Avec la création de l’ARCOM, la commission Bronner ou encore le retour de la loi Avia à quelques mois de l’élection présidentielle, certains pourraient penser que le gouvernement souhaite contrôler l’information des Français. Au même moment, est créée une commission d’enquête au Sénat à la demande du groupe socialiste, écologiste et républicain, pour se pencher sur la concentration entre quelques mains des médias dominants en France et sur l’influence de cette concentration sur la démocratie. Ce sont donc tous les grands patrons de médias, Drahi, Bouygues, Arnault et consorts, qui se succéderont devant la commission qui doit rendre un rapport en mars 2022, avec une nouvelle loi sur les médias possible à la clé.
Bolloré et Arnault minimisent
Mi-janvier 2022, deux auditions ont retenu l’attention des médias, celles de Bernard Arnault et Vincent Bolloré. S’étant tenues, respectivement, le 19 janvier pour Bolloré, le 20 pour Arnault, les réactions dans les rédactions sont changeantes selon la cible. Néanmoins, un élément revient dans les deux cas : tous deux minimisent leur influence dans les médias, selon deux images différentes. Pour Vincent Bolloré, propriétaire du groupe Canal + et copropriétaire du JDD et de Paris Match, il s’est agi de montrer que finalement, il n’était qu’un « tout petit » dans ce monde dominé par les GAFAM et les plateformes de streaming. C’est d’ailleurs le titre des Échos, « Le géant Vivendi est un petit nain »[1]. Beaucoup pointent du doigt la manière dont le patron breton s’est défini comme un petit, alors qu’il a fallu cinq minutes à David Assouline, rapporteur de la commission, pour lister l’ensemble des activités de Vincent Bolloré. De son côté, Bernard Arnault, patron, par le biais de LVMH, des Échos, du Parisien et de Radio Classique, s’est présenté comme un « mécène des médias » (sic), comme le titrent, de manière identique, Le Point, L’Express, et bien d’autres. Rien d’anormal, dirons-nous, à voir des milliardaires minimiser leur influence devant une commission qui, justement, s’y intéresse.
Arnault ment mais c’est Bolloré qui est attaqué
Ce qui détonne, c’est la différence des commentaires selon les cas. Très vite, Vincent Bolloré est qualifié par Libération de « promoteur d’Éric Zemmour »[2]. L’Express va plus loin et déclare qu’il est « auditionné par des sénateurs inquiets de son influence grandissante dans les médias »[3]. Ainsi s’agirait-il seulement de l’influence de Vincent Bolloré ? Un lien avec la chaîne Cnews, qui a employé Éric Zemmour ? C’est en tout cas l’impression qui ressort à la lecture des réactions sur cette audition, où, selon Marianne[4], Bolloré a « humilié » le Sénat.
Et pourtant, comme le note au passage Le Monde[5], c’est Bernard Arnault qui s’est permis de mentir, sous serment, devant le Sénat. Interrogé sur ses anciennes intentions d’acheter le JDD et Paris Match, il a répondu qu’il n’avait jamais fait aucune offre. Son nez a dû s’allonger comme celui de Pinocchio, LVMH ayant bien fait une offre ferme et chiffrée au groupe Lagardère qui n’y a pas répondu. Un mensonge tellement gros que LVMH a émis ensuite un communiqué indiquant qu’il « s’était trompé », une sorte de trou de mémoire sous serment. Bon prince, la commission du Sénat ne lui en a pas tenu rigueur. Un mensonge dont ne parle pas ou peu la presse. Un lien avec l’engagement, de Bernard Arnault, de ne pas faire de ses médias une tribune d’un « extrême », n’importe lequel, favorisant de facto la réélection du président sortant.
Si les intentions de cette commission paraissent louables, nous ne serions guère étonnés de la voir réduite à une lutte contre « l’extrême droite » au sein des médias. C’est en tout cas l’impression laissée par l’audition de Vincent Bolloré. Peut-être que celle de Martin Bouygues ou Patrick Drahi, prévues dans les semaines qui viennent, viendront tromper cette impression. On attend avec gourmandise celle de Xavier Niel qui vient de racheter la part de Matthieu Pigasse dans Le Monde et ne semble pas encore programmée.
Notes
[1]Les Échos, 19 janvier 2022
[2]Libération, 19 janvier 2022
[3]L’Express, 22 janvier 2022
[4]Marianne, 22 janvier 2022
[5]Le Monde, 21 janvier 2022
Photo : Pierre Metivier via Flickr (cc)