Les titans du Net, GAFAM, etc., savent frapper fort. “PARLER” était une sorte de Twitter au public parfois virulent et politiquement incorrect. Offusqués, les libertaires-antifa de la Silicon Valley ont crié au loup. Amazon Web Services, fournisseur d’accès n°1 au monde, a fermé PARLER début 2021, et Apple et Google l’ont viré de leur “store” : l’exécution de ce réseau social non-conformiste a pris dix minutes (PARLER a pu revenir en ligne après plusieurs mois). De même, le président en exercice Donald Trump, fut-il jeté sans recours de Twitter, Facebook, Instagram, Snapchat et Twitch — révélatrice leçon de choses sur les rapports de force dans la société de l’information.
Diluer/gommer
Mais d’usage, l’information contrôlée-GAFAM dilue, édulcore, gomme en douce, ce qu’elle juge “inapproprié”. Avant d’exposer les faits, rappelons les motifs idéologiques de cette censure soft de l’information du public. Jadis, les marxistes-léninistes abhorraient l’économie réelle et rejetaient sa pertinence — Lénine voyait comme meilleur modèle économique possible la poste du Reich de Guillaume II : lundi la lettre est postée à Munich ; mardi, la voilà à Berlin. Pas plus dur que ça.
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Les libéraux abhorrent le crime : pour eux, la fluidité est la suprême vertu. Plus les marchés sont fluides, plus ils approchent la perfection, plus l’humanité prospère. Or le crime suscite par ricochet maintes “frictions”, contrôles, thromboses, blocages… Vérifier ceci… fouiller là… ce qui bride la fluidité, ralentit les flux. Comme abolir le crime même est impossible — on sait ça depuis Émile Durkheim (Le crime, phénomène normal, 1894) — on peut du moins en faire une quantité négligeable, un non-sujet ; autant que possible, l’évacuer, l’effacer.
Le bon lecteur/électeur ne doit pas tout voir
À cet effet, les GAFAM qui contrôlent désormais le gros de la média-sphère, trouvent, pour deux motifs, d’utiles alliés chez les patrons des médias d’information :
- “L’anxiogène”, comme ils disent, inquiète le lecteur. Le troupeau humain doit consommer au calme, hors de la perturbante “tyrannie des faits-divers” ;
- Ce lecteur choqué par le crime est aussi électeur : d’odieux faits-divers peuvent le faire “mal” voter. Pour ne pas faire-le-jeu-de, occultons donc le réel criminel.
Ainsi, par petites touches, depuis le début du XXIe siècle, les médias d’information et méga-serveurs des GAFAM ont entrepris, dans leurs contenus, l’élimination sémantique du négatif. Ici, des mots brutaux comme “vol”, “mort” “crime” sont à bannir en priorité : après le CV anonyme, voici le fait-divers anonymisé, “gentrifié”.
Made in California
Bien sûr, ce ravalement sémantique est Californien d’origine. Nom de code : Person-Centered-Language. Les lecteurs anglophones trouveront aisément cette formule sur un moteur de recherche : ils y apprendront comment neutraliser tout ce qui qualifie ou désigne (“homme”, “femme”, Noir ou Blanc, valide ou infirme, bandit ou sauveteur, victime ou bourreau… etc.) par usage du seul mot “personne”, variante présente de la bonne vieille pensée magique, pour laquelle nommer le diable, c’est l’invoquer — à ses risques et périls.
Rappel philosophique : la nomination est l’essentiel préalable à tout acte humain : « Le nom fait faire connaissance… Nommer dévoile… Par la vertu de l’exhibition, les noms attestent leur souveraineté magistrale sur les choses » (Martin Heidegger, Introduction à la métaphysique).
Dans l’idéologie californienne, la nomination laisse place à l’hypnotique matraquage, à la répétitive litanie du seul mot “personne”. Plus de prostituée, une “personne prostituée” — comme si l’intéressée pouvait être une chaussette ou un boa… Plus pesantes encore, ces “personnes-en-situation-de-handicap”, etc. De là, des substituts ou ersatz sémantiques envahissent les faits divers, les rendant limite-incompréhensibles, ou condamnant le lecteur à un pénible décodage pour en exhumer le sens.
