Alors qu’il connaissait un essor sans cesse confirmé, le média Brut semble ressentir les premiers vertiges d’une décroissance brutale. Entre la fin de ses grands projets et la quête d’une nouvelle rentabilité, retour sur l’érosion de la start-up destinée au jeune public.
« L’accès au capital est restreint à cause de l’état des marchés ». Le constat opéré par le cofondateur de Brut, Guillaume Lacroix n’a rien de rassurant : le média, qui s’adresse à une tranche d’âge affleurant les quinze – trente-cinq ans perd un à un ses paris de renouvellement et mise sur un retour rapide de la rentabilité pour rebondir.
L’échec de la transformation en plate-forme en ligne
C’est d’abord la tentative de lancer sa propre plate-forme de streaming qui semble nettement compromise : alors qu’elle misait sur un succès d’un créneau déjà occupé par des plateformes américaines, la directrice générale adjointe missionnée pour s’occuper des nouvelles activités du média ne pourra pas compter sur les « millions d’abonnés » qu’elle espérait regrouper. Si la direction du média évoque le chiffre de 350 000 abonnés, certaines sources dressent plutôt la sombre perspective des 80 000 abonnements. Se plaignant de la nature très coûteuse des séries et de la qualité médiocre du choix cinématographique, Lacroix espère, dix-huit mois après le lancement du projet, le métamorphoser.
Les stratégies du rebondissement
Pour rebondir, Guillaume Lacroix entend apprendre de ses erreurs. Terminées, donc, les séries très onéreuses malgré leur contenu aussi résolument progressiste que le média, à l’image de cette série espagnole (Veneno) décrivant la vie d’une personnalité transgenre nationale. Clap de fin aussi pour le cinéma, qui ne trouvera pas sa place dans la nouvelle application mobile qui doit voir le jour d’ici la fin de l’année et qui devra regrouper les vidéos de Brut, Brut.live et BrutX. « L’investissement, explique Lacroix, nous a permis d’identifier ce qui ne marchait pas auprès du public ». Assurément : après avoir dépensé plusieurs dizaines de millions d’euros – sur les 109 millions obtenus en trois levées de fonds, le goût du public sera mieux identifié !
L’autre perspective pour se renouveler ? S’appuyer sur les contenus de marques (soit 60 % du chiffre d’affaires) et diversifier la nature des produits vendus via la plate-forme Brut Shop (avec l’immixtion de la marque Carrefour dans les partenariats). Une ligne qui semble déplaire à certains journalistes de Brut, dont l’un confiait au Monde au début du mois de novembre : « Entre la volonté éditoriale d’être « Brut, le média qui change le monde » et le fait qu’on se retrouve à parler avec des marques de luxe, de voitures, etc., il y a un sentiment de contradiction ».
Néanmoins, face à un « modèle économique [qui] reste encore trop flou, il est temps de le rationnaliser », souligne un cadre du média.
Voir aussi : Brut de brut, le média social libéral libertaire à succès
La rationalisation selon Brut : licenciements à gogo et fermeture d’antenne
La rationalisation selon Brut ? Des licenciements à tours de bras : dans l’antenne new-yorkaise du média, ils seraient un tiers des quarante collaborateurs à s’être vu remercier, après avoir découvert les rumeurs de licenciements dans la presse. Les huit employés de l’officine mexicaine ont également faire leurs adieux à la fin du mois de juillet. Des perspectives menaçantes planeraient enfin sur les antennes indiennes. En dépit de ses valeurs supposées « humanistes » et « progressistes », le média semble par ailleurs entretenir des difficultés de communication : convocations pour licenciement par visioconférence après la découverte des rumeurs dans la presse, désactivation immédiate des canaux de messageries internes à l’entreprise… Et pour les employés restant, la réalisation de contenus éditorialisés semble de plus en plus laisser place à des formats très courts inspirés des Reels de Facebook, tandis que les influenceurs paraissent occuper une place prépondérante (avec le service Brut.creators).
En dépit d’audiences importantes (500 millions de spectateurs touchés mensuellement dans près de cent pays, dont 15 millions en France), Brut se remettra-t-il de la lourde crise qu’il traverse ? D’une cohérence contestable, sa ligne éditoriale s’en trouvera quoiqu’il en soit affectée !
Voir aussi : Brut, infographie