La présidence de la Chaîne Parlementaire de l’Assemblée Nationale, qui se partage, avec Public Sénat, le même canal et une des facettes de la (coûteuse) exception française, est renouvelée en juin. L’actuelle présidente, Marie-Ève Malouines, nommée en 2015, est candidate à sa succession. Mais un proche de Macron est favori… si bien que la course à la présidence pourrait déjà avoir été décidée.
Soutenue lors de sa nomination par Frédéric Haziza, très influent sur LCP-AN, Marie-Ève Malouines est l’auteur de plusieurs livres sur la cohabitation Chirac-Jospin, François Hollande et Ségolène Royal, ou encore Nicolas Sarkozy.
La légitimité ébréchée de Marie-Ève Malouines
Connue comme une fine connaisseuse des arcanes de la politique traditionnelle – enfin plutôt celles de « l’ancien monde » avant le big-bang de la présidentielle 2017, elle a aussi subi de plein fouet les accusations d’agression sexuelle dirigées contre Frédéric Haziza, pour des faits survenus en 2014.
Suspendu en novembre, celui-ci a été réintégré en janvier sur la chaîne après n’avoir cessé de contester les faits qui lui étaient reprochés, tandis que la journaliste à l’origine de la plainte, Astrid de Villaines, a annoncé son départ de la chaîne parlementaire après avoir tenté, sans succès, de négocier une rupture conventionnelle. La SDJ, passablement échaudée, a voté une motion de défiance contre Marie-Ève Malouines à l’unanimité moins une abstention. Signal d’un réel malaise interne lié à un « climat délétère » où affleurent d’autres éléments à charge contre Frédéric Haziza, mais qui n’ont pas été repris dans l’enquête interne de la chaîne qui a dédouané l’animateur.
Le 7 février, c’est Pascal Boniface qui envoie un obus de 75 sur Marie-Eve-Malouines, dans la blogosphère de Mediapart. D’abord en rappelant que c’est Frédéric Haziza qui l’a faite nommer, au prix de quelques arrangements avec l’honnêteté : « comme Marie-Ève Malouines n’avait pas réellement de programme prêt et qu’il y avait quand même un passage devant le conseil d’administration, Frédéric Haziza lui conseilla par mail de copier le programme de Gérard Leclerc. Mais, par erreur, au lieu de l’adresser à Marie-Ève Malouines, il l’envoya à Gérard Leclerc. C’était ballot ! ».
Mais cela n’empêcha pas la nomination de Marie-Eve-Malouines : « à l’université, ou même lors du baccalauréat, un copieur ou tricheur est exclu cinq ans. À LCP/AN, on est nommé pour trois ans après avoir copié le programme de son concurrent ». Et « curieusement, Le Canard enchaîné, qui dans sa chronique médias pourfend les turpitudes de l’audiovisuel public et privé, resta muet sur ce sujet ». Il est vrai que seuls Challenges et Le Monde se sont intéressés à la voie royale qui a été faite à Marie-Eve-Malouines par Claude Bartolone, alors président PS de l’Assemblée.
Marie-Eve-Malouines aurait-elle censuré Robert Ménard et Pascal Boniface ?
En 2015, une émission qui a donné la parole à Robert Ménard sur le sujet de la blouse à l’école, Causes Communes, est supprimée. Son producteur, Francis Bianconi, explique à Minute, qui révèle l’information, que ce sont justement les huit minutes du sujet biterrois qui ont signé l’arrêt de mort de l’émission animée par Thierry Guerrier. Le directeur des programmes de la chaîne, Eric Moniot, le reçoit : « Il m’a dit, textuellement : “Marie-Ève Malouines n’a pas apprécié que vous donniez la parole à Ménard”! »
Pascal Boniface se plaint aussi de la censure : « Marie-Ève Malouines donne rapidement pour instruction aux journalistes de la chaîne de ne pas m’inviter, afin de complaire à son mentor », il s’agit là de Haziza. « Lors du conseil d’administration du 14 décembre 2016, la députée Isabelle Attard souleva la question de la censure dont je fais l’objet. Marie-George Buffet, absente lors de ce conseil, avait envoyé une lettre interrogeant sur les motifs de mon interdiction d’antenne. Marie-Ève Malouines crut habile d’expliquer que je n’avais de toute façon que peu d’audience ».
C’est dans ce contexte que lors d’une émission animée par Frédéric Haziza, Frédéric Encel qualifie d’ « ennemis de la nation » Alain Badiou, Edwy Plenel et Pascal Boniface. Les deux derniers demandent un droit de réponse… que « cette dernière s’empressa de ne pas l’accorder, indiquant, pour ce qui me concerne, qu’un panneau où il était inscrit que je niais les accusations portées contre moi avait été montré pendant quinze secondes dans l’émission suivante », achève Pascal Boniface.
Non seulement la direction de la chaîne ne réagit pas , mais aucun droit de réponse ne pourra y être exercé. Ce qui laisse songeur, surtout sur une chaîne financée à fonds perdus par le contribuable. Laissons Pascal Boniface conclure au canon : « Marie-Ève Malouines est prisonnière de ses conditions de nomination : il est bien plus confortable de présider la chaîne parlementaire que d’opérer un véritable travail de journaliste ».
Geneviève Goëtzinger et Christine Kelly écartés par l’Assemblée Nationale
Néanmoins, lundi 12 février, après l’oral des cinq candidats retenus jusqu’alors par l’Assemblée Nationale, trois ont été retenus dont Marie-Ève Malouines.De son côté, Geneviève Goëtzinger, directrice des relations institutionnelles de France Média Monde (ex-AEF) depuis 2012 et ancienne journaliste pour Radio Corse Frequenza Mora, puis diverses radios libres, RFO (devenue depuis France O), et surtout Radio France Internationale (1989–2012), a été écartée.
