L’émission C Politique du 24 novembre 2024, diffusée sur France 5, était consacrée à « France-Algérie, le conflit sans fin ? ». Un thème qui fut peu évoqué : l’essentiel de l’émission a été consacrée à la situation de l’écrivain Boualem Sansal, emprisonné par le régime autoritaire algérien et sous le coup de chefs d’accusation pouvant conduire à la peine de mort. Le présentateur avait pourtant posé ces questions en introduction : « Quel sens donner à la détention de Sansal ? Qu’est-ce que cet évènement dit des relations entre nos deux pays ? Et pourquoi sans cesse entre nos deux pays le retour de la mémoire de la guerre d’Algérie ? ».
Les intervenants
Le maître d’œuvre était, comme à l’accoutumée, Thomas Snégaroff, journaliste militant dont les engagements de gauche ne sont un secret pour personne. Il avait invité :
- Benjamin Stora, historien reconnu de la Mémoire, auteur de livres sur l’histoire de la guerre d’Algérie mais aussi d’un rapport sur la mémoire de la colonisation et la guerre d’Algérie, remis à Emmanuel Macron en 2021. Un historien classé à la gauche de la gauche, déçu du fait que Macron n’ait pas repris toutes ses préconisations. Stora a aussi clairement la particularité d’être venu pour vendre ses livres.
- Rachel Binhas, journaliste de Marianne, la première a avoir signalé l’arrestation de Sansal. Auparavant, elle travaillait pour Valeurs Actuelles, une journaliste plutôt classée à droite par ses collègues de gauche.
- Delphine Minoui, romancière, traitant de la cause des femmes dans les pays musulmans, grand reporter au Figaro, difficile à classer politiquement.
- Nedjib Sidi Boussa, docteur en sciences politiques. Auteur d’une Histoire algérienne de la France. Le titre est révélateur. L’auteur de La fabrique du musulman est régulièrement invité sur Radio France. Il serait actuellement victime d’attaques sur X suite à ses déclarations au sujet de Sansal. Ce qui le conduit à dénoncer « l’idéologie française ».
- Sébastien Ledoux, auteur d’un essai sur les rapports entre Macron et l’Algérie. Pour lui, Macron se serait droitisé dans son rapport avec la mémoire.
Les positions
Une fois que Rachel Binhas rappelle la situation de Boualem Sansal, Snégaroff organise des tours de table. Le débat est apaisé. Binhas rappelle tout de même que l’Algérie ne reconnaît pas la double nationalité franco-algérienne, détenue par Sansal, tandis que la France reconnaît automatiquement la double nationalité en général. Un point qui questionne.
Globalement, tous les intervenants sont d’accord sur le fait qu’il est inadmissible qu’un écrivain et intellectuel soit emprisonné, qu’il s’agit d’une atteinte à la liberté d’expression. Cependant, ce point essentiel est tout aussi globalement rapidement mis sous le tapis, sauf par Rachel Binhas qui revient souvent sur ce sujet, et Stora qui insiste une fois à ce propos. C’est ce qui choque dans cette émission : la question essentielle posée par l’arrestation de Boualem Sansal, celle de l’atteinte à la liberté d’expression, passe après d’autres considérations. Lesquelles ?
Sansal = Zemmour ?
Concrètement, Sansal est, par exemple, accusé par Nedjib Sidi Boussa de reprendre toutes les thèses de Zemmour, de tenir des propos contre les migrants et d’être d’extrême-droite. Selon lui, « Sansal alimente un discours hostile à l’égard des immigrés et des musulmans et reprend tous les thèmes de Zemmour ». Il lui reproche aussi d’avoir donné un entretien à Frontières, média qu’il qualifie « d’extrême-droite ». Sébastien Ledoux est d’accord. Pour lui, Sansal est clairement d’extrême-droite en insistant sur « le déclin national de la France, de sa langue et de sa culture, comme Zemmour ». Ledoux n’accepte pas que Sansal parle de « séparatisme islamique » ou de « réhabilitation coloniale ». Benjamin Stora est plus fin en indiquant que Sansal a choqué le peuple algérien au sujet des frontières entre le Maroc et l’Algérie. En face, Delphine Minoui cherche à tempérer ces propos en expliquant que son arrestation entrerait dans le cadre « d’une nouvelle séquence dans les relations franco-algériennes ». Pour elle, Sansal est un « otage d’Etat ». Rachel Binhas est plus claire en refusant que le plateau « ostracise » Sansal en l’accusant d’être d’extrême-droite, d’autant qu’il n’est pas là pour se défendre. Pour elle, Sansal « a touché à des tabous, au nom de la liberté d’expression qui est la sienne mais qui doit aussi être la nôtre. C’est quelque-chose qui doit être défendu de manière universelle et sans détours… si l’on commence à relativiser le principe au nom de la position qu’il aurait ou de ses idées, c’est le principe lui-même qu’on affaiblit ».
C politique, adieu l’équilibre des opinions
Comme toujours sur les chaînes du service public, et dans cette émission en particulier, l’équilibre des opinions n’est pas respecté sur le plateau. Seule Rachel Binhas défend la liberté d’expression comme principe, les autres intervenants, à l’exception de Delphine Minoui assez discrètement, passent tous très rapidement sur ce principe inaliénable pour accuser Sansal d’être d’extrême-droite. Ledoux et Sidi Boussa sont particulièrement dogmatiques.
Boualem Sansal… l’a bien cherché
Les propos de Sidi Boussa posent particulièrement problème. Contrairement à ce qu’il affirme ou laisse entendre, dénoncer l’islam radical et le pouvoir autoritaire algérien comme le fait Boualem Sansal ne revient pas par nature à être hostile aux musulmans ou aux immigrés. Ses propos donnent le sentiment d’une essentialisation, comme si tous les musulmans devaient soutenir les islamistes radicaux ou soutenir le pouvoir en place en Algérie.
Finalement, le timing de cette émission est un problème. L’heure était-elle vraiment au « débat » ? N’était-elle pas plutôt à la dénonciation unilatérale de l’emprisonnement de Boualem Sansal et à la revendication de sa libération ? Au bout du compte, le service public nous explique que… oui, c’est mal que Sansal soit arrêté, mais au fond, il l’a bien cherché…