La première partie est ici. Dans la deuxième partie de notre entretien exclusif, Claude Chollet, fondateur et président de l’Observatoire du Journalisme, donne aux lecteurs de Remix News un aperçu des causes profondes du parti-pris libéral-libertaire et du manque de pluralisme des grands médias français.
Vous êtes aussi le fondateur et rédacteur en chef de l’Observatoire du Journalisme, un site qui se targue d’informer ceux qui informent les Français et qui le fait avec une optique plutôt conservatrice alors que la France est dominée par les médias progressistes. Il paraît que cela vous vaut des ennuis ?
J’ai créé l’Observatoire du Journalisme il y a 11 ans. C’est un site d’analyse critique du journalisme, qui réalise des portraits de journalistes, des portraits factuels. Nous avons publié plus de 300 portraits à ce jour, qui sont actualisés. Nous avons aussi réalisé 35 infographies sur les groupes de presse et nous suivons avec nos articles quotidiens la vie économique de la presse, les changements dans les médias, et aussi de plus en plus, hélas, les censures qui touchent les médias et également les réseaux sociaux. Nous nous intéressons bien sûr aux réseaux sociaux et maintenant aussi à l’intelligence artificielle qui va peut-être modifier un certain nombre de choses dans les médias.
Forcément, ce que nous faisons ne plaît pas à tout le monde. J’imagine volontiers que l’Observatoire du Journalisme puisse être plutôt impopulaire auprès d’une partie des journalistes en France, mais notre objectif n’est pas d’être populaire. L’objectif, c’est d’être véridique et d’être honnête. Je ne revendique pas l’objectivité car je ne crois pas du tout à l’objectivité, par contre, je crois à l’honnêteté et nous essayons d’être au plus près du réel. Alors bien sûr, de temps en temps, nous avons des ennuis.
Par exemple, nous avons aujourd’hui un nouveau procès en cours avec un certain Amjad Allouchi, un très jeune journaliste du journal régional Le Progrès à Lyon. Avec le soutien de son journal, qui règle ses frais d’avocat, Allouchi nous attaque vraiment de manière ridicule pour discrimination parce que nous avons mis en cause un de ses articles où il s’attaquait à une lanceuse d’alerte très active en Rhône-Alpes et en particulier à Saint-Étienne et à Lyon.
Elle s’appelle Isabelle Surply et elle a notamment réussi à faire expulser un imam intégriste de la commune où elle était conseillère municipale dans la région Rhône-Alpes, en diffusant une vidéo d’un de ses prêches. Elle a alors été attaquée par ce très jeune journaliste du Progrès de Lyon et nous avons publié un article mettant en lumière le manque d’honnêteté de cet article signé par Allouchi tout fraîchement sorti d’une école de journalisme et qui n’avait pas, je crois, encore sa carte de presse. Nous avons simplement écrit que Le Progrès avait choisi pour ce sujet concernant l’islamisme le journaliste Amjad Allouchi en ajoutant la mention « sans commentaire » entre parenthèses après son nom. C’est sur ce « sans commentaire » que nous sommes attaqués pour discrimination. Si les enjeux financiers n’étaient pas si importants, ce serait à mourir de rire. Mais le problème pour nous, c’est que si nous devions perdre, on peut imaginer une peine de plusieurs milliers d’euros, ce qui serait un coup très dur pour un média avec des moyens aussi modestes que les nôtres.
Je dois aussi dire que nous avons malheureusement dû changer d’hébergeur et nous exiler aux États-Unis, ce qui m’a peiné. Notre site ojim.fr était hébergé chez OVH, le principal hébergeur français. Mais nous avons été attaqués par le lobby LGBT de Radio France qui s’appelle Le Cercle. Nous avions publié un article assez ironique, mais pas injurieux, sur le lobby LGBT de Radio France. Ce lobby ne nous a pas attaqué directement mais nous a dénoncés, avec le soutien de la direction de Radio France, auprès d’OVH qui a suspendu notre site pendant une heure à titre d’avertissement. J’ai consulté mon avocat qui m’a fortement conseillé de changer d’hébergeur en me prévenant que chez OVH, ils ne veulent pas d’ennuis et qu’à la prochaine dénonciation ils suspendront le site de l’Observatoire du Journalisme définitivement, sans prévenir et sans possibilité de recours.
Le résultat, c’est que cela nous coûte quatre fois plus cher aux États-Unis où la liberté d’expression est plus grande, mais nous n’avions pas le choix.
Aujourd’hui, les lobbies LGBT, et surtout le lobby trans qui est la sous-partie du lobby LGBT qui nous avait attaqué, ont un pouvoir de nuisance réel avec leurs comportements hystériques.
