Cette émission, diffusée sur France 5 le 9 février 2025 et présentée par Thomas Snégaroff, s’inscrit dans un débat national relancé récemment sur le droit du sol, suite à la situation migratoire explosive à Mayotte. Le présentateur place le débat sur l’identité nationale et le droit du sol dans le contexte actuel, marqué par les déclarations du Premier ministre François Bayrou à propos de la « submersion migratoire », les propos de Darmanin favorable à une suppression du droit du sol et, enfin, ceux du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau, qui a déclaré : « Pour être français, il faut respecter notre mode de vie. » Pour répondre à ces interrogations, Thomas Snégaroff a réuni autour de sa table cinq intervenants dont nous faisons la présentation.
Harim El Karoui, l’homme de Terra Nova
Hakim El Karoui est entrepreneur, essayiste et chroniqueur à l’Opinion. Né le 30 août 1971 à Paris, il est un ancien élève de l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud. Titulaire d’un DEA en géopolitique et est agrégé de géographie, il a fondé Volentia, une société de conseil stratégique qui aide les entreprises et les gouvernements à naviguer à travers les enjeux économiques, politiques, et géopolitiques. Il a également dirigé le bureau parisien du cabinet de conseil en communication Brunswick. Il a été conseiller technique auprès de Jean-Pierre Raffarin à Matignon et de Thierry Breton au ministère de l’Économie et des Finances. Il a enfin travaillé comme banquier d’affaires chez Rothschild et comme associé chez Roland Berger.
Le 24 janvier 2024 le think tank progressiste Terra Nova fait une annonce sur son site :
« Nous avons le plaisir d’annoncer que M. Hakim El Karoui a rejoint Terra Nova. Connu notamment pour ses travaux sur l’islam en France et les questions d’intégration, auteur de plusieurs ouvrages sur ces sujets mais aussi sur la question de la lutte des âges, chroniqueur à L’Opinion, il siègera comme expert associé au sein du Conseil éditorial de notre think tank où il suivra en particulier les questions de cohésion nationale et certains sujets géopolitiques qui résonnent avec le débat politique français. Nous nous réjouissons de l’accueillir dans ce cadre et d’ouvrir avec lui un nouveau chapitre de nos réflexions sur ces sujets dont chacun mesure la particulière sensibilité. »
El Karoui est l’auteur de plusieurs essais, notamment : Réinventer l’Occident, La lutte des classes d’âges, L’islam, une religion française. Ses thèmes de prédilection sont l’intégration, la laïcité, les inégalités générationnelles, et les défis de la mondialisation pour l’Occident. Il écrit des chroniques pour le journal l’Opinion, où il traite de politique, d’économie, et de questions sociétales. Fondateur et ancien président du Club du XXIe siècle qu’il a créé pour promouvoir la diversité et l’inclusion dans les sphères professionnelles et politiques. Il a fondé l’Association Musulmane pour l’Islam de France (AMIF) en 2019 pour structurer et certifier les financements liés au culte musulman en France, en promouvant un islam compatible avec les valeurs républicaines. Hakim El Karoui est une personnalité influente qui navigue entre le monde des affaires, la politique, et le débat public.
Ce qu’il a dit pendant l’émission :
« On vit avec le mythe de l’unité nationale qui aurait été cassée récemment par une immigration nouvelle venant de cultures éloignées des nôtres. En 1789 Mirabeau disait que la France c’était un « agrégat inconstitué de peuples désunis », donc ne fantasmons pas sur l’unité nationale. Tout le monde était blanc, catholique, pensait la même chose, non pas du tout. »
C’est au cours de cette intervention que le présentateur Thomas Snégaroff affirmera :
« Le métro parisien a été construit par des algériens ».
Allégation qui semble ne déranger personne sur le plateau. Bien au contraire, c’est reçu comme une évidence. Mentionner l’apport breton eut été sans doute plus judicieux, puisque l’inventeur du métro parisien n’est autre qu’un ingénieur breton du nom de Fulgence Bienvenüe.
Mahir Guyen, le réfugié d’Ernst & Young
Mahir Guven est un écrivain et éditeur franco-turc, né en 1986 à Nantes, éditeur, auteur de Rien de personnel aux éditions JC Lattès (10/01/2024) et de Grand frère (05/10/2017). Né apatride, de parents réfugiés en France, sa mère étant d’origine turque et son père kurde, il devient turc à l’âge de neuf ans puis français à dix ans. Il grandit à Saint-Sébastien-sur-Loire, près de Nantes. Après un baccalauréat en économie, il poursuit des études en gestion, droit et économie à l’Université d’Angers, puis à Paris à la Sorbonne et à Paris-Sud, obtenant un master en comptabilité, contrôle et audit (CCA). Avant de se consacrer à l’écriture, Mahir Guven travaille comme auditeur et consultant au sein d’Ernst & Young. En 2014, il devient directeur exécutif de l’hebdomadaire Le 1 à son lancement. En 2019, il rejoint les éditions JC Lattès en tant que directeur littéraire, où il fonde le label “La Grenade”, dédié aux « nouvelles voix littéraires ».
