La décision est tombée le 13 février : le Conseil d’État a ordonné à l’Arcom (ex-CSA) d’évaluer le respect des obligations de la chaîne CNews en matière de pluralisme. Une décision difficile à appliquer, qui risque d’être un véritable casse-tête pour les médias comme pour le régulateur.
Première diffusion le 15 février 2024
L’OJIM prend ses quartiers d’été : du dimanche 28 juillet au dimanche 25 août nous republions les articles les plus significatifs du premier semestre.
Aux origines du recours : Vincent Bolloré et le « précédent dangereux pour la démocratie »
C’était en novembre 2021 : irritée par ce qu’elle dénonce comme des « manquements à ses obligation légales d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information », l’association Reporters sans frontières saisit l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et lui demande la mise en demeure de la chaîne CNews. En cause ? Les propos tenus au détour d’une émission de L’Heure des pros.
Le 5 avril 2022, l’Arcom refusait d’agir contre CNews, provoquant l’ire de l’association, qui dépose le 13 février 2022 un recours auprès du Conseil d’État.
RSF dans le rôle du flic
Le recours ne cache pas ses velléités à l’encontre de la personnalité de Vincent Bolloré, principal actionnaire de la chaîne : « Les pratiques de l’homme d’affaires Vincent Bolloré dans le secteur des médias, explique l’association à l’occasion de l’annonce de son recours, créent un précédent dangereux pour la démocratie, par sa conception d’un journalisme aux ordres et d’une télévision d’opinion ».
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Un recours qui renforce les pouvoirs de l’Arcom en matière de pluralisme
À l’issue de la question prioritaire de constitutionnalité de RSF, le Conseil d’État a rendu une décision (n°463162) dans laquelle il a procédé à l’annulation de la décision de l’ARCOM (article 1er) et a demandé au régulateur de « prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités, et pas uniquement le temps d’intervention des personnalités politiques ».
Car pour l’institution, « en s’en tenant ainsi à la seule prise en compte du temps d’antenne accordé aux personnalités politiques pour l’appréciation des obligations du service en matière de pluralisme de l’information, l’Arcom a fait une inexacte application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 ». Une telle décision marque ainsi l’extension des prérogatives du régulateur en matière de respect du pluralisme dans les médias. Pour les responsables de Reporters sans frontières, il s’agit là d’une « une grande victoire pour RSF mais surtout une décision historique pour la démocratie et le journalisme ».
🔴 Robert Ménard, ancien président de Reporters Sans Frontières et fondateur de Boulevard “Voltaire” (précisément pour la liberté d’expression) se dit atterré :
“Vous devriez être les premiers à vous réjouir que certains points de vues soient enfin visibles grâce à #CNews” ⤵️ pic.twitter.com/D6ylvMqboJ
— Boulevard Voltaire (@BVoltaire) February 14, 2024
Une mission impossible aux relents arbitraires
Mais l’est-ce vraiment ? Si le décompte des temps de parole des personnalités politiques est aisé, celui des multiples intervenants invités sur les plateaux l’est beaucoup moins. Comment définir le positionnement politique d’un philosophe ? D’un écrivain ? D’un journaliste ? La qualité arbitraire de cette appréciation saurait-elle répondre à des processus normatifs de contrôle que l’autorité devra mettre en place pour répondre à ces injonctions ? La décision du Conseil d’État ouvre en effet un précédent judiciaire qui n’affectera pas seulement CNews mais toutes les chaînes et radios d’information. Certains journalistes se sont élevés contre cette décision, à l’image de Franz-Olivier Giesbert, qui a déploré une décision inquiétante en s’indignant : « On est en train d’aller vers un gouvernement des juges […] C’est […] hallucinant de connerie.».
Voir aussi : Le prix de la liberté de la presse de RSF pour un journaliste polonais en dit plus long sur RSF que sur la Pologne