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C Politique : Boualem Sansal est « d’extrême-droite »

9 décembre 2024

Temps de lecture : 5 minutes
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C Politique : Boualem Sansal est « d’extrême-droite »

Temps de lecture : 5 minutes

L’émission C Poli­tique du 24 novem­bre 2024, dif­fusée sur France 5, était con­sacrée à « France-Algérie, le con­flit sans fin ? ». Un thème qui fut peu évo­qué : l’essentiel de l’émission a été con­sacrée à la sit­u­a­tion de l’écrivain Boualem Sansal, empris­on­né par le régime autori­taire algérien et sous le coup de chefs d’accusation pou­vant con­duire à la peine de mort. Le présen­ta­teur avait pour­tant posé ces ques­tions en intro­duc­tion : « Quel sens don­ner à la déten­tion de Sansal ? Qu’est-ce que cet évène­ment dit des rela­tions entre nos deux pays ? Et pourquoi sans cesse entre nos deux pays le retour de la mémoire de la guerre d’Algérie ? ».

Les intervenants

Le maître d’œuvre était, comme à l’accoutumée, Thomas Sné­garoff, jour­nal­iste mil­i­tant dont les engage­ments de gauche ne sont un secret pour per­son­ne. Il avait invité :

  • Ben­jamin Sto­ra, his­to­rien recon­nu de la Mémoire, auteur de livres sur l’histoire de la guerre d’Algérie mais aus­si d’un rap­port sur la mémoire de la coloni­sa­tion et la guerre d’Algérie, remis à Emmanuel Macron en 2021. Un his­to­rien classé à la gauche de la gauche, déçu du fait que Macron n’ait pas repris toutes ses pré­con­i­sa­tions. Sto­ra a aus­si claire­ment la par­tic­u­lar­ité d’être venu pour ven­dre ses livres.
  • Rachel Bin­has, jour­nal­iste de Mar­i­anne, la pre­mière a avoir sig­nalé l’arrestation de Sansal. Aupar­a­vant, elle tra­vail­lait pour Valeurs Actuelles, une jour­nal­iste plutôt classée à droite par ses col­lègues de gauche.
  • Del­phine Minoui, roman­cière, trai­tant de la cause des femmes dans les pays musul­mans, grand reporter au Figaro, dif­fi­cile à class­er politiquement.
  • Ned­jib Sidi Bous­sa, doc­teur en sci­ences poli­tiques. Auteur d’une His­toire algéri­enne de la France. Le titre est révéla­teur. L’auteur de La fab­rique du musul­man est régulière­ment invité sur Radio France. Il serait actuelle­ment vic­time d’attaques sur X suite à ses déc­la­ra­tions au sujet de Sansal. Ce qui le con­duit à dénon­cer « l’idéologie française ».
  • Sébastien Ledoux, auteur d’un essai sur les rap­ports entre Macron et l’Algérie. Pour lui, Macron se serait droitisé dans son rap­port avec la mémoire.

Les positions

Une fois que Rachel Bin­has rap­pelle la sit­u­a­tion de Boualem Sansal, Sné­garoff organ­ise des tours de table. Le débat est apaisé. Bin­has rap­pelle tout de même que l’Algérie ne recon­naît pas la dou­ble nation­al­ité fran­co-algéri­enne, détenue par Sansal, tan­dis que la France recon­naît automa­tique­ment la dou­ble nation­al­ité en général. Un point qui questionne.

Glob­ale­ment, tous les inter­venants sont d’accord sur le fait qu’il est inad­mis­si­ble qu’un écrivain et intel­lectuel soit empris­on­né, qu’il s’agit d’une atteinte à la lib­erté d’expression. Cepen­dant, ce point essen­tiel est tout aus­si glob­ale­ment rapi­de­ment mis sous le tapis, sauf par Rachel Bin­has qui revient sou­vent sur ce sujet, et Sto­ra qui insiste une fois à ce pro­pos. C’est ce qui choque dans cette émis­sion : la ques­tion essen­tielle posée par l’arrestation de Boualem Sansal, celle de l’atteinte à la lib­erté d’expression, passe après d’autres con­sid­éra­tions. Lesquelles ?