Il existe une spécificité de la loi française qui fait que les associations subventionnées, qu’elles soient de type LGBT, immigrationnistes ou autres, peuvent poursuivre toutes les personnes et organisations exprimant des opinions qu’elles estiment être des incitations à la haine ou à la discrimination, ce qui doit être très dissuasif pour les journalistes et médias conservateurs, toutes ces associations étant progressistes de gauche…
Oui, en effet, c’est comme cela depuis la loi Pleven de 1972, puis il y a eu plus tard, en 1990, la loi Gayssot, du nom d’un député communiste. Ces deux lois sont complémentaires : la loi Pleven permet à une association, même s’il n’y a pas une plainte d’un individu, de se porter partie civile pour discrimination ou incitation à la discrimination en fonction de la race, de la religion ou de l’origine, tandis que la loi Gayssot permet de faire de même tout ce qui touche l’histoire, le révisionnisme, etc. Le domaine concerné par l’action de ces associations subventionnées par l’État est donc devenu extrêmement vaste, alors que, si l’on prend l’exemple de SOS Racisme, ce sont parfois des associations qui n’ont quasiment plus de membres. SOS Racisme est en fait une succursale du Parti socialiste qui ne vit que des subventions et qui peut porter plainte contre les médias de droite, hostiles à l’immigration, catholiques, conservateurs ou autres comme Fdesouche, le Salon Beige, nous-mêmes, etc.
Pour les journalistes ou les médias attaqués, cela coûte de l’argent et prend du temps de se défendre. Même si j’ai gagné mon dernier procès, j’ai des frais d’avocats. À chaque fois, c’est 3 000 ou 5 000 euros de frais d’avocats. C’est aussi une politique d’usure qui est menée de la sorte.
Est-ce pour cela qu’il y a si peu de voix conservatrices dans les médias français ?
La réalité, c’est qu’il y a 37 000 cartes de presse en France et également au moins 5000 journalistes qui n’ont pas de carte de presse. Au total, il doit y avoir 42 000 ou 43 000 journalistes et si la situation n’est pas monocolore, je pense pouvoir dire qu’une majorité — peut-être 50 % — de journalistes sont plus ou moins sincèrement libéraux libertaires, c’est-à-dire plus ou moins libéraux sur le plan économique et libertaires sur le plan sur le plan sociétal. À côté de cela, il y en a peut-être 10 % qui sont conservateurs. Ceux-là se taisent. Le reste, soit plus ou moins 40 %, suivent simplement le courant majoritaire.
Il se trouve que pour l’Observatoire du Journalisme, les rédacteurs sont souvent des étudiants en journalisme ou de jeunes journalistes qui se font un peu d’argent en écrivant pour nous. Un de mes rédacteurs a fait l’école de journalisme de Sciences Po, considérée être une bonne école et qui délivre un diplôme d’État. Ce jeune journaliste est ensuite allé travailler au quotidien régional Ouest-France. C’est toujours intéressant pour un jeune journaliste de travailler dans la presse quotidienne régionale car on y apprend bien son métier. Seulement, il a quitté ce journal au bout de deux ans et demi. Il m’a expliqué qu’il ne pouvait rien y dire et ne pouvait exprimer ses points de vue à personne au sein de la rédaction, et il envisage même de quitter le journalisme. Ce n’était même pas le propriétaire du journal, le rédacteur en chef ou son chef de service qui exerçait des pressions sur lui, mais son voisin d’ordinateur qui lui disait : « Est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis ? Tu n’es pas avec nous ? Mais c’est très inquiétant, je te demande de te reprendre », etc. etc. Il savait très bien que s’il réitérait avec des propos jugés non conformes, il allait être mis au ban de la rédaction puis du journal. Au début, il s’est exprimé timidement et puis après il a compris et il s’est tu.
Et c’est la même chose dans les écoles de journalisme où une partie des étudiants sont entraînés à se taire. Nous sommes en train, à l’Observatoire du journalisme, de réaliser une série sur les écoles de Journalisme. Nous avons déjà traité l’École supérieure de journalisme de Lille, qui est la plus gauchiste, nous avons aussi traité l’école de journalisme de Sciences Po ainsi que le Celsa. Nous publierons une brochure papier à la rentrée sur les 14 écoles de journalisme reconnues par l’État.
À des degrés divers, l’ambiance est à peu près la même dans la plupart des écoles de journalisme reconnues en France, qui sont contrôlées par la gauche libérale-libertaire politiquement correcte. Si vous voulez avoir votre diplôme et si vous voulez surtout qu’on vous pistonne après pour avoir un emploi, il ne faut pas qu’on sache que vous avez des opinions conservatrices.
