Dans son article du New York Post (It’s open war between the media and Donald Trump, 11 janvier 2017), Michael Goodwin déplorait la dernière offensive lancée par CNN et Buzzfeed contre Donald Trump, visant à présenter Trump devenu agent russe à la suite d’un chantage sur ses pratiques sexuelles dépravées… et filmées. Avec, à la clé, une visite à Prague de son plus ancien bras-droit, l’avocat Michael Cohen (dont la femme est ukrainienne), pour rencontrer le FSB. John le Carré de retour…
Goodwin se félicitait également de la réaction de Trump, qui avait pris le taureau par les cornes lors de sa conférence de presse du 10 janvier. En fait Trump a usé de la formule magique des contre-attaques politiciennes, chères au couple Clinton : nier, détourner, détruire.
La meilleure défense c’est l’attaque
Trump a d’abord nié sur le ton de la colère froide (pour une fois), précisant qu’à la date de la rencontre de Prague, Cohen était avec son fils en Californie, ajoutant que son passeport ne mentionnait aucune sortie du territoire américain, rappelant enfin que les médias avaient reconnu depuis qu’il s’agissait d’un autre Michael Cohen. Trump a également nié la partie salace, dans le registre de l’humour grinçant : « tous ceux qui me connaissent savent que je suis germophobe! » Puis il a détourné le sujet sur les services secrets, leur reprochant (ou certains de leurs agents) de trahir leur devoir de sécurité nationale, ce qui est légalement criminel, en « fuitant » des informations non seulement erronées, mais délibérément fausses.
Enfin il a détruit CNN, rappelant que la chaîne était la seule des médias « mainstream » à publier une information expurgée certes mais dramatiquement alarmiste sur l’existence d’un chantage exercé par Vladimir sur Donald. Il rappela aussi que les autres médias, soudain pudibonds, par exemple NBC (dont l’actionnaire Comcast est également celui de Buzzfeed), considéraient l’information comme appartenant à la catégorie fausses nouvelles (Fake News). Ce qui a permis à Trump d’ostraciser en public, et avec morgue (« You are fake news! »), le journaliste de CNN Jim Acosta.
Trump a par ailleurs fait bon usage de son temps de parole, définissant ses plans d’action sur «Obamacare » (assurance-santé), le mur de la frontière mexicaine, les nominations à la Cour Suprême. Il précisa également ses objectifs en matière de cyber sécurité (sortir un plan en cent jours), sans oublier d’égratigner l’industrie pharmaceutique, qui perdit ainsi un milliard de capitalisation boursière en une heure, avant de se reprendre. Sortait enfin le « gros morceau » : le transfert de ses affaires à ses deux fils dans un trust séparé.
Bref, les observateurs retenaient que Trump, grâce à la polémique, avait « fait passer » des sujets risqués sans méchantes questions (son business, le refus des mexicains de financer le mur…), et qu’il avait tenté une manœuvre pour l’instant réussie de division des journalistes. Mais surtout, la sortie du communiqué de presse de James Clapper, coordinateur de la machine féodale des dix-sept agences américaines de renseignement, a remis quelques pendules à l’heure. En réalité, Trump était sorti grandi de l’incident.
Trump « poutinisé » : la nouvelle guerre froide interne
Il n’empêche que, selon Michael Goodwin, l’opération représentait une escalade dans le « procès en poutinisation » de Trump orchestré par une partie des services secrets. Et de rappeler que Chuck Schumer avait conseillé à Trump de ne pas incommoder les espions (« tu les affrontes un jour, et ils ont six façons de te rendre la pareille »). Goodwin concluait : « ce n’est pas un secret que la plupart, sinon toutes, des agences de renseignement voulaient Clinton à la Maison Blanche ». Ne serait-ce que parce qu’elle était prévisible ou conciliante à l’égard de de ces bastions budgétivores en quête constante de nouveaux projets et de nouveaux financements.