Ouvrons le dictionnaire
- Agresser, attaquer : “en découdre” (comme dans Les trois mousquetaires) ;
- Assassin, cambrioleur, etc. : “auteur” (comme à l’Académie Goncourt) ;
- Bandes, gangs : “réseaux” (comme France Télécom), “Trios” ou “quatuors” (comme à Pleyel), “Équipe” (comme au foot) ;
- Bandit, tueur : “personne” ;
- Cadavre : “corps sans vie” (comme pain sans gluten) ;
- Gitan, nomade : “personne-issue-de-la-communauté-des-gens-du-voyage” ;
- Multirécidiviste drogué, etc. “vie cabossée” (comme une voiture à la casse) ;
- Nomade des Balkans : “Roumain” ;
- Mourir, tuer : “perdre” ou “prendre la vie”, (comme on prend le bus) ;
- Nuit d’émeute : “émaillée de…” (comme la vaisselle de Sèvres) ;
- Policier : “fonctionnaire” ;
- Toxicomane : “consommateur” (comme au supermarché) ;
- Voler : “dérober”, subtiliser” ;
- Voyous illettrés : “jeunes disqualifiés par l’école”.
Pour contraindre la piétaille médiatique à parler la novlangue, les rédactions ont pondu des “codes d’éthique” purement bienséants, prohibant le réel criminel ; surtout les origines ou l’apparence physique des malfaiteurs. Codes qui oblitèrent la norme du droit, qui par exemple, n’interdit de nommer le malfaiteur que s’il est mineur, pas autrement, dans le respect de sa présomption d’innocence.
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Ainsi, le plus souvent :
- Si la victime est étrangère, ou “issue de la diversité”, donner le nom, photo possible,
- Si la victime est indigène, patronyme occulté le plus souvent,
- Si le malfaiteur est indigène, son nom est toujours mentionné, voire matraqué,
- Si le malfaiteur est allogène, il devient “une personne” ou “un Strasbourgeois”. Pas de photo, bien sûr.
- Toujours affirmer, pour apaiser le lecteur, que la justice s’active. Titre “Jusqu’à quatre ans de prison pour X et Y”. Là, lire vite suggère que deux canailles croupiront 1 460 jours sur la paille humide des cachots. Non ! Aller sous le titre et lire le texte en petit, plutôt vers la fin, révèle à l’inverse qu’il s’agit de peines avec sursis, ou “aménagées”, et de bracelets électroniques.
- Toujours reprendre les affirmations du ministère de l’Intérieur, si fantaisistes soient-elles : des rédactions passives ou “ubérisées” ne peuvent faire sans la manne d’infos officielles, sans laquelle elles devraient enquêter elles-mêmes, ce qui coûte cher…
- Toujours livrer celui qui rejette la doxa médiatique à la vindicte publique : le marqueur “controversé” signale ici l’exécration du système,
- Toujours obscurcir : un nomade toxicomane ? Non: un “ressortissant roumain consommateur de produits stupéfiants”. Qui a dit noyer le poisson ?
- “Changer le regard”… “tourner la page”… “briser les tabous”… “combattre les stéréotypes” (ou “les clichés”)… ces aimables devises signalent l’ingénierie sociale-GAFAM, visant à susciter l’approbation des plus vomitives exactions du néo-monde.
Enfin, lire de près la néo-presse révèle vite que le crime est signé : quoiqu’en théorie écrits en français, ces textes sont truffés d’américanismes,: dix personnes au total (“a total of…”), “une personne âgée de 25 ans (“a person aged 25”), etc.
Travail pratique : traduire en français clair ce texte en novlangue
- Hier, un trio d’auteurs a subtilisé le sac d’une personne âgée de 90 ans. La police arrivant, les trois ressortissants roumains ont entrepris d’en découdre avec les fonctionnaires, dont l’un a failli perdre la vie. Au tribunal, l’équipe de consommateurs de produits stupéfiants, dont deux jeunes disqualifiés par l’école, a reçu jusqu’à six mois de prison, peines aménagées par un juge apitoyé par leurs vies cabossées.
- Hier, trois jeunes allogènes ont volé le sac d’une nonagénaire, puis la bande de nomades a assailli les policiers, dont l’un a failli mourir. Au tribunal, ces multirécidivistes drogués et déscolarisés ont reçu une peine fictive et sont repartis libres.
Xavier Raufer, criminologue