Le journaliste et écrivain Laurent Obertone a fait l’École supérieure de journalisme de Lille et je lui ai demandé comment il avait fait. Il m’a répondu qu’il s’était tu pendant les deux années qu’il a passées dans cette école parce qu’il savait que, sinon, il n’aurait pas son diplôme.
J’aurais voulu aborder un autre aspect de ce système français de la presse avec l’exemple de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, le seul grand média conservateur encore présent sur le marché français de la presse écrite. Son directeur de la rédaction vient d’être limogé et cela se passe peu après que le journal a été racheté par un homme d’affaires libanais. Si les médias français sont presque tous du même côté idéologiquement, n’est-ce pas aussi parce qu’ils appartiennent à des milliardaires qui ont besoin de travailler avec l’État?
La situation est nuancée. D’abord, Iskandar Safa, qui est le propriétaire de Valeurs actuelles, est un Franco-Libanais plutôt conservateur, et je ne pense pas du tout que ce soit un homme de gauche. Vu son parcours, je suis même persuadé que c’est plutôt un homme de droite. Cependant, c’est d’abord et avant tout un homme d’affaires qui a des intérêts immobiliers importants dans le sud de la France et qui est propriétaire des chantiers de Cherbourg. Ces chantiers ont des clients militaires. Ils fabriquent des corvettes, des frégates, des avisos, et une grande partie de son activité économique dépend évidemment des commandes de l’État ou d’autorisations d’exporter. Dans cette histoire, je pense en effet qu’il a voulu avant tout protéger ses intérêts économiques. Avec Geoffroy Lejeune comme directeur de la rédaction, la ligne éditoriale de Valeurs actuelles était très agressive vis-à-vis d’Emmanuel Macron et de son équipe. Elle a même été très pro-Zemmour à une certaine époque et je pense que cela gênait Iskandar Safa non pas politiquement mais plus pour ses affaires.
Et cela fonctionne-t-il de la même manière pour les autres médias ?
Cela dépend des médias. Je pense que cela fonctionne sans doute pour Le Figaro, qui appartient à Dassault. Le fabricant du Rafale a aussi des commandes publiques pour l’aviation. Ses relations avec l’État comptent aussi pour les exportations car il faut une autorisation pour exporter des matériels militaires.
En revanche, je ne pense pas que cela fonctionne de la même manière pour Bernard Arnault dont l’empire est dans le luxe. Cela ne fonctionne pas non plus pour Vincent Bolloré. En fait, les milliardaires investissent dans les médias pour se protéger. Pourquoi Xavier Niel a‑t-il investi dans une myriade de médias, y compris dans le groupe Le Monde dont il est devenu l’actionnaire de référence ? Pourquoi rachète-t-il Nice-Matin ? Pourquoi prend-il des participations dans le site d’information et d’opinion Atlantico ? Pourquoi rachète-t-il Paris Turf ? C’est pour protéger ses intérêts économiques et secondairement idéologiques.
François Pinault fait la même chose avec Le Point. Pourquoi Bernard Arnault rachète-t-il Les Échos ? Pourquoi rachète-t-il Le Parisien dans lequel il investit 80 millions d’euros ? Parce que quand vous êtes propriétaire d’un grand journal, vous avez automatiquement accès à l’Élysée et au premier ministre. Vous décrochez votre téléphone et on vous répond. C’est d’abord une politique de protection de vos investissements et dans cette situation vous avez quand même intérêt à être plutôt en bons termes avec les autorités, quelles que soient ces autorités.
Notez aussi que Xavier Niel est le gendre de Bernard Arnault et que, à eux deux, ils représentent une puissance financière et une puissance médiatique absolument considérables. Et ce n’est pas les insulter que de dire qu’ils sont tous les deux des libéraux-libertaires.
Ils sont d’un côté pour l’argent et les dividendes, et de l’autre côté pour le sociétal, le mariage pour tous, les LGBTQ+, etc. Le sociétal étant un petit peu, j’emploie cette expression osée, le cache-sexe du capital libéral. C’est une manière de dire quelque chose dans le style : ne touchez pas à mon argent, regardez, je suis gentil sur toutes les questions sociétales, le mariage pour tous, je trouve ça absolument formidable, et je ne trouverais pas si mal qu’il y ait l’avortement à 28 semaines car c’est la liberté de la femme, etc. Il y a un double jeu politique et idéologique. Ces gens très riches essayent d’abord de protéger leurs intérêts et au fond leurs intérêts idéologiques rejoignent leurs intérêts économiques.
Le tableau que vous dressez des médias français fait un peu penser à une oligarchie…
Absolument, c’est un système oligarchique. Pour mettre fin à ce système oligarchique, il faudrait rétablir la redevance audiovisuelle mais en permettant à chaque foyer d’attribuer cette redevance au média de son choix. En l’absence de choix exprimé, cet argent irait au service public. Cela assurerait l’indépendance des médias et on verrait fleurir un petit peu plus de pluralisme en France. Malheureusement, à ma connaissance, à ce jour, aucun parti politique français n’a repris cette proposition.