Ce qui n’est peut-être pas le cas… du FBI, qualifié le 4 novembre dernier de « Trumpland » par le Guardian. Le comportement erratique, pendant la campagne présidentielle, de son directeur James Comey, pourrait ainsi s’expliquer par la « vive antipathie des agents à encontre d’Hillary Clinton… outrés de voir leur directeur ne pas recommander d’inculpation… ». Quoi qu’il en soit, l’inspecteur Général du Ministère de la Justice, Michael E. Horowitz, vient de recevoir le mandat d’enquêter sur les agissements de James Comey et de ses services, afin de vérifier s’il a violé les règles, éthiques ou autres. Encore une façon de discréditer l’élection de Trump.
Glenn Greenwald : les médias dominants complices
Dans son numéro du 11 janvier 2017, le site hostile au complexe militaro-industriel, The Intercept, résume sous la plume du libertaire Glenn Greenwald (par ailleurs journaliste au Guardian), l’état de « guerre ouverte » entre Trump et les services secrets, qui représentent le « complexe » : « Ils utilisent les sales tactiques de la Guerre Froide, avec à la base ce que l’on définit maintenant comme “Fake News”. Leur outil le plus précieux : les médias, [qui] révèrent, servent, adhèrent, et se rangent du côté des fonctionnaires cachés du renseignement ».Puis le journaliste admoneste les démocrates, traumatisés de la perte de l’élection comme de l’effondrement du parti : « chaque jour qui passe, ils divorcent de la raison et sont prêts, impatients, à accepter toute revendication, toute tactique, à s’aligner sur le mal, quel que soit l’aspect faux, indigne, et dommageable de tels comportements ».
Greenwald concède ensuite que la présidence Trump pose problème, décrivant les processus classiques de la confrontation politique, mais s’insurge de voir la gauche servir de claque pour la CIA. Il le confirme à la télévision (Fox News, 12 janvier). Ainsi la gauche tomberait dans le panneau, car en s’associant à des attaques aussi viles, elles immunisent un Trump (qui a amplement démontré sa capacité de survivre), contre toute attaque sur ses malversations affairistes. Car personne n’y croira.
L’effet boomerang
Récapitulons avec Bill O’Reilly, de Fox News, en une interprétation libre, élargie :
Au départ les rivaux républicains de Trump recrutent un professionnel fouilleur d’ordures pour bâtir un dossier sur Trump. Le consultant est ensuite payé par la campagne Clinton. Il produit (il y a plusieurs mois) un prototype des « informations Buzzfeed ». Le sénateur républicain McCain y a alors accès, partage le tout avec le sénateur Graham, et se contente de remettre cela à James Comey, du FBI, aux fins de vérification. Le document fuit dans la presse, mais personne ne le juge pertinent ou exploitable. Clinton perd contre toute attente. Trump démarre sa période de transition sur les chapeaux de roue. La « contre-révolution démocrate » s’organise autour d’un thème central, la Russie. Les « contre-révolutionnaires » sont terrorisés de voir le fourbe Trump réussir, remonter dans les enquêtes d’opinion, doubler les médias et se mithridatiser grâce à la démocratie directe.
Une alliance se forme donc entre les apparatchiks démocrates, les néocons, et les « Open Borders ». Car si Trump réussit ses premiers cent jours, cela pourrait signifier « la fin de l’OTAN » en une année d’élections qui peut faire basculer France, Hollande et Allemagne : le grand chelem de Poutine, en quelque sorte…
Trump doit donc être campé en traitre, de même que devront l’être les partis souverainistes européens. D’où la « fuite » organisée vers CNN qui provoque un effet d’annonce, repris par Buzzfeed faisant le sale travail, ce qui force tout le reste de la presse (qui avait refusé de jouer) à courir après le scoop. Or Trump s’en sort… et les néocons (Krauthammer, Graham sur Fox News le 12 janvier), maintenant en repli, estiment un peu tard que le document Buzzfeed est … une fabrication russe, un faux, pour semer le désordre.
Ou pour relancer Trump et l’immuniser contre tout reproche de trahison? A suivre…