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Cannes 2017 sur France 2 : la propagande glamour

30 mai 2017

Temps de lecture : 4 minutes
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Cannes 2017 sur France 2 : la propagande glamour

Temps de lecture : 4 minutes

Dimanche 28 mai, le jury du Festival de Cannes a décerné le prix d’interprétation féminine à Diane Kruger pour son rôle dans le film de Fatih Akın, In the Fade. Le journal de 20h00 de France 2, présenté par Leïla Kaddour, organisait le soir même un duplex avec l’actrice qui a viré à la rencontre du troisième type…

Les cinéastes sont bien enten­du sou­verains dans le choix des sujets qu’ils désirent traiter et le réal­isa­teur ger­mano-turc Fatih Akin n’échappe pas à cette lib­erté. On a pour­tant le droit de trou­ver d’un exécrable mau­vais goût le sujet du film qu’il vient d’achever et qui a été présen­té à Cannes au dernier jour du fes­ti­val. In the fade s’inspire en effet de la mort en Alle­magne de dix per­son­nes, dont huit d’origine turque, entre 2000 et 2007. Les enquê­teurs ont longtemps cru qu’il s’agissait de règle­ments de compte com­mu­nau­taires avant de décou­vrir en 2011 que ces assas­si­nats avaient été le fait de trois mil­i­tants néon­azis qui se sont sui­cidés cette année-là après un braquage raté. La télévi­sion alle­mande a pro­duit depuis plusieurs doc­u­men­taires et une mini-série sur un sujet qui bien qu’anecdotique d’un point de vue poli­tique (les trois crim­inels ne sig­nent évidem­ment pas la résur­gence du nazisme) est vécu, et cela on peut le com­pren­dre, comme un trau­ma nation­al pour les Allemands.

Les musulmans en éternelles victimes

C’est donc sur ce sujet que le réal­isa­teur, musul­man lui-même, a souhaité réalis­er son dernier film. Huit immi­grés turcs assas­s­inés en huit ans pour la sim­ple rai­son qu’ils étaient turc ; l’affaire est évidem­ment choquante. Mais la séquence his­torique que vit l’Europe depuis 2015 per­met de rel­a­tivis­er cette bar­barie et de s’interroger sur le sujet choisi par le réal­isa­teur. Pour traiter les ques­tions de l’intolérance, du racisme et de la vio­lence poli­tique, il avait l’embarras du choix. Char­lie Heb­do, Mon­trouge, Copen­h­ague, Saint-Quentin Fallavier, le Thalys, le Bat­a­clan, Brux­elles, Mag­nanville, Nice, Saint-Eti­enne du Rou­vray, Berlin, le Car­rousel du Lou­vre, West­min­ster, Stock­holm, les Champs-Elysées, Man­ches­ter, pour ne citer que les atten­tats les plus impor­tants de ces trois dernières années, ont causé la mort de 600 per­son­nes en Europe, assas­s­inées par des musul­mans rad­i­caux. Pourquoi Fatih Akin n’a‑t-il pas choisi là son sujet ? Pourquoi avoir choisi de réalis­er un film où les musul­mans sont les vic­times et les européens les bour­reaux quand la réal­ité européenne, depuis quelques années, démon­tre exacte­ment l’inverse ?

Pour pren­dre la mesure de la pro­pa­gande sans scrupule à laque­lle s’est livrée ce réal­isa­teur, il faut se tourn­er vers les films tournés pen­dant la sec­onde guerre mon­di­ale par des réal­isa­teurs alle­mands qui met­taient en scène des Juifs assas­si­nant et spo­liant les Européens au moment où les vrais Juifs se fai­saient vrai­ment envoyés dans les camps par de vrais Alle­mands. C’est le Juif Süss, les Rapaces, les Roth­schild ou le Juif errant. C’est dans le même esprit qu’a tra­vail­lé Fatih Akin en choi­sis­sant, au moment où ses core­li­gion­naires mas­sacrent hommes, femmes et enfants européens, de les présen­ter comme des vic­times et de présen­ter les vraies vic­times comme des bour­reaux dans une for­mi­da­ble inversion.

Un sujet qui nous rapproche de la réalité…

Dimanche soir, donc, la jour­nal­iste Leïla Kad­dour félicite Diane Kruger pour son prix dans un duplex en direct de la croisette. Après les banal­ités d’usage (« Je suis heureuse et émue », « je remer­cie toute l’équipe », etc.), la jour­nal­iste pose une ques­tion : « C’est aus­si un sujet qui nous rap­proche de l’actualité. J’imagine que pour incar­n­er cette femme (l’épouse d’un Turc mort dans un atten­tat néon­azi, ndlr), vous avez été nour­rie par tout ce qui nous entoure ? » L’actrice répond qu’elle a beau­coup par­lé avec des rescapés de vic­times, etc., puis prend un air encore plus grave : « En une semaine à Cannes, il y a eu deux atten­tats ; for­cé­ment, le goût est encore dans la bouche de com­bi­en de Katia (son per­son­nage, ndlr) qui se sont for­mées cette semaine ». Arrê­tons-nous une sec­onde sur cet incroy­able dialogue.

« Un sujet qui nous rap­proche de l’actualité ». Rap­pelons le sujet du film : des néon­azis tuent des immi­grés musul­mans. Rap­pelons l’actualité : un immi­gré musul­man tue 22 ado­les­cents anglais à Man­ches­ter. En quoi le sujet du film nous rap­proche-t-il d’une quel­conque actualité ?

« En une semaine à cannes, il y a eu deux atten­tats ». Des atten­tats néon­azis ? Encore une fois, qu’est-ce qu’ont à voir les atten­tats islamistes avec le sujet du film si ce n’est que les deux par­lent de vio­lence et de crime comme 90% des films de ciné­ma ? Rien évidemment.

Mais mélanger sci­em­ment un fait divers d’arrière-garde avec une men­ace glob­ale et struc­turée d’avant-garde a deux avan­tages : rel­a­tivis­er cette men­ace (il y a des crim­inels et des fous partout) et la présen­ter comme équiv­a­lente à la men­ace « d’extrême-droite ». Du beau boulot de pro­pa­gan­diste enrobé de pail­lettes et de glamour.

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