Alors que des faits divers toujours plus violents ponctuent l’actualité, une annonce a fait grand bruit. Le 6 septembre 2020, le ministre de l’intérieur s’est engagé devant deux journalistes du Parisien à publier tous les mois plusieurs indicateurs sur la délinquance. Devant cet exercice de « transparence », les médias oscillent entre accueil favorable et réserve. Aucun ou presque ne souligne que le démantèlement à la fin de l’année de l’Observatoire de la réponse pénale risque fort de faire baisser considérablement la qualité des informations mises à la disposition des citoyens à ce sujet.
Un accueil favorable ou neutre par certains médias
L’annonce par le « premier flic de France » de bulletins mensuels sur la délinquance traduit-elle une plus grande transparence des autorités en la matière ? Plusieurs médias l’accueillent en tout cas favorablement.
C’est le cas de Ouest-France pour qui G. Darmanin et M. Schiappa sont « à l’offensive ».
La radio affiliée à l’État français France Info souligne que selon « certains professionnels de la délinquance, ces chiffres publiés chaque mois seront utiles pour agir plus vite sur des délits récurrents ou en augmentation ». Le Huffpost , comme Sud-Ouest et Les Échos, reste très factuel le 7 septembre en titrant sur « Darmanin et Schiappa publieront chaque mois les chiffres de la sécurité ».
Des réserves tant sur la « politique du chiffre » que sur les chiffres communiqués
Quelques jours après l’annonce du ministre, plusieurs médias émettent des réserves sur cet exercice de transparence revendiquée. Ils donnent la parole à des professionnels de la question : policiers, sociologues, etc. Le périmètre des informations données au public et leur interprétation possible sont au cœur de leurs remarques.
BFMTV s’interroge le 7 septembre : s’agit-il d’un simple « coup de comm » ? Un sociologue pointe notamment le risque de priver l’information à ce sujet d’une « cohérence d’ensemble ».
Le Parisien donne la parole à un syndicaliste policier qui souligne « l’impasse faite sur certains indicateurs, comme le nombre de cambriolages ou les violences aux personnes, craignant que les statistiques choisies ne reflètent pas « ce qui fait l’essentiel de l’insécurité dans notre pays ».
Le Courrier picard décrit le 9 septembre « la bataille politique et le défi technique » posés par cette annonce. Les nombreux biais dans les chiffres de la délinquance communiqués par le gouvernement sont soulignés par un chercheur, tandis que la syndicaliste policière Linda Kebbab s’offusque du retour de la « politique du chiffre ».
Marianne, La Croix, etc. soulignent ce qui fait débat dans les indicateurs retenus, en s’appuyant sur l’éclairage d’universitaires.
Le débat tel que posé par la très grande majorité des médias à l’occasion de l’annonce du ministre de l’intérieur est centré sur la question des indicateurs existants et de leurs périmètres. Mais il fait l’impasse sur deux autres sujets majeurs concernant l’information sur la délinquance :
- la demande d’un observatoire des peines, formulée notamment par des syndicalistes policiers en juillet 2020,
- la fin programmée de l’Observatoire des suites pénales en décembre 2020.
Dites-moi ce dont vous avez besoin, je vous dirai comment vous en passer
Le fait que le ministre de l’intérieur va désormais communiquer chaque mois sur les chiffres de la délinquance lui permettra d’occuper le terrain et de commenter les indicateurs qu’il aura choisis. Une façon de reprendre la main sur la communication en la matière, mais qui ne tient pas compte de la proposition faite par des syndicalistes policiers cet été.
Dans un article co-écrit par l’AFP, Ouest-France et 20 Minutes font état le 23 juillet de la demande du syndicat policier Alliance de création d’un observatoire des peines qui « reposerait sur trois critères : la peine encourue, la peine prononcée et la peine réellement effectuée. L’opinion publique a le droit de savoir et toute la transparence doit être faite », conclut le syndicaliste interrogé.
