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Bakchich a bien été acheté par Alexandre Djouhri

18 novembre 2016

Temps de lecture : 6 minutes
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Bakchich a bien été acheté par Alexandre Djouhri

Temps de lecture : 6 minutes

Décidément, l’heure est à la dénonciation des connivences, parfois à prix d’or, entre protagonistes d’affaires politiques et journalistes ou médias. Après Aude Lancelin et sa violente charge contre Le Nouvel Obs, c’est Mediapart, sous la plume de Karl Laske et Fabrice Arfi, qui jette un pavé dans la mare au sujet des très chers amis, c’est le cas de le dire, de l’intermédiaire Alexandre Djouhri, proche de Nicolas Sarkozy.

Par­mi eux, Nico­las Beau, directeur de Bakchich, un jour­nal d’in­ves­ti­ga­tion plutôt mar­qué à gauche. Il y avait bien une rumeur selon laque­lle Alexan­dre Djouhri était entré au cap­i­tal de Bakchich lorsque ses caiss­es étaient vides, mais elle a tou­jours été démen­tie par le directeur du jour­nal, Nico­las Beau. En 2011, le jour­nal­iste Pierre Péan fai­sait paraître La République des mal­lettes, enquête sur la prin­ci­pauté française de non-droit. Il y reve­nait sur l’af­faire : « le 14 mai 2010, dans l’émis­sion de Guy Biren­baum “La ligne jaune” dif­fusée sur Arrêts sur Images, Nico­las Beau, patron du site d’in­for­ma­tion satirique Bakchich.info expli­quait qu’après avoir été placée en redresse­ment judi­ci­aire, son entre­prise jour­nal­is­tique allait pou­voir repar­tir : il avait réu­ni 700 000 € et son plan de sauve­tage était accep­té par le tri­bunal de Com­merce. Guy Biren­baum fait état d’une rumeur selon laque­lle Alexan­dre Djouhri serait l’un des nou­veaux action­naires de Bakchich ».

Mais Nico­las Beau dément immé­di­ate­ment en par­lant d’une « rumeur malveil­lante » mais en recon­nais­sant toute­fois qu’il a « ren­con­tré Djouhri deux fois » après qu’il se soit ému d’un arti­cle paru en 2006 à son sujet et porté plainte, récla­mant 200 000 euros de dom­mages et intérêts.

Objectif : protéger Proglio et Djouhri ?

Aux abois, Bakchich est placé en redresse­ment judi­ci­aire le 9 novem­bre 2009. L’ar­gent ren­tre mal : « l’administratrice judi­ci­aire Aurélia Perdereau n’est pas con­va­in­cue par le plan pro­posé par Nico­las Beau », con­state Pierre Péan. « Le 5 mars 2010 [elle] se rend dans les locaux de Bakchich pour informer la direc­tion du site que si l’ar­gent n’est pas ver­sé d’i­ci au lun­di suiv­ant elle devra saisir le tri­bunal de com­merce en vue de la liq­ui­da­tion immé­di­ate de l’en­tre­prise. Nico­las Beau har­cèle l’é­tude Jacque­moud & Stanis­las pour accélér­er le pre­mier verse­ment de 130 000 euros. Le lun­di 8 mars il appelle sa banque pour savoir “si un gros vire­ment de l’é­tranger a été fait”. Le vire­ment est effec­tué dans la nuit du 8 au 9 mars 2010. Les salaires en souf­france sont virés les mer­cre­di 10 et jeu­di 11 mars. Dans la rédac­tion le nom du “sauveur” cir­cule : il s’a­gi­rait bien de Djouhri ! ». Mais offi­cielle­ment, l’ad­min­is­tra­trice judi­ci­aire se voit expli­quer que l’émet­teur du vire­ment est un cer­tain Aref Mohammed, avo­cat de Dji­bouti, qui ne cor­re­spond qu’à tra­vers son con­frère genevois Jacque­moud. Le rap­port de l’ad­min­is­tra­trice judi­ci­aire ne per­me­t­tra pas de lever l’in­cer­ti­tude quant à l’i­den­tité réelle de l’ap­por­teur de fonds.

