféré un autre candidat au premier tour des élections municipales d’octobre dernier, justement en raison des accusations de corruption qui pesaient sur lui. L’acte d’accusation du parquet, concernant des omissions importantes sur ses déclarations de patrimoines, date de mars 2015, et donc d’avant l’arrivée au pouvoir du PiS. Deuxième précision : l’histoire de TVP qui serait la seule chaîne de télévision regardée dans les prisons est une fake news lancée sur Twitter par un journaliste du journal libéral-libertaire anti-PiS Gazeta Wyborcza, un certain Wojciech Czuchnowski. Ce bobard a été démenti dès le lendemain par l’autorité en charge des prisons qui a publié la liste des chaînes de télévision accessibles aux pensionnaires du centre pénitentiaire de Malbork où était incarcéré le tueur du maire de Gdańsk, et parmi lesquelles on trouve aussi les chaînes privées anti-PiS Polsat et TVN. Ce bobard a été repris par plusieurs médias polonais et internationaux, comme par exemple Le Figaro.
Deux poids deux mesures
Outre les fausses nouvelles accompagnant la couverture médiatique de cet assassinat par les grands médias, ce qui frappe, c’est le deux poids deux mesures. Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer cette nouvelle tragédie au meurtre d’un assistant parlementaire du PiS à Łódź en 2010 (voir infra). Alors que les motivations réelles de Stefan W., l’assassin d’Adamowicz, sont encore à confirmer par les enquêteurs et alors que l’on sait déjà avec certitude qu’il souffrait de troubles mentaux (schizophrénie paranoïde), le PiS et la télévision publique ont immédiatement été rendus responsables par plusieurs médias, soit directement, soit en tendant le micro à certains dirigeants de l’opposition libérale qui soutenaient cette thèse. Les exemples sont nombreux, et l’on ne pourrait les citer tous ici. Parmi eux, il y a eu le rédacteur-en-chef de Gazeta Wyborcza, Jarosław Kurski, repris dans l’article du Figaro cité plus haut, qui a publié un éditorial en ce sens le lendemain de la mort du maire, sous le titre « La mort de Paweł Adamowicz. La haine ensemencée finit tôt ou tard par donner une récolte ». Il y a eu encore la correspondante du journal anglais The Guardian, Agata Pyzik, qui a immédiatement qualifié sur Twitter ce crime de « premier meurtre d’un politicien motivé par une haine idéologique » commis par un « gangster sympathisant avec l’extrême droite ». On suppose ici que « l’extrême droite », ce serait le PiS, puisqu’aucun lien du tueur avec des groupes nationalistes n’a été établi ni même aucune sympathie particulière pour ce genre de groupes. C’est confirmé plus loin dans la discussion provoquée par ce tweet, quand la journaliste parle de la Pologne comme étant gouvernée par l’extrême droite.
Parmi les leaders de la Plateforme civique (PO) qui ont malgré tout rapidement imputé le crime commis à Gdańsk au PiS et aux médias publics, il y a eu Elżbieta Bieńkowska, ancienne ministre de Donald Tusk aujourd’hui commissaire européenne pour le Marché intérieur et les services. Dans un entretien avec le média anti-PiS OKO.press, elle a insisté sur le fait qu’il s’agissait d’un meurtre politique causé par l’action du PiS et elle a expliqué avoir dit à ses collègues à Bruxelles que cela faisait trois ans qu’elle craignait qu’une telle chose survienne en Pologne. Autre exemple : le Financial Times, dans un article intitulé « Le meurtre tragique de Gdansk est un avertissement pour l’Europe », a estimé que le PiS, et uniquement lui, devait changer de rhétorique et que la Pologne d’aujourd’hui serait « un exemple parmi d’autres du fossé qui se creuse en Europe entre le libéralisme tolérant et le nationalisme conservateur ».
Un libéralisme intolérant
Mais puisqu’il est question de « premier » meurtre motivé idéologiquement, Mme Pyzik a visiblement « oublié » le meurtre de Marek Rosiak, assistant parlementaire du PiS, en 2010, par un tueur dont la responsabilité totale au moment des faits et les motivations purement politiques ont été reconnues par la justice. Le meurtrier, Ryszard Cyba, ancien adhérent de la Plateforme civique (d’avril 2004 à janvier 2006) a fait irruption le 19 octobre 2010 dans la permanence de Łódź de Janusz Wojciechowski, député au Parlement européen du PiS, avec la volonté d’y tuer des membres du parti au seul motif de leur appartenance politique et faute d’avoir la possibilité de viser plus haut : il a ensuite crié aux policiers qui l’embarquaient avoir voulu tuer Jarosław Kaczyński qu’il haïssait. L’enquête a montré qu’il souhaitait aussi tuer au moins deux autres leaders de ce parti (Jacek Kurski, l’actuel président de la télévision publique, et Zbigniew Ziobro, actuel ministre de la Justice, les deux étant à l’époque députés au Parlement européen). Son attaque a fait un mort à par arme à feu et un blessé grave à l’arme blanche parmi les personnes présentes à la permanence de député. Seule l’intervention rapide d’un policier municipal alerté par le bruit a permis d’éviter un carnage. La justice polonaise, en le condamnant à perpétuité en décembre 2011, a estimé que le tueur de l’assistant parlementaire Marek Rosiak, était pleinement responsable de ses actes, qu’il avait agi par haine politique et qu’il avait été influencé par les médias (déjà très polarisés à l’époque, notamment dans le contexte de la catastrophe de Smolensk dans laquelle le président Lech Kaczyński avait perdu la mort avec 95 autres personnes). À l’époque, Gazeta Wyborcza et les médias libéraux avaient eu plutôt tendance à relativiser la motivation politique du tueur, cherchant au contraire à le décrire comme un déséquilibré qui aurait pu viser n’importe qui, comme dans cet article publié deux jours après l’attentat. Tout le contraire de l’attitude adoptée par ces mêmes médias après le meurtre du maire de Gdańsk, donc.
