L’attentat de Chritschurch et celui de Milan ont des similitudes sur le plan des victimes atteintes ou épargnées. Un peu plus de cinquante de chaque côté. Au delà de cette comparaison morbide, une rapide revue de presse européenne découvre des commentaires bien différents. Une condamnation sans réserve pour Brenton Tarrant et une forme de compréhension voire d’empathie pour Osseynou Sy.
Les journaux italiens
« Si l’auteur des attentats de Christchurch en Nouvelle-Zélande était mû par l’idéologie suprématiste, alors Osseynou Sy s’était-il de la même manière inspiré des bonnes âmes favorables aux débarquements [de migrants dans les ports italiens] ? » La question était posée dans le journal italien de droite Il Giornale le 21 mars, au lendemain de l’enlèvement de 51 élèves d’une école de la banlieue de Milan par un chauffeur de bus italien d’origine sénégalaise (naturalisé en 2004) armé qui a ligoté ses victimes, leur a dit qu’il allait les tuer, a répandu un liquide inflammable dans l’intérieur de l’autocar et mis le feu pour venger les « migrants » morts en Méditerranée.
Les carabiniers étant parvenus à sauver in extremis les enfants grâce à l’appel de l’un d’entre eux qui avait réussi à récupérer son téléphone sans que leur agresseur ne s’en aperçoive, les médias hors d’Italie ont tout naturellement accordé moins d’attention à cet acte terroriste qu’à celui perpétré par l’Australien Brenton Tarrant. Des similitudes existent cependant entre les deux actes, puisque là où Tarrant prétendait agir contre le « Grand Remplacement », c’est-à-dire contre l’immigration de masse et l’islamisation de l’Occident, et notamment de l’Europe qu’il avait visitée, Sy a déclaré « entendre les voix des enfants morts en mer qui me disaient de faire un geste fort ». Venger les morts en mer et forcer Salvini à rouvrir les ports, donc. S’il avait réussi son coup, le noir Sy aurait fait à peu près le même nombre de victimes que son alter ego blanc Tarrant. Mais là où la presse de gauche n’affiche aucune compréhension ou compassion pour les motivations de Tarrant, elle n’hésite pas à l’occasion de l’acte de Sy à aborder comme le fait La Reppublica la question du droit du sol et du navire Mare Jiono qui venait d’être saisi à la demande de Salvini après avoir ramené des migrants en Italie. Si le journal de gauche La Reppublica rappelle le sort des migrants à l’occasion de l’acte fou de cet Italien d’origine sénégalaise, le jour du massacre de Christchurch ce journal de gauche mettait en opposition la déclaration « controversée » de Salvini, comme quoi « l’unique extrémisme qui mérite notre attention est l’extrémisme islamique » et les déclarations du Pape et d’autres leaders condamnant l’acte terroriste de l’Australien (que Salvini a bien entendu condamné lui aussi). Dans un article publié le 16 mars, le lendemain de l’attentat, La Reppublica faisait par ailleurs le lien entre l’Australien Branton Tarrant et… Donald Trump.
En France
Pour ce qui est des journaux français, des propos du terroriste de Milan mettant en cause Salvini sont rapportés sous forme de citation, comme dans Le Figaro : « Il nous menaçait, disait que si nous bougions il verserait l’essence et allumerait le feu. Il n’arrêtait pas de dire qu’il y avait tant de personnes en Afrique qui continuaient à mourir et que c’était la faute de Di Maio et Salvini ». Ou encore : « l’homme a expliqué durant son interrogatoire qu’il ‘voulait faire un geste éclatant pour attirer l’attention sur les conséquences des politiques migratoires’ ». On précise qu’il a agi sans lien avec l’islamisme radical, que c’est un loup solitaire, et qu’il « a posté sur Youtube une vidéo pour expliquer son action et dire ‘Afrique soulève-toi’ ». Le ton neutre frappe par rapport aux articles de la semaine précédente sur le manifeste et les motivations du terroriste australien de Christchurch. Les journaux français ont d’ailleurs mis un certain temps à réagir, comme le dévoilait le service CheckNews de Libération le 21 mars (le lendemain de l’acte terroriste) : « Vous nous avez demandé de vérifier un article relayé par le site identitaire Fdesouche, intitulé ‘Italie : Un Sénégalais met le feu à un bus rempli d’enfants pour “venger les migrants morts en Méditerranée”.’ Le texte de Fdesouche est un patchwork d’extraits d’article d’abord du site sénégalais Senego et de la chaîne belge RTL, citant le journal italien la Stampa. Il a ensuite été complété par une dépêche AFP publiée par Le Figaro. » Comme Le Figaro, Le Monde a relayé les motivations d’Osseynou Sy qui « a menacé de mort les adolescents, invoquant le sort des migrants disparus en Méditerranée pour expliquer son geste ». « ‘Il nous menaçait, disait que si nous bougions il verserait l’essence et allumerait le feu. Il n’arrêtait pas de dire qu’il y avait tant de personnes en Afrique qui continuaient à mourir et que c’était la faute de Di Maio et Salvini’ – les deux vice-premiers ministres italiens et hommes forts du pays –, a raconté une fillette. », pouvait-on lire sur le site du Monde qui proposait à ses lecteurs, juste en dessous de l’article, de « Lire aussi : Les exagérations de Matteo Salvini sur l’immigration en Italie ».
