Dans les affaires il n’y a pas de sentiment ou seulement ses apparences. Arnault était venu au secours de Lagardère junior en prenant 27% des parts de sa holding, il en émerge pour ressortir à l’étage du dessous. Explications techniques et politiques en quatre rounds.
Premier round, Bernard au secours !
C’est peut-être ce qu’a lancé Arnaud Lagardère lorsque sa holding personnelle Lagardère Capital qui ne publiait plus ses comptes depuis belle lurette s’est révélée très lourdement endettée. Ceci alors que le système de la commandite de Lagardère SA (la société opérationnelle) le rendait responsable sur ses biens propres. Une situation proche de la banqueroute. Avec l’aimable entregent de Nicolas Sarkozy, membre du conseil de surveillance du groupe, Arnault surpaie les 27% de la holding personnelle d’Arnaud Lagardère et lui verse la coquette somme de 180M€. Arnaud Lagardère n’est plus aux abois et a trouvé un contrepoids au fond activiste américain Amber qui lui cherche des poux sur son style de management et surtout à Vincent Bolloré qui s’est invité au capital de Lagardère. « Les familles Arnault et Lagardère » proclament leur « attachement au développement et à l’intégrité du groupe ». Vraiment ?
Round 2, round d’observation
Que se passe t’il ? Bernard Arnault est à l’étage du haut (la holding personnelle), Vincent Bolloré à celui du dessous (l’opérationnel) et il n’est pas certain qu’ils se parlent. Bernard aimerait bien récupérer les boutiques hors taxes de Lagardère mais la crise du Covid rend cette acquisition risquée et moins attractive. Vincent regarde du côté d’Hachette pour le joindre à Editis. Les deux lorgnent sur les médias Lagardère : le JDD, Paris-Match, Europe1. Des pépites d’influence politique (et économique) à l’orée des élections de 2022. On se regarde en chien de faïence, on s’observe.
Round 3, fin de la commandite
Arnaud Lagardère acculé doit renoncer à la commandite qui lui donnait le pouvoir avec 7,4% des actions. Il récupère 200M€ et remonte à 14% de Lagardère SA devenant le quatrième actionnaire après Bolloré, le Qatar et Amber. Au passage il se fait réélire à la présidence pour six ans ce qui fait tousser ses amis.
Round 4, Bernard Arnault se retire mais garde un œil
Que faire de 27% d’une société holding personnelle ? Quand la commandite existait cela permettait d’avoir une influence directe sur Lagardère SA, celle qui contrôle les boutiques, Editis et les médias. Hors commandite, zéro. Pire, Bolloré lui marche dessus en prenant de facto le contrôle d’Europe1 et l’associant à CNews. Pire du pire, quand Arnaud Lagardère a récupéré dix millions d’actions de Lagardère SA lors de la fin de la commandite, il n’en a fait remonter que cinq dans Lagardère Capital (où Arnault est présent) et s’en est gardé cinq intuitu personae. Un geste inélégant.
Donc Bernard Arnault sort en souplesse, comme le pacte d’actionnaires l’autorise. Il convertit ses titres de Lagardère Capital en Lagardère SA, montant à 10% du capital et devenant le cinquième actionnaire du groupe. Ceci dès le tout début de septembre 2021 alors qu’il avait un an devant lui pour procéder à l’opération. On n’est pas plus rapide et la possible mise en examen (voir infra) d’Arnaud Lagardère pour abus de biens sociaux n’est pas étrangère à cette célérité.
Round 5, et maintenant que vais-je faire ?
Bernard Arnault n’a pas pour habitude de jouer les seconds couteaux. On l’a vu avec Carrefour dont il détenait de manière résiduelle 5,7% du capital. Déçu des médiocres résultats d’Alexandre Bompard qu’il avait contribué à mettre en place, il liquide sa position et prend ses pertes. Il pourrait revendre immédiatement ses 10% de Lagarère SA à Bolloré en faisant une jolie plus-value. Ou attendre que la fin de la crise sanitaire fasse remonter le titre et augmenter le pactole. Le match n’est pas tout à fait fini mais il a perdu une partie de son intérêt pour la deuxième fortune du monde.