Tout comme Christine Kelly, qui a débuté sur la TV privée Archipel 4 en Guadeloupe, avant d’être formée à l’INA puis à l’IJBA (institut de Journalisme Bordeaux – Aquitaine) puis de travailler pour France 3, Sud-Ouest, Demain.tv, LCI, Ushuaïa TV, et enfin le CSA de 2009 à 2015. Elle est ensuite nommée présidente du Musée européen des médias, qui ne se trouve pas dans les locaux de l’audiovisuel public français comme on aurait pu le penser, mais doit ouvrir en 2019 à Saint-Denis.
Thierry Guerrier, passé par tous les médias, C dans l’air… et Total
Restent parmi les trois retenus deux journalistes, Thierry Guerrier et Bertrand Delais. Le premier, dont l’émission avait été supprimée après avoir donné la parole à Ménard, a travaillé sur France Inter (1981–87), France 3, M6, la Cinq, TF1 (1994–2001), a été directeur adjoint de France Info (2005–2006), joker d’Yves Calvi pour C dans l’air, est passé par RTL (2007–2008), Europe 1 et a fini par être remercié de France 5 en 2012. Salarié d’une agence de com’, Ella Factory, il a été embauché pour mener un audit sur la stratégie de communication de Total, puis travailler sur un site du groupe.
Lorsqu’il reprend son activité de remplaçant pour C dans l’Air en 2013, il garde son boulot alimentaire chez Total, ce que révèle Mediapart pour qui le « ménage » fleure bon le mélange des genres. Visé, il réplique : « j’ai accepté ce travail car je ne voulais surtout pas être au chômage. Je n’ai jamais touché un centime des Assedic et j’en suis fier. Je n’ai plus de carte de presse. Je ne la demande plus. Le journalisme n’est plus mon activité principale. Si j’avais un poste plus conséquent, je ne travaillerais pas pour Total. Mais il faut bien que je vive ».
Après Marie-Eve-Malouines, biographe de Hollande, Bertrand Delais, biographe de Macron ?
Le favori pour le poste est Bertrand Delais. Après des études de droit, Sciences Po et l’EHESS, il réalise de nombreux documentaires, surtout pour le service public. Plus récemment, il a réalisé deux portraits de l’actuel président de la République, dont Macron, en marche vers l’Elysée, diffusé sur France 2 après son élection. Sur son Facebook, il vantait son film ainsi, quelques jours avant sa diffusion : « J’espère que ce film donnera à comprendre la force peu commune de notre nouveau Président, sa capacité de contrôle, son regard distancié et sa détermination sans faille ».
Après avoir rencontré Emmanuel Macron au comité de rédaction de la revue Esprit en 2011, il l’a revu régulièrement, et a relu plusieurs discours du candidat au début de sa campagne présidentielle comme l’a révélé Wikileaks. « Trois emails envoyés par Quentin Lafay, alors principal rédacteur des discours du fondateur d’En Marche, à Bertrand Delais entre juin et octobre 2016, mettent en effet en évidence la confiance accordée par Emmanuel Macron au journaliste. Il est proposé à chaque fois au réalisateur de commenter ses projets d’allocution », rappelle Marianne.
Le premier arrive le 16 juin 2016, quelques jours avant un discours au Grand Orient de France, et commence par ces mots : « Cher Bertrand, Tu trouveras ci-joint un premier jet, que je fais remonter en parallèle à mon directeur de cabinet (…) Tu te doutes bien que je suis extrêmement preneur de tes remarques générales et particulières ». Les deux autres qui ont fuité datent du 9 juillet et du 3 octobre, toujours avec le même ton très déférent.
Ces derniers mois, Bertrand Delais s’est aussi fendu de plusieurs billets sur le Huffington Post. Notamment pour célébrer le discours de Macron lors de la mort de Johnny Hallyday : « Il a parlé seul avec sa plume aux Français. Il leur a dit qu’il était comme eux tout en se mettant à distance. Une posture compassionnelle et jupitérienne qui vient souligner la charge de la fonction, et la gratitude qui doit l’accompagner ». On a connu plus critique. Ou encore « le président à l’optimisme sans bornes », celui qui « est un Président qui assume de rentrer dans l’histoire ». Macron bien sûr. Celui qui « par son optimisme veut croire aux vertus du progrès. Cette espérance dans le progrès le met clairement dans le camp de la gauche ».
N’en jetez plus ! Pour Le Canard Enchaîné (14.02), c’est plié : « la surprise s’est déroulée comme prévu […] le documentariste préféré de Macron, Bertrand Delais, s’est retrouvé dans la liste des trois derniers candidats retenus par le comité de sélection ». Une quinzaine de députés dirigés par le vice-président de l’Assemblée Hugues Renson, qui fait partie de la République en Marche. Et la décision finale appartient au nantais François de Rugy, lui aussi En Marche.
Le comité est lui-même à moitié macroniste. Et selon un pilier de LCP interrogé par Marianne, « Bruno Roger-Petit [journaliste de seconde zone et porte-parole de l’Élysée] passe des coups de fil aux députés LREM en leur disant : “Delais est mon candidat ». Et ça marche. D’après la Lettre A, quatre députés LREM lui ont attribué la note de 18/20 lors de l’épreuve écrite de sélection (la moitié de la note finale) ce qui lui a permis de passer en tête, avec une moyenne de 15.61, alors que ses quatre rivaux étaient entre 12 et 13.61/20. Il semble que là encore, Macron a décidé de ne pas rompre tout à fait avec l’ancien monde.