Elle était heureuse de travailler au Média, le « média indépendant » mais tout de même très lié à Mélenchon, « parce que faire un journalisme aligné avec ses idées est une occasion qui ne se présente pas plusieurs fois dans sa vie ». Aude Rossigneux n’a pourtant pas fait de vieux os au Média, qu’elle a quitté en l’accusant de l’avoir limogée avec un « management à la Bolloré ». Le malaise est perceptible au sein du média proche de la France Insoumise. Même s’il n’y a rien d’étonnant au vu des racines idéologiques de la France Insoumise et de l’entourloupe associative autour du statut des socios (sociétaires), bons pour payer, pas pour être écoutés.
« Assommée » par son « éviction » qui la laisse « en état de sidération », selon sa tribune libre publiée par le média Électron libre [où Xavier Niel a investi] Aude Rossigneux dénonce la « brutalité » du traitement qui lui a été réservée. Elle que Le Média est allée chercher comme « femme de la situation » pour « aller au charbon chez les confrères plus ou moins bien disposés, pour présenter et défendre le projet ». Elle décrit une équipe « pas loin du du burn-out » avec plusieurs arrêts de travail et un traitement « pas exactement conforme à l’idée que chacun se fait d’un ‘management’ de gauche. Une brutalité qui serait peut-être un sujet pour ‘Le Média’ si elle était le fait d’un Bolloré ».
Les « Socios » spectateurs
Le malaise chez les sociétaires et spectateurs du Média est perceptible ; on leur avait promis qu’ils seraient au cœur du dispositif, ils se retrouvent en spectateurs consternés de décisions peut-être contestables et surtout fortement autoritaires. Plutôt style Mélenchon que comité citoyen. Certains sont assez violents dans leur réaction : « pour être différents des autres médias, pour se démarquer des magouilles capitalistes, pour prouver que nous sommes meilleurs, solidaires, démocrates, opposés au management des prédateurs capitalistes ou des machines à broyer staliniennes, la patronne Chikirou se bollorise sans vergogne, impose un licenciement brutal, sans consulter les socios, sans dire un mot, avec le soutien maoïsant et silencieux du freudiste de service [Gérard Miller]. Perso, je me retire », réagit ainsi l’un d’eux.
Le Média accuse Aude Rossigneux d’incompétence et de dirigisme
Du côté de l’équipe, on laisse planer des difficultés d’organisation, notamment au niveau du JT. Gérard Miller précisait à Libération : « Elle était journaliste, comme les autres. On voulait aussi, dès le début, une présentation tournante du JT. On lui a dit, au bout d’un mois, qu’il fallait réorganiser la formule. Elle ne voulait pas faire autre chose ». Plusieurs journalistes du Média (Gérard Miller, Virginie Cresci, Yanis Mhamdi, Théophile Kouamouo) ont défendu leur direction dans les autres médias et sur Twitter et dénoncent notamment le parallèle avec le management à la Bolloré, jugé « infâme » par le premier.
Dans une lettre « confidentielle » aux socios, les trois confondateurs du Média, Sophia Chikirou, Henri Poulain et Gérard Miller, « sous le choc d’autant de déloyauté » établissent leur ligne de défense. En commençant par charger les autres médias : « Imaginez la délectation de tous les médias de TF1 à BFMTV, du Parisien au JDD, d’Europe 1 à Radio France ! Imaginez leur plaisir de répandre sans rien savoir de la réalité, une « information » qui charge ainsi Le Média : « Voyez, ils sont aussi pourris que nous ! » — c’est bien, en substance, ce que ces médias racontent en boucle depuis hier ».
Aude Rossigneux obligeait « une jeune journaliste à faire son travail »
Premièrement, Aude Rossigneux était pour eux en période d’essai, qui vise à vérifier les compétences, la motivation, l’implication du salarié et sa capacité à travailler en équipe. Or, « nous avons relevé énormément de lacunes, de limites depuis les premiers jours. Nous avons même publiquement défendu Aude face aux moqueries des journalistes issus des mêmes médias qui aujourd’hui font semblant de la plaindre », relèvent les trois co-fondateurs. Ils reviennent aussi sur les cafouillages autour du JT : « son contrat de travail prévoit la réalisation de sujets de reportage, la rédaction de « fil d’infos » mais ni la rédaction en chef ni la présentation du journal ! Ce sont des rôles qu’elle a revendiqués contre l’avis général ». La défense enfoncerait presque Le Média : une cabale collective a‑t-elle eu raison d’Aude Rossigneux… comme cela arrive dans les autres médias ?
Ensuite, suivant le proverbe selon lequel qui veut tuer son chien l’accuse de la rage, suit une longue litanie de griefs. Ainsi, contre la « brutalité » du management, les cofondateurs opposent des pratiques dirigistes voire paresseuses de l’intéressée : « nous n’étions pas d’accord avec le fait qu’elle ait « obligé » une journaliste plus jeune à devenir son assistante personnelle et à faire son travail. Nous n’étions pas d’accord avec le fait qu’elle n’ait jamais rédigé un seul article, ni jamais réalisé un reportage ».
Et ce alors qu’elle aurait été choyée : « recrutée en janvier 2018 par Le Média, elle a obtenu le salaire le plus élevé, plus du double du salaire d’un jeune salarié. Elle a travaillé 4 jours par semaine. Elle était quotidiennement aidée par ses collègues pour assumer la seule tâche de « présentation » du Journal quand ces mêmes collègues réalisaient de nombreuses tâches comme rédiger des articles, réaliser des reportages, mener des interviews, animer des émissions ».
Pour Le Média, jamais il n’a été demandé à Aude Rossigneux de quitter l’aventure
Pour les cofondateurs du Média, « c’est le plus incroyable du mail d’Aude, il ne lui a pas du tout été demandé de quitter Le Média ». Mais la défense officielle pêche par un détail : « l’annonce de notre volonté de mettre fin à son contrat de journaliste a eu lieu le lundi 19 février à 9 heures : durant deux heures, nous avons discuté avec elle et lui avons proposé d’animer deux émissions sur le thème de son choix ». « Mettre fin à son contrat de journaliste »… si ce n’est pas une fin de contrat, ça y ressemble beaucoup même si on lui propose d’animer une émission santé à titre de consolation.
Au passage, Le Média affirme que les arrêts-maladie des salariés ne sont pas consécutifs au burn-out et encore pire dû pour l’un d’eux à Aude Rossigneux elle-même : « l’une des salariés a été arrêtée pour une « infection pulmonaire», l’autre a dû être arrêtée suite à un incident lié directement à Aude (et dont on ne peut parler ici) et le troisième a déclaré un arrêt maladie après un décès dans sa famille ».
Conclusion des cofondateurs du Média : « en conclusion, nous ne regrettons absolument pas cette décision. La suite nous confirme qu’il était temps de percer l’abcès ». Le management coopératif ne semble pas à l’épreuve des différents egos, illustrant par là un conflit du travail somme toute classique et banal. Pendant ce temps là, on ne parle pas des audiences, qui ne décollent pas vraiment, comme le remarquent – malgré l’absence de chiffres officiels – les socios. Encore eux. Les audiences sont même en forte baisse, de 50.000 à 15.000 vues en moyenne sur YouTube, relève L’Obs.