En Hongrie, des affaires récentes sont une fois de plus venues remettre en cause la narration officielle selon laquelle le pays de Viktor Orbán serait un cauchemar pour la presse auto-proclamée « libre et indépendante ». Ceux muselant la presse hongroise sont bien plus à rechercher de l’autre côté de l’Atlantique que sur les rives du Danube.
Orbán censeur ? Parlons-en !
Le Premier ministre hongrois est souvent présenté dans les médias occidentaux comme un véritable bourreau de la liberté d’expression et des médias. Il tiendrait les journalistes hongrois en joue et gérerait la presse de manière autoritaire. En réalité, si des spécificités en matière de marché des médias sont bien à relever en Hongrie, et à mettre sur le compte des caractéristiques des pays post-socialistes, la liberté de ton dans la presse hongroise est bien plus vivace qu’en France.
Le paysage médiatique hongrois est éminemment plus diversifié qu’en France et se divise en deux camps opposés : d’un côté, les médias pro-gouvernementaux et, de l’autre, ceux étant contre Orbán. Ces derniers se plaisent à s’appeler « libres et indépendants », mais ils sont en fait liés à des degrés divers à des officines libérales libertaires occidentales.
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La palette des discours médiatiques est ainsi plus large en Hongrie qu’en France, alors que le camp pro-gouvernemental est souvent dépassé en termes d’impact par les médias de gauche sur internet, les libéraux de centre-ville maîtrisant mieux les outils du numérique que les conservateurs, tout en sachant que leur public grandit à mesure qu’avance la wokisation des jeunes urbains, un phénomène contre lequel le gouvernement hongrois ne peut que très peu.
Une plus grande liberté de ton en Hongrie qu’en France
Qu’il y ait à redire sur le paysage médiatique hongrois est une chose. Sa dynamique s’apparente souvent à un dialogue de sourds où s’affrontent les pro- et les anti-Orbán, une situation débouchant inévitablement sur une baisse de la qualité de l’information. Mais voir en Hongrie une volonté de censure des médias par la pouvoir politique est une aberration. Le gouvernement de Viktor Orbán n’en serait tout bonnement pas capable, et n’en a d’ailleurs pas le projet.
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Bien au contraire, il existe au quotidien des contenus médiatiques d’une virulence rare envers la personne du chef de gouvernement hongrois, et, dans l’ensemble, les joutes médiatiques sont bien moins guindées et policées qu’en France. Pour des raisons historiques et financières, les Hongrois manient l’assignation en justice pour diffamation et injure de manière très timide. Conséquence : les journalistes n’ont pas peur d’attaquer frontalement, de dénigrer, de cogner dur et souvent d’insulter. Ils osent ce que leurs confrères français ne peuvent même pas imaginer.
Vous avez dit censure ?
Parler de censure et d’attaques contre la liberté de la presse et d’expression sans évoquer les GAFAM confine au ridicule. C’est pourtant ce que les médias de grand chemin font à propos de la Hongrie. Jamais ils n’évoquent les réels cas de censure en Hongrie, et préfèrent se concentrer sur des censures orbaniennes n’existant que dans leurs fantasmes.
Car si les censeurs libéraux libertaires locaux ont certes moins de poids en France qu’en Hongrie, les gendarmes numériques de la bien-pensance y sont bien actifs et multiplient les descentes sur des médias et des personnalités jugées incorrectes. Inutile de préciser qu’Orbán n’est qu’un nain face à cette terreur des géants californiens de la tech. N’en déplaise aux lecteurs convaincus des bulletins paroissiaux officiels de la République française, Le Monde et Libération pour citer les plus connus, Orbán n’est non seulement pas un censeur mais il est un dirigeant qui ne peut et ne fait rien contre les véritables censeurs : les GAFAM.
Quand Google censure un média pro-Orbán
Le 24 mars dernier, Google a décidé de supprimer la chaîne YouTube du média pro-gouvernemental Pesti Srácok pour « violations des règles de la communauté ». Le géant américain ne se sent même plus obligé de motiver en détails ses prises de décision.
En l’espèce, Google accuse Pesti Srácok d’avoir contourné une décision de février 2020, qui avait elle aussi consisté en une suppression de la chaîne YouTube de ce média. Il y a maintenant plus de trois ans, cette censure pour des motifs fallacieux peinant à dissimuler un biais clairement politique avait provoqué une manifestation rassemblant 5000 personnes devant le siège budapestois de la société américaine.
Parmi les manifestants se trouvait l’ancien député d’opposition et avocat de gauche, András Schiffer, qui avait tenu un discours ayant pour cible la censure exercée par les GAFAM :
« Quand on parlait de liberté de la presse, on pensait toujours à la télévision et à la radio, et on croyait que tout le monde allait s’exprimer librement sur internet, ce qui n’a pas été le cas […] Celui qui tient l’opinion sur internet pourra dominer le domaine politique et culturel. Et on ne pourra pas voter contre ces gens. Voilà ce qui se passe en ce moment. »
Google censure un média de gauche… La faute aux algorithmes
Contrairement à ce qu’a affirmé Éric Naulleau dans l’Heure des Pros le 26 avril (à partir de 45’28), les journalistes d’opposition ont le vent en poupe en Hongrie. En témoignent les succès de Telex et de Partizán, qui sont évidemment libres de s’exprimer et suivis par un public considérable.
Fait amusant : une vidéo de la chaîne Partizán a été censurée par le géant américain, non pas pour avoir franchi les limites de la doxa admise par les GAFAM, mais pour avoir diffusé des images d’un mouvement proche du parti nationaliste Mi Hazánk, le HVIM (Mouvement de jeunesse des soixante-quatre comitats), qui avait lui aussi fait l’objet d’une censure par le passé. La boucle est bouclée.
Le flicage opéré par Facebook
En Hongrie, Twitter et Telegram sont encore boudés, les journalistes et responsables politiques utilisant encore massivement Facebook pour communiquer. Les personnalités proches du Fidesz font l’objet d’une vigilance particulière de la part de l’empire de Zuckerberg : le shadow-banning est un concept leur étant familier.
Le 16 mars, Dániel Deák, influenceur pro-Fidesz, a vu sa page supprimée par Facebook. En cause ? Des déclarations manifestement trop radicales sur une affaire de pédophilie au sein d’un établissement scolaire hongrois.
De son côté, le député et président du parti nationaliste Mi Hazánk (un parti dont la page Facebook avait été censurée quelques jours avant les élections du 3 avril 2022), László Toroczkai est tout bonnement interdit de Facebook depuis des années, alors que la société américaine vient de fermer la page du site d’information conservateur de référence des Hongrois de Slovaquie, Ma7.
Le principal média pro-gouvernemental en ligne, Mandiner, avait lui aussi en 2021 fait l’objet d’intimidations de la part de Facebook. L’affaire n’était pas allée jusqu’à une suppression de page, mais avait consisté en une baisse considérable de l’impact de la page de Mandiner.
Les médias anti-Orbán peuvent eux dormir tranquilles. Liés aux mêmes chapelles occidentales que les géants de la tech, ils ne risquent en aucun cas la censure. C’est pourtant bien eux que l’on plaint dans les médias de grand chemin français, tandis que de leur côté les médias pro-Orbán et nationalistes doivent sans arrêt se méfier des pièges que leur tendent les GAFAM.