Son premier roman, Grand frère (prix Goncourt du premier roman), raconte l’histoire de deux frères aux destins opposés : l’un est chauffeur Uber à Paris, tandis que l’autre part en Syrie pour des raisons humanitaires mais se retrouve mêlé à des groupes jihadistes. Il a reçu le prix Goncourt du premier roman en 2018, ainsi que le prix Première et le prix Régine-Deforges. Le livre a été traduit dans plusieurs langues.
Dans son roman Rien de personnel, l’écrivain évoque l’histoire de ses parents réfugiés, sa sœur qui pleurait de ne pas avoir la peau blanche, les enfants qui lui jetaient des pierres, le professeur de français de sa mère, le cours d’alphabétisation de sa grand-mère. À travers les épisodes de son histoire intime, il raconte comment sa famille est devenue française jour après jour et décrit cette expérience qu’est l’immigration. Ce livre a été récompensé par le prix Ouest 2024.
On peut lire dans ce livre les phrases suivantes :
« Pour moi, une communauté, que ce soit une communauté culturelle, une équipe de sport, et même une entreprise, c’est toujours un peu petit, étriqué d’horizon et d’esprit, je n’y ai jamais été à l’aise. »
Ou encore :
« Nous étions humains avant tout. Sans compter que cette génération avait été biberonnée, dans les années 1970, au rock, à la musique et au cinéma mondialisés, et qu’elle possédait des références en partage. Ils étaient des intellos précaires, des militants pour l’égalité, des hédonistes. Je ne dis pas qu’ils sont les seuls à penser l’existence ainsi, mais dans mon enfance, ils ont été mes références en France, ils m’ont éduqué au roquefort et à la manif, à Barbara comme à Michael Jackson, à Che Guevara comme aux Bronzés font du ski. »
Didier Leschi, l’homme de l’OFII
Didier Leschi est une figure incontournable dans le domaine de l’immigration et de l’intégration en France.
Depuis décembre 2015, Didier Leschi est le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), une structure sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, chargée de la gestion de l’immigration légale, de l’accueil des demandeurs d’asile et de l’intégration des immigrés en France. Ancien militant d’extrême gauche, il a été actif dans des mouvements lycéens et étudiants. Il a participé à plusieurs cabinets ministériels, notamment sous la direction de Jean-Pierre Chevènement. Nommé en 2018 pour quatre ans à la présidence de l’Institut européen en sciences des religions, faisant partie de l’École pratique des hautes études (EPHE), il est également président de l’Institut d’étude des religions et de la laïcité.
Didier Leschi a écrit plusieurs ouvrages sur des sujets liés à l’immigration, la laïcité et les religions en France. Parmi ses œuvres notables, on trouve Ce grand dérangement. L’immigration en face (Tracts Gallimard, 2020, avec une nouvelle édition augmentée en 2023). Cet essai propose une analyse approfondie de la politique migratoire française qui lui permet, selon lui, de renvoyer dos à dos “l’angélisme” et le “cynisme”, deux attitudes qui prévaudraient sur cette question. Le livre aborde les différents aspects de l’immigration, y compris les politiques publiques, les perceptions sociales, et les défis de l’intégration. Il a également écrit d’autres ouvrages comme Rien que notre défaite (Éditions du Cerf, 2018) et De la République des défunts (Tract de crise, Gallimard, 2020).
Dans son livre et dans ses interventions publiques, Leschi prône une vision nuancée de l’immigration. Il souligne l’importance de la maîtrise des flux migratoires tout en défendant une politique d’intégration « ambitieuse et réaliste ». Il met en avant la nécessité de prendre en compte les réalités sociales et économiques pour une immigration qui bénéficie à la fois aux migrants et à la société d’accueil. Sur la laïcité : En tant que spécialiste des cultes en France et de la laïcité, il a participé à des débats et écrit sur ces sujets, notamment à la suite de l’affaire de Creil en 1989. En 2022, il a été reconduit à la tête de l’OFII pour un nouveau mandat.
Didier Leschi défendra, pendant l’émission, une position républicaniste de l’identité française. Pour faire court mais c’est ce qu’il dit en substance : être français c’est adhérer aux principes de la révolution française. En somme Anacharsis Cloots était, avant de se faire raccourcir, plus français qu’Henri de La Rochejaquelein. Néanmoins, il rappellera « qu’il n’y a jamais eu autant d’immigrés en France et en Europe ». Ce qui lui attirera cette réponse attendue de la part de Delphine Diaz : « le taux d’étrangers est le même qu’en 1931 ».
Rachel Binhas, la journaliste de Marianne
Rachel Binhas est une journaliste française connue pour son travail au magazine Marianne. Elle apparaît régulièrement en tant qu’éditorialiste sur des chaînes comme LCI.