Pierre Péan affirme que « Jacques-Marie Bour­get […] un “vieux de la vieille” jouant le rôle de mar­gin­al dans le jour­nal […] sert de go-between entre Alexan­dre Djouhri, dont il est proche, et Nico­las Beau ». Fin 2009 les caiss­es du jour­nal sont vides et plusieurs de ses col­lab­o­ra­teurs tra­vail­lent sur l’af­fron­te­ment entre Proglio et Lau­ver­geon, d’EDF à Are­va. Curieuse­ment, « Bour­get est chargé de la coor­di­na­tion du dossier. Il trans­forme l’en­quête en bru­lot anti-Lau­ver­geon, qui paraît dans le numéro 16 de Bakchich papi­er, du same­di 20 mars 2010. Le prin­ci­pal papi­er a été signé par Bour­get, un autre sous pseu­do­nyme, quant à celui d’Er­ic Lafitte, plutôt favor­able à Lau­ver­geon, il a été net­toyé pour en faire un arti­cle à charge con­tre Are­va, “les déboires de l’EPR”. Cette inter­ven­tion crée de vifs remous à l’in­térieur de la rédac­tion, la secré­taire de rédac­tion claque la porte avec fra­cas ».

Cepen­dant, à Pierre Péan, Nico­las Beau affirme alors qu’il n’a ren­con­tré Djouhri que pour que celui-ci retire ses plaintes et ses deman­des d’in­dem­ni­sa­tion, 200 000 €, qui plom­baient le plan de redresse­ment et qu’il fal­lait pro­vi­sion­ner. « Jacques-Marie Bour­get m’a arrangé un ren­dez-vous avec lui. Je l’ai vu deux fois. Je préférais enter­rer la hache de guerre. Je me suis engagé à ne plus par­ler de lui. Djouhri a retiré ses plaintes et facil­ité ain­si le redresse­ment ». Ce qui pose tout de même un prob­lème déon­tologique de taille.

Djouhri, actionnaire généreux et discret

Néan­moins, « cet argent n’a pas porté chance à Nico­las Beau », remar­que Pierre Péan. « La rédac­tion, dev­enue méfi­ante envers le duel Beau-Bour­get, préfère arrêter l’aven­ture en décem­bre 2010. Nico­las Beau l’a écoutée : Bakchich est mis en liq­ui­da­tion judi­ci­aire le 26 jan­vi­er 2011 ». C’est peut-être pour cela que six ans après, il finit par met­tre fin aux incer­ti­tudes en recon­nais­sant, dans son dernier livre, Les Beur­geois de la République (Seuil), l’ac­cord qu’il a passé avec Alexan­dre Djouhri. Medi­a­part cite ses con­fes­sions : « L’entrée au cap­i­tal de Bakchich, pour un total de 400 000 euros, a été scel­lée lors d’une ren­con­tre organ­isée par Bernard Squarci­ni, patron des ser­vices de ren­seigne­ment intérieur sous Sarkozy, à l’hôtel Bris­tol avec l’intermédiaire, racon­te-t-il. “L’accord fut con­clu au troisième verre de Bor­deaux”, pré­cise-t-il, sans regrets appar­ents. Ces fonds facili­tent il est vrai la relance du titre – et le lance­ment d’une nou­velle for­mule en mars 2010 – jusqu’à son dépôt de bilan en jan­vi­er 2011. »

Dans son livre, Nico­las Beau porte la somme des deman­des judi­ci­aires de Djouhri à « 300 000 € », une somme peut-être plus impres­sion­nante pour le quidam, et affirme que c’est Bernard Squarci­ni, et non Jacques-Marie Bour­get, qui a provo­qué le rap­proche­ment. Sans aucun regret, Nico­las Beau affirme « jamais un action­naire de presse ne se mon­tra aus­si dis­cret dans ses rela­tions avec les jour­nal­istes ». Mais la mise à la trappe des élé­ments qui pou­vaient accuser Proglio, et la réori­en­ta­tion du dossier paru le 20 mars con­tre la ges­tion de Lau­ver­geon sem­blent démon­tr­er le con­traire. Dès le début du para­graphe suiv­ant, Nico­las Beau en fait l’aveu un peu orgueilleux : « loin de toute médi­ati­sa­tion, Alexan­dre Djouhri a réus­si le tour de force de séduire les puis­sants, de les tutoy­er et d’en faire des oblig­és ».

Jusqu’alors, Bakchich avait fait paraître plusieurs arti­cles pré­cis et doc­u­men­tés sur Alexan­dre Djouhri. Bien que ces arti­cles aient dis­paru du web, ils ont été repris dans des blogs, et on peut ain­si en suiv­re la trace. En 2006 notam­ment Bakchich met en lumière les liens entre Pasqua et Alexan­dre Djouhri et rap­pelle qu’il a par­ticipé à un règle­ment de comptes, s’y est servi d’une arme et a été blessé, selon un rap­port de police con­sulté et pub­lié par le mag­a­zine. À par­tir du moment où Djouhri a apporté ses fonds, sur­prise, plus aucun arti­cle sur lui. Et le site Bakchich a mérité son nom. Ce qui ne lui a pas évité du reste la fail­lite et la disparition.

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