On apprenait le 10 décembre dernier (2019) la création par des députés de droite d’un groupe parlementaire polonais « pour la défense de la liberté d’expression », avec notamment pour but de combattre le phénomène de censure préventive exercée par les grands médias sociaux américains. « Nous observons que la censure en Pologne est à sens unique et que c’est la gauche qui fait peser une menace sur la liberté d’expression parce que les idées fausses ne savent pas gagner autrement qu’en fermant la bouche de leurs opposants », a estimé le député Dobromir Sośnierz, député de la Confédération, coalition des nationalistes et des libéraux-conservateurs détenant 11 sièges à la Diète après avoir obtenu près de 7 % des voix aux élections du 13 octobre.
Procès intenté à Google
Cette annonce s’inscrivait dans la suite du procès intenté à Google par le rédacteur en chef d’un des principaux hebdomadaires du pays, Do Rzeczy, avec l’assistance des avocats de l’Institut Ordo Iuris, une association d’avocats et juristes pro-famille et pro-vie. Ce procès concerne la censure idéologique mise en œuvre en Pologne par le service de vidéo YouTube.
Présent le 10 décembre à la réunion qui s’est tenue à la Diète polonaise à ce sujet, le rédacteur en chef de la chaîne de télévision Internet wRealu24 a parlé du blocage infligé par YouTube en août dernier.
« Cette fois cela a concerné wRealu24.pl, mais il y a des tas de chaînes comme la nôtre. Je rappelle que nous avons 300.000 utilisateurs réels et voilà qu’un censeur veut nous dire ce qui est un ‘discours de haine’ et ce qui n’en est pas un. Maintenant nous avons reçu un nouvel avertissement pour une émission (…) sur les catholiques, la liberté, la défense de la civilisation latine. (…) Nous nous sentons discriminés. », a expliqué Marcin Rola, le rédacteur en chef de wRealu24.
Revenus publicitaires coupés
Un représentant d’Ordo Iuris a confirmé à la Diète que la censure contre la chaîne conservatrice wRealu24 n’était pas un cas isolé. Il a aussi raconté aux députés comment Google coupait les revenus publicitaires des médias de droite en démonétisant les vidéos qu’ils émettent, c’est-à-dire en les privant de la possibilité d’insérer des publicités dans ces vidéos.
« C’est aux tribunaux polonais de juger si certaines paroles ou si une émission donnée enfreignent les droits de quelqu’un. Ce n’est pas à une multinationale de le faire sans avoir à en répondre devant quiconque. (…) Je ne sais pas s’il n’est pas temps de s’occuper de ces énormes compagnies américaines qui ne tiennent pas compte de la société dans les différents pays » a déclaré un député du parti agraire PSL (30 députés) membre du nouveau groupe parlementaire pour la protection de la liberté d’expression.
Pour le leader nationaliste Robert Winnicki, « Les grandes sociétés informatiques constituent la pire menace pour la liberté de parole au XXIe siècle », ce sont « les chars d’assaut d’un nouveau type de marxisme » qui combattent « l’identité nationale, l’identité religieuse et même l’identité sexuelle ».
Font également partie de ce groupe parlementaire de lutte contre la censure idéologique pratiquée par les réseaux sociaux aux mains de la gauche américaine un député du parti Droit et Justice (PiS) aujourd’hui au pouvoir et un autre du parti libéral Plateforme civique (PO), le principal parti d’opposition qui gouvernait avec le parti agraire PSL de 2007 à 2015, ce qui montre que la constatation de la menace qui pèse aujourd’hui sur la liberté d’expression est perçue bien au-delà de la frange la plus à droite de l’échiquier politique polonais.
Lettre ouverte du CSA polonais et de journalistes
À la mi-novembre, plusieurs journalistes, artistes et hommes politiques, parmi lesquels un certain Krzysztof Czabański, l’actuel dirigeant du Conseil des médias nationaux, l’équivalent polonais du CSA, adressaient au premier ministre polonais Mateusz Morawiecki une lettre ouverte contre la censure pratiquée par le géant américain Google.
« Nous observons avec une grande inquiétude et une grande colère les pratiques liberticides que les puissants médias sociaux mettent de plus en plus souvent en œuvre en Pologne. Il y a eu ces derniers mois des actions de censure qui n’avaient pas été vues dans la Pologne libre depuis 30 ans », se sont plaints les auteurs de cette lettre qui voient ainsi eux aussi un lien très clair entre la censure actuelle et celle de la dictature communiste qui s’est effondrée en 1989 en Pologne comme dans toute l’Europe de l’Est. Pour les auteurs de la lettre au premier ministre polonais, les contenus censurés par Google et les autres médias sociaux comme Facebook, lui aussi nommément cité, sont ceux « qui ne correspondent pas à la vision du monde servie par les milieux de gauche ». « Dans tous les cas », poursuivent les auteurs de la lettre, « après avoir censuré des vidéos, les représentants des grandes sociétés Internet ont invoqué un concept de ‘discours de haine’ défini de manière très vague. » Et ils mettent en garde :
« Le totalitarisme contemporain ne naît pas dans les bureaux des leaders politiques. Nous ne le percevons pas non plus dans les disputes entre partis souvent injustifiées et manipulant la vérité car ces conflits publics sont le fondement de la démocratie. Paradoxalement, la menace qui pèse sur les libertés civiques et le développement civilisationnel commence à nous arriver des puissantes compagnies du secteur de la communication. (…) Aujourd’hui, l’action de sociétés comme Google, sous prétexte de lutter contre ce qu’on appelle le discours de haine, détruit la liberté d’expression. Les compagnies comme YouTube cherchent de cette manière à éliminer les opinions conservatrices de l’espace public.»
Photo : capture d’écran vidéo conférence de presse du 10 décembre 2019 co organisée par Marcin Rola. Via YouTube