Son livre Victimes françaises du Hamas. Leur histoire, notre silence traite de l’attaque terroriste menée par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, où quarante-deux ressortissants français ont perdu la vie et huit ont été enlevés. Dans son ouvrage, elle met en lumière l’indifférence et l’oubli entourant ces victimes et otages en France, contrastant avec la couverture médiatique et le soutien reçu pour d’autres cas d’enlèvements de Français dans le passé. Elle explore également les mécanismes de ce déni et questionne la persistance de l’antisémitisme sous couvert d’antisionisme, particulièrement à gauche, ainsi que la difficulté, selon elle, de reconnaître les Juifs comme victimes.
Son invitation est à mettre en relation avec son implication dans le débat autour de la question migratoire. Elle a couvert la situation à Mayotte et y a recueilli de nombreux témoignages. Elle est également l’autrice d’un article paru dans Marianne, Asile, visas aux algériens, expulsions… Les chiffres de l’immigration 2024 passés au crible.
Une de ses interventions lors de l’émission ne manquera pas de liguer le plateau contre elle, avec une petite passe d’armes avec l’écrivain Mahir Guven. En effet, elle sera la seule à évoquer « les Français qui sont confrontés à la transformation, selon eux, du paysage urbain, du paysage social, du paysage culturel ». Le présentateur la coupe pour lui demander : « Vous voulez parler de quoi, des Kebabs en centre-ville ? » Ce qui fera évidemment monter le ton aussitôt.
Marie-Laure Basilien-Gainche, la militante des droits fondamentaux
Marie-Laure Basilien-Gainche est professeur de droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3, membre de l’Institut Convergences Migrations, membre du comité scientifique de l’Agence de l’UE pour les droits fondamentaux.
Ses domaines de recherche incluent l’État de droit, les régimes d’exception, le droit des migrations, le droit public européen, la protection des droits fondamentaux, l’équilibre des régimes constitutionnels et les situations de pluralisme juridique. Elle est particulièrement reconnue pour ses analyses sur la compatibilité des politiques européennes d’immigration et d’asile avec le respect des droits fondamentaux.
En tant que membre senior de l’Institut Universitaire de France, elle mène le projet de recherche MOEBIUS, qui explore la gestion des migrations à l’intérieur des frontières européennes « sous l’angle de la souveraineté et de l’éthique ». Elle est également associée à plusieurs centres de recherche internationaux, notamment le Centre de recherche et d’études sur les droits fondamentaux (CREDOF) à l’Université Paris Nanterre, le Centre for Migration Law de l’Université Radboud de Nimègue, le Global Migration Center du Graduate Institute de Genève, et le Border Criminologies group de l’Université d’Oxford.
Ce qu’elle a dit pendant l’émission :
« L’intégration, c’est un effort qui est demandé à celui qui vient de l’étranger. Jamais on ne conçoit l’intégration comme un mouvement mutuel, un mouvement réciproque. Il y a celui qui s’intègre et celui qui intègre celui qui demande à s’intégrer. Et donc, je trouve que faire reposer toute la charge de l’intégration au migrant est, en fait, un refus de se poser la question de notre capacité à être une société dynamique, une société ouverte. On est vraiment dans un univers où on a l’impression que l’identité, ce serait la mêmeté, c’est-à-dire ne pas bouger, ne pas s’interroger, ne pas se questionner, alors que l’identité, c’est l’ipséité, c’est s’ouvrir, c’est intégrer la diversité, c’est s’enrichir. Et je trouve que se priver de cette richesse est quand même inquiétant. »
Delphine Diaz, exilés et exilées
Delphine Diaz est historienne, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Reims. Elle est reconnue pour ses travaux sur l’histoire des migrations, de l’exil et des réfugiés en France. Après avoir obtenu son doctorat, elle a poursuivi sa carrière académique en se concentrant sur des thèmes relatifs à l’histoire sociale, politique et culturelle de la France contemporaine. Elle enseigne à l’Université de Reims où elle contribue à former les futurs historiens et chercheurs.
Elle est l’autrice de l’ouvrage intitulé Exilés, réfugiés, étrangers en France (1848–1986) publié par les éditions Atlande. Ce livre explore l’histoire des migrations forcées et volontaires en France sur une période de presque un siècle et demi, analysant comment ces mouvements de population ont façonné la société française. Ses recherches sont centrées sur les dynamiques de l’exil, la condition des réfugiés, l’intégration des étrangers, et les politiques migratoires.
À la question posée par le présentateur « qu’est-ce qu’être Français ? », elle répondra :
« Je me sens française aussi mais je me sens aussi rattachée à des histoires d’immigration. Ce sont mes objets de recherche mais c’est vrai que je me suis aussi beaucoup intéressé à ma famille, à la façon dont mes ancêtres ont pu venir en France, aussi bien du côté belge, à la fin du XIXe siècle, poussé par la misère que du côté espagnol, après la guerre civile, en 1939. C’est une histoire qui a pétri finalement la façon dont je me définis, dont je me situe par rapport à la nation France. »
Au travers de ce choix d’experts et de commentateurs, à chacun de deviner l’angle choisi par les producteurs pour traiter du droit du sol.