Le dimanche 2 février 2025 dernier était rediffusé sur France 5 le documentaire « Colonisation une histoire française », visite guidée.
Un beau voyage dans l’espace et dans le temps
Le documentaire est constitué de 3 épisodes d’une heure, diffusés à la suite :
- Épisode 1 : Conquérir à tout prix, 1830–1914
- Épisode 2 : Fragile apogée, 1918–1931
- Épisode 3 : Prémices d’un effondrement, 1931–1945
Les deux personnalités aux manettes de ce documentaire viennent de la gauche : tout d’abord Hugues Nancy, le réalisateur, qui a fait partie du cabinet d’Élisabeth Guigou et a présidé le Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS) et les Jeunes Socialistes Européens ; ensuite Marc Ferro, le conseiller historique, qui politiquement s’affirme de gauche non communiste et a notamment signé en 2007 un appel à voter pour Ségolène Royal « contre une droite d’arrogance » et « pour une gauche d’espérance ».
Une certaine partialité est perceptible dès les premières minutes, mais cela n’empêche pas un agréable moment de télévision. Des images d’archives exceptionnelles, issues de l’Institut Lumière et de Gaumont Pathé, plongent le téléspectateur dans ce que fut l’ambiance coloniale. Ces images insolites, accompagnées par la voie douce et tragique de Chloé Réjon, montrent colons et colonisés dans leur vie de tous les jours et en disent souvent autant qu’un long discours.
Certains pans d’histoire justement évoqués
Certains aspects historiques, qui sont nécessaires pour bien saisir l’enchaînement des faits, sont correctement rendus ; citons par exemple le contexte de concurrence (de mimétisme ?) qui prévalait en Afrique à la fin du XIXe siècle entre l’Angleterre, la France et l’Allemagne.
Autre fait historique rappelé : le rôle joué par le milieu intellectuel parisien, et le Parti Communiste Français à partir de 1920, comme creuset de la contestation coloniale. C’est largement par l’immersion des nouvelles générations colonisées dans l’effervescence politique de l’entre-deux guerres, que ces dernières ont développé leur corpus idéologique et sont devenues des militants nationalistes.
Mais une présentation biaisée
Le Petit Larousse précise ainsi la définition du mot biaisé :
« se dit d’une observation présentant une distorsion systématique, ou d’un raisonnement fondé sur une telle observation ».
Le documentaire montre effectivement une distorsion systématique, où le même schéma se serait répété pour tous les pays colonisés :
- une conquête militaire violente ;
- une opposition permanente des peuples colonisés ;
- une ambition civilisatrice de la France, qui se heurte au lobby colonial et qui échoue.
L’aspect initial proprement militaire des conquêtes coloniales est une réalité qui n’est pas contestable. Le reportage montre d’ailleurs comment les Français ont fait preuve d’opportunisme en s’appuyant sur des rivalités tribales ancestrales pour parvenir à leurs fins.
Sur le deuxième point, il n’est en réalité pas possible de parler de lutte permanente des peuples colonisés, une fois passée la période de conquête et de pacification. En effet, les réalisations considérables d’infrastructures de toute nature, les campagnes sanitaires et médicales, le développement des écoles et de l’enseignement, s’étalent sur plusieurs décennies. Tout cela n’aurait pu ni se concevoir ni se réaliser dans un environnement qui n’aurait pas été pacifié.
Par exemple et pour ne citer qu’un chiffre, la population musulmane en Algérie a été multipliée par 5 durant la période de colonisation, ce qui n’aurait pas été possible dans un contexte de lutte permanente. Clairement, les territoires concernés ont connu une longue période de calme et de développement, et le documentaire occulte les acquis et réalisations de la colonisation, dont la plupart perdurent encore aujourd’hui.
Une ambition civilisatrice
Sur le troisième point, il y aurait eu beaucoup plus à dire sur l’ambition civilisatrice de la France.
Le documentaire montre une ambition, souvent menée à marche forcée, qui se heurte d’une part aux réticences de la population autochtone, et d’autre part à la mauvaise volonté des colons et des grandes compagnies.
Cette ambition était centralisée depuis Paris et souvent impulsée par des hommes politiques de gauche (Ferry, Gambetta…) qui revendiquaient le progrès social dans l’empire. Et elle a obtenu des résultats, tant sur le plan des infrastructures que du point de vue de la formation d’une élite francophone, ce qui n’est malheureusement qu’à peine effleuré.
Mais surtout, un documentaire historique aurait pu faire ressortir les spécificités du projet français de colonisation, où l’élévation des populations apparaissait comme un devoir des pays les plus développés. La colonisation française se voulait assimilatrice, elle s’efforçait d’intégrer, de répandre les bienfaits d’un modèle issu des Lumières et de la révolution qu’elle pensait universelle, de diffuser les progrès scientifiques et techniques, quitte à ignorer les institutions, coutumes et cultures existantes. En comparaison, la colonisation anglaise était plus pragmatique, fondée sur les échanges et le commerce, davantage orientée vers les avantages directs retirés par la métropole, si bien qu’elle apparaissait comme plus respectueuse des structures locales en place.
Cette lacune est d’autant plus regrettable que le format de 3 heures aurait facilement permis d’approfondir ce qui caractérisait le projet français, avec ce qu’il contenait aussi de valeur morale.
Même si, vu d’aujourd’hui, cette ambition française de mission civilisatrice peut paraître de fait naïve, paternaliste, et politiquement immature.
À l’heure des décoloniaux
Faire un film sur l’histoire de la colonisation constitue certes une gageure. Raison de plus pour s’efforcer de présenter une vision équilibrée, ce que des personnalités aussi politiquement engagées que Hugues Nancy et Marc Ferro n’étaient peut-être pas en situation de faire
Selon la loi du 30 septembre 1986, le service public audiovisuel doit « assurer l’honnêteté, l’indépendance et la pluralité de l’information ». Sur un tel sujet, et à l’heure où le mouvement décolonial « agit pour défaire le caractère impérial, colonial et racial de l’État français » (principes politiques généraux du Parti des Indigènes de la République), la rediffusion d’un tel documentaire semble critiquable.
Les processus d’occupation territoriale par des puissances européennes, mais aussi asiatiques, a commencé avec la découverte des Amériques et se sont généralisés au XIXe siècle.
Il s’agit bien d’une partie de l’histoire de l’humanité, qui a structuré le monde d’aujourd’hui et pas seulement d’une histoire française comme le laisse entendre le titre du documentaire. S’il existe une histoire française, ou plutôt une spécificité française, dans la colonisation, c’est celle d’une prétention à l’universalisme, qui en l’occurrence a montré ses limites.