Le 2 septembre 2020, paraissait le nouveau livre d’Aude Lancelin, La Fièvre, fresque épique de la séquence gilets jaunes ou bien coup marketing au choix. On se souvient de son passage au Nouvel Obs où sa réputation faisait d’elle une libertaire supportant plutôt bien le « capitalisme bourgeois ».
Depuis ses licenciements de l’hebdomadaire, puis du Média de la France Insoumise, la fondatrice de QG multiplie les interventions en faveur des causes indigénistes, LFI, tout en défendant les gilets jaunes, les représentants de la France des villes moyennes, « les perdants de la mondialisation ».
Qu’en est-il dans ce livre ?
La romancière des gilets jaunes ?
Enfin un livre qui rend justice clame-t-on sur certains réseaux sociaux, Lancelin elle-même le revendique comme le roman des gilets jaunes. Sur son compte Twitter, « l’amie du peuple » revendique le mouvement des gilets jaunes comme par essence la révolution contre la déshumanisation bureaucratique.
Du mouvement, on n’en retient pas les causes conjoncturelles : la limitation routière à 80km, la taxe carbone, l’aspect jacquerie. Le narrateur a plus la posture d’un observateur étranger au mouvement qu’à « un des leurs ». Quid de la tentative de noyautage par l’extrême-gauche de ce mouvement ? D’un mouvement qui réclame la dignité et le mieux-vivre, on fait un mouvement révolutionnaire vaguement marxisant.
Annie Ernaux, romancière du féminisme et des lieux-communs soixante-huitards parle de ce roman comme d’une vérité épique… sans populisme. C’est du Hugo ou du Sue, mais en mieux. Avec 280 pages, la fresque épique n’est pas bien ambitieuse. Au niveau du style, on a ce qui se fait depuis des années : essayer de faire du non-style en plaçant çà et là des références à la fois littéraires, qui sentent bon la khâgne, et des références « populaires » pour essayer de susciter une espèce de communauté de valeurs et d’adhésion.
Itinéraire d’un cas de conscience
Si le récit entend retracer le parcours d’un jeune gilet-jaune, la trame se déroule beaucoup plus autour des deux personnages. ‘Eliel Laurent, dont il nous est dit qu’il est l’ami d’une « journaliste banale », et de Laurent Bourdin. On peut deviner qu’il s’agit du même personnage dans la tête de Lancelin.
On pourrait y voir la représentation de sa propre schizophrénie entre le journaliste « illusions perdues » d’une gauche libertaire en cours de reconversion dans le gauchisme indigéniste, et le journaliste en quête de notoriété, de reconnaissance. Le tout dans un monde médiatique qui ressemble cruellement à ce que l’OJIM montre depuis des années à la fois au sujet du décalage entre les médias et la réalité des gens, mais aussi du décalage au sein même de ces médias entre la hiérarchie et la base : le haut et le bas clergé.
Plus que tout, le mode de vie d’Eliel témoigne d’un certain parisianisme et amène à poser le problème de la sociologie du journaliste-type de nos jours et de l’impact que cela peut avoir sur le contenu et la forme de son travail. Lancelin, sur une sorte de chemin de Damas, veut devenir la Luther des medias ou du Média/QG à la fois contre les médias dominants et contre les fascistes… Rien de nouveau sous le soleil, camarade encore un effort !