Il me semble que la loi française cherche à obtenir le contraire du pluralisme. Il existe par exemple encore une loi spécifique à la France qui fait que, quand quelqu’un rachète un média, les journalistes de ce média peuvent démissionner de leur propre chef et attaquer leur acheteur aux prud’hommes pour demander de très grosses indemnités sous prétexte de changement de ligne éditoriale. Il me semble qu’une telle loi n’est faite que pour réserver les médias à ces oligarques, qui sont les seuls qui capables de faire face à ces très gros frais potentiels, difficiles à évaluer au moment du rachat.
Je ne crois pas que c’était le but premier de cette loi mais elle a en effet été détournée. Au départ, cette loi a été faite pour protéger les journalistes, et c’est quelque chose de très positif. Comme effectivement la plupart des médias sont aujourd’hui libéraux-libertaires, un conservateur qui voudrait racheter un tel média rencontrerait des difficultés. Cela lui coûterait une fortune, puisque la plupart des journalistes voudraient partir pour toucher leurs indemnités. Je ne pense pas que c’était intentionnel au départ, mais dans les faits cette loi peur servir désormais en partie et d’une certaine manière à réserver les médias aux oligarques, oui.
Il y a malgré tout des oligarques qui se démarquent par la ligne éditoriale de leurs médias. En tout cas, il y en a au moins un : Vincent Bolloré, avec ses chaînes de télévision CNews et C8. Ces médias se caractérisent par un pluralisme dans le paysage audiovisuel français, car on y voit des gens de droite comme de gauche s’y exprimer, avec y compris des opinions interdites ailleurs. Mais voilà que la ministre de la Culture d’Emmanuel Macron menace Bolloré que l’autorité des médias pourrait bientôt les priver ses chaînes de télévisions de leur licence pour émettre.
Il y a effectivement une véritable offensive en ce moment contre Vincent Bolloré et contre les chaines CNews et C8, qui doivent voir leurs fréquences renouvelées en 2025. Cette offensive a été lancée par la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak mais aussi par Marine Tondelier, qui est la responsable du parti Europe Écologie Les Verts, ainsi que par Aymeric Caron, député de La France Insoumise. Ce sont deux partis d’extrême-gauche et ils tiennent tous le même discours. Je les cite « Cnews est une chaîne d’opinion, c’est une chaîne qui n’est plus libre et il faut lui enlever sa fréquence ». Xavier Niel, que j’ai mentionné plus haut, semble aujourd’hui se préparer pour essayer de reprendre ces fréquences en 2025 à Vincent Bolloré. CNews est la seule chaîne de télévision pluraliste aujourd’hui en France, c’est-à-dire la seule ou des gens conservateurs peuvent s’exprimer à côté des gens de gauche, d’extrême gauche et du centre qui s’y expriment également. Mais que des conservateurs puissent s’exprimer provoque le scandale auprès de gens qui avaient l’habitude de parler entre eux et qui n’acceptent le débat qu’avec des gens du même bord.
Bolloré a cependant quand même les reins solides et il a quelques moyens pour se défendre. Il vient de réussir son OPA sur Lagardère. Il va récupérer le Journal du Dimanche, Paris Match et la radio Europe 1. Je pense donc qu’il se défendra mais cette offensive contre CNews et C‑8 illustre bien l’intolérance fondamentale de la gauche libérale-libertaire qui ne peut pas supporter qu’on la remette en cause.
L’autre question que pose ces attaques contre ces deux chaînes de télévision, c’est celle de l’indépendance de l’autorité des médias, l’ARCOM, si le gouvernement peut l’enjoindre de ne pas renouveler les fréquences de télévisions privées afin de limiter la liberté d’expression. C’est d’autant plus surprenant que l’on a vu les autorités de Bruxelles intervenir contre des pays comme la Pologne et la Hongrie quand elles considéraient que leur autorité des médias était insuffisamment indépendante.
C’est une autorité pseudo-indépendante. Les membres de l’ARCOM, qui a beaucoup de pouvoir, sont nommés par le président du Sénat, le président de l’Assemblée nationale et le président de la République, qui en choisit le président. Le président actuel de l’ARCOM est considéré comme un libéral qui a l’échine très, très souple et je ne pense pas que l’ARCOM représentera un pôle de résistance significatif si les autorités françaises lui demandent gentiment de faire ceci ou cela.
NB : Cet entretien a été réalisé avant la nomination de Geoffroy Lejeune au JDD et avant les émeutes des banlieues de l’immigration.