Sansal = Zemmour ?

Con­crète­ment, Sansal est, par exem­ple, accusé par Ned­jib Sidi Bous­sa de repren­dre toutes les thès­es de Zem­mour, de tenir des pro­pos con­tre les migrants et d’être d’extrême-droite. Selon lui, « Sansal ali­mente un dis­cours hos­tile à l’égard des immi­grés et des musul­mans et reprend tous les thèmes de Zem­mour ». Il lui reproche aus­si d’avoir don­né un entre­tien à Fron­tières, média qu’il qual­i­fie « d’extrême-droite ». Sébastien Ledoux est d’accord. Pour lui, Sansal est claire­ment d’extrême-droite en insis­tant sur « le déclin nation­al de la France, de sa langue et de sa cul­ture, comme Zem­mour ». Ledoux n’accepte pas que Sansal par­le de « séparatisme islamique » ou de « réha­bil­i­ta­tion colo­niale ». Ben­jamin Sto­ra est plus fin en indi­quant que Sansal a choqué le peu­ple algérien au sujet des fron­tières entre le Maroc et l’Algérie. En face, Del­phine Minoui cherche à tem­pér­er ces pro­pos en expli­quant que son arresta­tion entr­erait dans le cadre « d’une nou­velle séquence dans les rela­tions fran­co-algéri­ennes ». Pour elle, Sansal est un « otage d’Etat ». Rachel Bin­has est plus claire en refu­sant que le plateau « ostracise » Sansal en l’accusant d’être d’extrême-droite, d’autant qu’il n’est pas là pour se défendre. Pour elle, Sansal « a touché à des tabous, au nom de la lib­erté d’expression qui est la sienne mais qui doit aus­si être la nôtre. C’est quelque-chose qui doit être défendu de manière uni­verselle et sans détours… si l’on com­mence à rel­a­tivis­er le principe au nom de la posi­tion qu’il aurait ou de ses idées, c’est le principe lui-même qu’on affaiblit ».

C politique, adieu l’équilibre des opinions

Comme tou­jours sur les chaînes du ser­vice pub­lic, et dans cette émis­sion en par­ti­c­uli­er, l’équilibre des opin­ions n’est pas respec­té sur le plateau. Seule Rachel Bin­has défend la lib­erté d’expression comme principe, les autres inter­venants, à l’exception de Del­phine Minoui assez dis­crète­ment, passent tous très rapi­de­ment sur ce principe inal­ién­able pour accuser Sansal d’être d’extrême-droite. Ledoux et Sidi Bous­sa sont par­ti­c­ulière­ment dogmatiques.

Boualem Sansal… l’a bien cherché

Les pro­pos de Sidi Bous­sa posent par­ti­c­ulière­ment prob­lème. Con­traire­ment à ce qu’il affirme ou laisse enten­dre, dénon­cer l’islam rad­i­cal et le pou­voir autori­taire algérien comme le fait Boualem Sansal ne revient pas par nature à être hos­tile aux musul­mans ou aux immi­grés. Ses pro­pos don­nent le sen­ti­ment d’une essen­tial­i­sa­tion, comme si tous les musul­mans devaient soutenir les islamistes rad­i­caux ou soutenir le pou­voir en place en Algérie.

Finale­ment, le tim­ing de cette émis­sion est un prob­lème. L’heure était-elle vrai­ment au « débat » ? N’était-elle pas plutôt à la dénon­ci­a­tion uni­latérale de l’emprisonnement de Boualem Sansal et à la reven­di­ca­tion de sa libéra­tion ? Au bout du compte, le ser­vice pub­lic nous explique que… oui, c’est mal que Sansal soit arrêté, mais au fond, il l’a bien cherché…

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