En 1989 – une éternité – le regretté Jean Dutourd publiait chez Flammarion un Traité du journalisme, sous-titré par antiphrase Ça bouge dans le prêt-à-porter, et dédié aux futurs jeunes journalistes. Dans son chapitre trois (Principes du journalisme), il donne quelques recommandations utiles pour les générations à venir :
« Il est également essentiel de donner de soi une image flatteuse sur le plan personnel aussi bien que sur le plan professionnel. On compte grosso modo deux catégories d’êtres humains : ceux qui sont de gauche et ceux qui sont de droite. Il est élégant d’être de gauche, ridicule d’être de droite. Donc soyez de gauche. D’ailleurs être de gauche va de soi : on est de gauche comme on respire, comme on est bien-portant. La droite est une maladie ; vous ressentez à l’égard de ceux qui en sont atteints le mélange de pitié, de répugnance et d’aversion que ces misères peuvent inspirer à un être sain. Maladie honteuse de surcroît, qui dérègle le système nerveux et porte souvent le sujet infecté aux violences physiques ».
Il ajoute un peu plus loin :
« Par exemple, ne dites jamais « la droite » tout court, mais « la droite musclée » et attristez-vous de la quasi-disparition de la « droite classique » ou de la « vieille droite » qui étaient formées de personnes « dont on pouvait ne pas partager les idées, mais devant la respectabilité desquelles on était forcé de s’incliner ». A présent la droite est en proie aux « vieux démons » de la xénophobie et du racisme. Ne vous interrogez pas sur l’âge des démons qui habitent périodiquement la droite : ils sont toujours vieux. Il n’y a pas de jeunes démons, du moins à notre connaissance. Nous avons étudié la presse française avec la plus grande attention depuis une trentaine d’années que les démons sont apparus et nous n’en avons pas trouvé un seul qui eût quelque fraîcheur. »
Les Partout et les Quelque part
Cet ensemble de poncifs attribués avec talent à la majorité d’une profession est-il encore de mise trente ans plus tard ? Le clivage droite-gauche (dans l’ordre alphabétique) a pris un coup dans l’aile et on parle plus volontiers des populistes d’un côté et des libéraux libertaires de l’autre ou bien des « Quelque part » opposés aux « Partout » chers à l’historien David Goodhart dans son livre à succès, Les Deux clans, la nouvelle fracture mondiale. Les Quelque part sont plus enracinés et ont en général une identité fixe. Identité géographique, sexuelle, professionnelle, fondée sur l’appartenance à un groupe historique et à un lieu particulier. Les Partout sont fluides sur tous les plans et, comme les capitaux, sont volontiers vagabonds. L’historien quantifie pour le Royaume-Uni les Partout à 20/25% de la population et les Quelque part autour de 50%, le restant oscillant entre les deux. Jean Dutourd devait appartenir aux « Quelque part ».