Alors que les médias nous informent fréquemment d’agressions toutes plus sordides les unes que les autres commises par des récidivistes libérés parfois par anticipation de prison, une information exhaustive sur l’effectivité des peines permettrait de mesurer le delta entre les condamnations et la réalité des peines appliquées aux délinquants. Ces informations présenteraient le grand avantage de dépasser les constats ponctuels de libérations malheureuses de délinquants et d’avoir une vue d’ensemble sur le travail fait par les policiers pour réprimer les crimes et délits. Et surtout sur les suites données par la justice. Cette demande d’informations précises à ce sujet, formulée en juillet, n’a pas retenu l’attention du ministre de l’intérieur. Un sujet sans importance, peut-être ?
La suppression de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, un non-événement ?
Il y a un an, un siècle à l’aune de l’actualité médiatique, plusieurs médias annonçaient la suppression de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. Un organisme chargé, selon notamment Dalloz actualités « d’étudier les évolutions statistiques en matière de délinquance ».
Le Figaro soulignait le 11 octobre « la fin d’un regard indépendant sur le ministère de l’intérieur »
LCI reprenait le 15 octobre 2019 un tweet de l’INSEE sur la suite des travaux statistiques que faisait jusqu’à maintenant cet observatoire :
« L’Insee et les services statistiques des ministères de l’Intérieur et de la Justice s’organiseront ensemble pour assurer la continuité »
La concomitance entre la fin de l’activité de l’Observatoire national de la délinquance et l’annonce par le ministre de l’intérieur de communications mensuelles de certains chiffres de la délinquance n’est soulignée par pratiquement aucun média de grand chemin.
Le journal québécois le Devoir est bien seul le 12 septembre à faire le rapprochement entre ces deux décisions gouvernementales :
« Pour rendre compte de son action, le ministre de l’Intérieur dit vouloir publier chaque mois les chiffres de la délinquance. Une annonce qui contraste avec la décision du gouvernement de supprimer, pour cause de coupes budgétaires, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ».
Il y avait pourtant beaucoup à dire sur la suppression de cet organisme et sur la fin possible de certains de ses travaux, peut-être trop gênants pour le pouvoir en place. Ce qui est bien en jeu est la qualité et l’indépendance de l’information qui est communiquée aux citoyens par les médias.
Quelques protestations
Il y a bien eu quelques protestations fin 2019 et début 2020. Un sénateur a posé une question écrite le 21 novembre 2019 pour « comprendre ce qui justifie la suppression d’un observatoire reconnu non seulement dans son domaine de compétence mais pour la neutralité de ses analyse ». Celle-ci est toujours sur le site du Sénat « en attente de réponse du premier ministre ».
Un rapport sénatorial publié le 20 novembre 2020 a eu beau souligner que la suppression de l’organisme de tutelle de l’Observatoire de la délinquance était « contestable », rien n’y a fait.
Quelques médias ont pointé l’importance de la décision du gouvernement de mettre fin à l’activité d’un organisme comportant des personnalités indépendantes et produisant des rapports, notamment sur les crimes et délits enregistrés, sur l’évolution des phénomènes criminels « à travers une approche multi-sources », etc.
Le risque de la fin programmée de l’enquête annuelle de victimation « Cadre de vie et sécurité », permettant d’estimer le nombre de victimes pour les principales formes d’atteintes à la personne ou aux biens a suscité fin 2019 de vivres critiques. Pour n’en citer que quelques-unes :
20 Minutes soulignait l’utilité de ces enquêtes qui permettent de dresser un constat plus affiné des violences, en ne se basant pas sur une seule source, policière, et sur les seuls dépôts de plainte.
Le criminologue Alain Bauer décrit dans une longue interview parue en décembre 2019 sur le site de l’Institut pour la justice les nombreuses conséquences négatives possibles de la suppression de l’Observatoire de la délinquance.
Enfin, un billet d’humeur paru sur le site Atlantico paru en janvier 2020 lâche plusieurs critiques acerbes contre le gouvernement. L’une d’entre elles mérite que l’on s’y attarde :
« toutes les statistiques sur l’état général du pays et sur la façon dont l’État s’acquitte de ses fonctions régaliennes (…) seront entièrement dans les mains de ceux qu’elles sont censées évaluer ».
Mais foin de ces considérations mesquines, puisque l’heure est selon Ouest-France « à l’offensive ». On pourrait ajouter également que l’heure est à la multiplication des déplacements et des déclarations bravaches. Le thermomètre cassé, la température devrait rester clémente…