Il s’agit d’une des plus grandes centrales nucléaires au monde, la plus puissante d’Europe. Elle fait trembler tout le monde depuis le milieu de l’été. La centrale de Zaporijjia pourrait à tout moment faire l’objet d’un accident, dont les responsables seraient bien évidemment à chercher du côté de Moscou. C’est ce que chantent tous en chœur les médias occidentaux, qui oublient au passage de livrer les informations les plus élémentaires sur la place de cette centrale dans le conflit russo-ukrainien.
Un enjeu stratégique de premier plan
Cette centrale est aux mains des Russes depuis début mars 2022. Ce que nos médias ont tendance à oublier, c’est que l’enjeu de cette centrale va au-delà de son occupation militaire et réside dans le contrôle et l’acheminement de sa production. Ce point est dans l’ensemble massivement occulté dans la presse occidentale. Le regain de tension médiatique sur cette centrale correspond au moment où les Russes, début août, ont officiellement annoncé l’enclenchement de la phase de réorientation de la production électrique de la centrale vers la Crimée, en coupant les itinéraires d’approvisionnement vers les régions contrôlées par Kiev. Il n’est du reste pas à exclure que ces opérations expliquent le récent retour de la question criméenne, les discours de Zelensky expliquant vouloir reprendre la péninsule aux Russes et les attaques ukrainiennes contre cette dernière. Mais ces enchaînements sont trop complexes pour les médias de grand chemin, qui préfèrent donner dans le sensationnel et le larmoyant, une attitude qui a culminé le 15 août sur BFMTV avec Aline Le Bail-Kremer, qui sous un angle psychologique et affichant fièrement les couleurs ukrainiennes, rejette la faute sur Poutine :
Aline Le Bail-Kremer: “Au regard du traumatisme qu’a été Tchernobyl, il n’y a aucun mobile pour que l’Ukraine tire” sur la centrale de Zaporijia pic.twitter.com/J4b64gtN7n
— BFMTV (@BFMTV) August 15, 2022
France 2 pris en flagrant délit de manipulation
Le ton donné par la presse française cet été consistait à parler de « bombardements » en se gardant bien de préciser, ou d’essayer de clarifier, qui étaient les auteurs de ces bombardements. Les experts s’étant aventurés à prétendre que la Russie n’avait aucun intérêt à effectuer des frappes sur une centrale qu’elle occupe depuis plusieurs mois étaient largement minoritaires dans la presse, et n’étaient en général invités qu’une seule fois sur les plateaux.
Mais France 2 est allé bien plus loin, et, dans un sujet mémorable, a sans vergogne montré des images qui selon la voix-off prouvent les attaques russes sur le toit de la centrale. Les internautes ont très vite effectué leur propre fact-checking, en montrant que le fameux missile montré par la chaîne France 2 était en fait une cheminée du toit de la centrale. Pris la main dans le sac, France 2 a présenté ses plus plates excuses depuis :
❓ Centrale nucléaire de #Zaporijia en #Ukraine : un reportage de @France2tv a‑t-il confondu un missile et une cheminée ?
La chaîne s’est excusée de son erreur. Les explications d’@Alexandre_HRN 👇https://t.co/kvk9HXldGk
— Libération (@libe) August 23, 2022
Quand Zelensky sort du bois, la presse française l’ignore
Le 14 août, en plein frémissement médiatique sur la centrale, le président Zelensky passe indirectement aux aveux en expliquant que les forces ukrainiennes étaient prêtes à frapper les Russes occupant la centrale nucléaire.
Ukraine will target Russian forces at Zaporizhzhia nuclear plant, says Zelenskiy – video https://t.co/XXwvZBXilq
— The Guardian (@guardian) August 14, 2022
Aucune réaction outrée dans la presse française suite à cette déclaration. Les bombardements étant depuis toujours présentés sans préciser leurs origines, voire en sous-entendant ou en affirmant qu’ils sont l’œuvre du chien fou Poutine, comme l’appelle BHL dans son film Pourquoi l’Ukraine.
Les Occidentaux veulent le départ des troupes russes de la centrale, car ils ont bien conscience que Kiev est en train d’être privé de ses ressources essentielles. La bataille pour les ressources est un des versants de cette guerre, et pour l’habiller les médias occidentaux usent comme à leur habitude de techniques maniant l’émotionnel et le sensationnel. Certes, une catastrophe nucléaire n’est pas à exclure – dont les ukrainiens seraient au moins partiellement responsables — et les agitations autour de la centrale consistent à jouer avec le feu. Mais nos médias répandent un brouillard psychologique empêchant d’y voir clair dans cette affaire.
Le spectre de Tchernobyl
Il semblerait que les Russes aient désormais accepté la venue d’une équipe internationale de l’Agence internationale de l’énergie atomique pour inspecter la centrale. Le président français a déclaré que son homologue russe était d’accord sur ce principe. En parallèle de cette option qui semble raisonnable, le travail médiatique à sens unique continue. Rien ne semble indiquer que les médias français entendent faire la lumière sur les responsabilités des uns et des autres. Il leur suffit de lancer invariablement le mots « bombardements » et « centrale nucléaire » pour que les consommateurs de médias conditionnés mentalement sur ce conflit n’y voient que du feu et voient naturellement apparaître la main du Poutine. Les médias n’ont plus besoin d’être précis, la machine de propagande de guerre fonctionne toute seule.
On évoque partout des frappes sur une centrale occupée par les Russes, un nouveau Tchernobyl qui se dessine. Une carte interactive des éventuelles radiations, dans le cas d’un accident entre le 15 et le 18 août, a même été publiée :
After studying the wind forecasts, this is where experts believe that radiation would go if there was an accident at the Zaporizhzhia Nuclear Powerplant between August 15–18.
Poland, the Baltic states, Romania and Hungary would be effected most out of EU states. pic.twitter.com/WhSsDJ9uqc
— Visegrád 24 (@visegrad24) August 18, 2022
Et cela va plus loin : ces radiations toucheraient des pays de l’OTAN ! La Russie se rendrait ainsi responsable d’une attaque contre l’OTAN. Tout est donc bon pour l’escalade médiatique (et qui sait militaire), alors qu’aucun élément concret n’est fourni par la grande presse française sur la réelle situation militaire autour de la centrale.