Gazeta Wyborcza et les discours de haine
Et pour cause ! Le journal n’était pas pour rien dans le « climat de haine » développé à l’époque contre l’opposition conservatrice. Ainsi, une semaine avant le crime de Ryszard Cyba, voici ce qu’on pouvait lire sur le leader du PiS, frère jumeau du président défunt, dans Gazeta Wyborcza, dans un article intitulé « Les vrais Polonais sont de retour », à propos des manifestations de l’opposition devant le Palais présidentiel à Varsovie contre la manière dont était menée l’enquête sur la catastrophe de Smolensk. En-tête, l’article de Tomasz Wołek est résumé ainsi : « Il ne reste plus à Kaczyński qu’à compter sur une crise, des émeutes, une déstabilisation, et même la dislocation de l’État. Sur une sorte de guerre civile. » Suit une description du retour des « Vrais Polonais » évoquant une marche de SA du début des années 30 en Allemagne. L’auteur explique entre autres choses que c’est Jarosław Kaczyński qui a permis aux « Vrais Polonais » de sortir de l’ombre, où ils respiraient seuls les « vapeurs de leur idéologie empoisonnée », s’abreuvant de lectures antisémites, etc. etc. Et les voilà qui, derrière Kaczyński, entament une marche triomphale vers le pouvoir. » « Kaczyński s’est lancé dans un jeu qui fait courir à la Pologne un danger mortel », poursuivait le journaliste, « il a piétiné et retourné à 180° les principes élémentaires de la politique démocratique. (…) Il suit cette voie avec une détermination enragée, sans prendre garde aux conséquences. Il semble prêt à mettre le feu à la Pologne pour atteindre son but. Il est déjà parvenu à diviser la société, à susciter l’agressivité, à faire renaître une ambiance proche de l’atmosphère explosive des années 20 et 30. » Etc.
Ces « Vrais Polonais » dont parlait le journaliste pour comparer Kaczyński à une sorte de nouvel Hitler provenaient d’une phrase imputée quelques jours plus tôt au leader conservateur C’est une journaliste de la télévision TVN (aussi violemment hostile au PiS que Gazeta Wyborcza) qui l’avait mis dans la bouche de Jarosław Kaczyński, pendant les informations du soir (les plus regardées). Mais cette phrase était inventée de toutes pièces, ce que la télévision TVN avait ensuite expliqué par une erreur due à la mauvaise qualité de l’enregistrement. Avant le démenti de TVN cette phrase avait été déjà largement commentée et dénoncée par plusieurs leaders de la Plateforme civique, qui gouvernait alors la Pologne. Après le démenti cette expression de « Vrais Polonais » a continué d’être imputée à Kaczyński et l’est jusqu’à aujourd’hui. C’était ainsi le cas, par exemple, dans l’article de Wołek publié dans Gazeta Wyborcza le 13 octobre 2010 alors que le démenti de TVN avait déjà été relayé et expliqué dans tous les grands médias, comme ici la veille de l’article de Wołek sur le site de la radio Tok FM (qui appartient au même groupe médiatique, Agora, que Gazeta Wyborcza et qui a ses locaux dans le même immeuble).
Entre la télévision publique TVP qui rappelait à chaque fois qu’elle le pouvait, jusqu’à l’exagération, les accusations de corruption et d’enrichissement indu pesant sur le maire de Gdańsk et les médias Gazeta Wyborcza et TVN qui cherchaient et cherchent encore à faire passer les conservateurs du parti Droit et Justice, qui se réclament de la démocratie chrétienne, pour des fascistes ou des nazis prêts à mettre la Pologne à feu et à sang, qui sont donc les principaux coupables de ce « climat de haine » supposé régner aujourd’hui en Pologne ?
La polarisation politique en Pologne
La réponse à cette question nous est donnée par une étude sur la polarisation politique des Polonais conduite par l’Université de Varsovie à l’automne 2018. Cette étude montre que les partisans de l’opposition d’aujourd’hui nourrissent bien davantage de haine contre les sympathisants du PiS que ces derniers à leur égard. Le même journal Gazeta Wyborcza a cherché à comprendre cette situation en interrogeant un des auteurs de l’étude. Quand on lui demande si cette animosité n’est pas dûe à un sentiment d’impuissance lié au fait que le PiS est en ce moment au pouvoir, la psychologue de l’Université de Varsovie cite la même étude faite en 2013, qui avait montré qu’à l’époque les gens qui croyaient à la thèse d’un attentat à Smolensk le 10 avril 2010 (majoritairement proches du PiS) avaient des sentiments plus amicaux vis-à-vis de ceux qui voyaient en cette thèse une théorie du complot (ce qui était le cas de tous les partisans du gouvernement PO-PSL) que ces derniers à leur égard.
S’ils rendent aujourd’hui volontiers la télévision publique polonaise coresponsable du meurtre commis contre la personne du maire de Gdańsk, les médias comme Gazeta Wyborcza et TVN devraient donc a fortiori se considérer comme coresponsables du meurtre de Marek Rosiak en 2010 et de tous les cas de vandalismes et de tentatives d’incendie contre les permanences du PiS de ces dernières années ? Il semblerait qu’ils ne prennent pas cette voie.