Le Monde ne se pose pas la question de savoir si le discours de la gauche immigrationniste n’a pas pu inspirer le terroriste d’origine sénégalaise. En revanche, après l’attentat de Christchurch, un article de la rubrique Les Décodeurs du site du journal mettait directement en cause Renaud Camus à l’origine de l’expression « Grand Remplacement » reprise par Brenton Tarrant dans son manifeste : « L’écrivain d’extrême droite Renaud Camus n’est pas homme à se morfondre dans la mauvaise conscience. Peu lui importe que, pour justifier son attentat sanglant, l’un des terroristes qui ont fait au moins 49 morts dans une double attaque contre des mosquées en Nouvelle-Zélande se soit réclamé du concept de ‘grand remplacement’ qu’il a forgé. Sur Twitter, M. Camus se contente de rappeler qu’il condamne la violence, et estime n’avoir aucune responsabilité dans le passage à l’acte de Brenton Tarrant. » Tous les grands journaux français ont d’ailleurs, à l’instar de leurs homologues européens, immédiatement souligné le côté « extrême droite » et « xénophobe », « raciste » et « suprématiste blanc » de l’Australien de 28 ans. Même Le Figaro a semblé mettre Renaud Camus en cause en écrivant : « ‘Moi, je suis absolument non-violent’, a affirmé l’écrivain, qui a été condamné en 2015 pour provocation à la haine ou à la violence contre les musulmans. » Rien de tel à propos de l’Africain de 47 ans qu’on aurait pourtant logiquement dû rattacher de la même manière à la gauche immigrationniste. Quoi qu’il arrive, à en croire tous les grands journaux nationaux français et leurs homologues italiens de gauche, la faute incombe aux populistes.
En Allemagne
En Allemagne, le Frankfurter Allgmeine Zeitung (FAZ) adopte la même attitude, mettant en avant pour l’attaque terroriste près de Milan les motivations de l’Italien d’origine sénégalaise et la politique impitoyable de Salvini vis-à-vis des migrants, comme on a pu le voir à nouveau « cette semaine », quand « le bateau Mare Jonio a été saisi juste après avoir sauvé des migrants » (il n’est pas précisé que les migrants récupérés par le Mare Jonio l’ont été, d’après les autorités italiennes et libyennes, par mer calme juste avant l’arrivée des garde-côtes libyens). Le terroriste australien, en revanche, avait été immédiatement décrit dans les colonnes du FAZ comme « originaire d’Australie, un pays avec une longue tradition d’idéologie d’extrême droite et une attitude de plus en plus anti-musulmane ». Le FAZ aussi attribue un rôle au Français Renaud Camus, puisque « le titre du manifeste, ‘Le Grand Remplacement’, fait allusion à une théorie du complot qui remonte à l’écrivain français Renaud Camus ». Comme d’autres grands médias, le FAZ met aussi en cause le rôle d’Internet dans les opinions extrémistes développées par Brenton Barrant. Pour Osseynou Sy, il n’évoque en revanche aucun rôle des grands médias pro-accueil des migrants et anti-Salvini.
Le titre de Die Welt indique lui aussi aux lecteurs que « Le chauffeur de bus voulait attirer l’attention sur la mort des réfugiés en Méditerranée », tandis que dans le cas de l’attaque terroriste de Christchurch le même journal affirmait que la Nouvelle-Zélande « était fière de son ouverture, mais a peut-être trop longtemps fermé les yeux sur la montée de l’extrême droite ».
Angleterre
Le journal anglais de gauche, The Guardian, a également expliqué en long et en large à quel point « Christchurch montre comment les médias sociaux aident à diffuser le poison de l’idéologie d’extrême droite », sans pour autant s’interroger sur le poison de l’idéologie de la gauche immigrationniste qu’aurait pu mettre en évidence la tentative de massacre des environs de Milan, dont l’auteur « aurait expliqué à la police qu’il voulait se tuer et ‘arrêter les morts en Méditerranée’ ».
Espagne
Le journal espagnol El País, lui aussi de gauche comme Le Guardian et Le Monde auxquels il est associé au niveau européen, a expliqué à ses lecteurs que « le jour-même où le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini évitait d’être jugé – pour séquestration de personnes pour ne pas avoir laissé débarquer 150 migrants à Catane en août dernier – et où le gouvernement confisquait le bateau d’une ONG qui venait de sauver 49 personnes en mer, Sy Ouseynou a pété les plombs : ‘C’en est assez ! Il faut mettre fin aux morts en Méditerranée ! ». Selon El País, « Salvini a profité du succès [des carabiniers] pour déployer son programme électoral et il a annoncé que la nationalité serait retirée au détenu ». Dans le cas de l’attentat de Christchurch, El País parlait en revanche d’un « attentat suprématiste contre deux mosquées » commis par « un homme d’extrême droite islamophobe ». C’était plus simple…