Rediffusion estivale 2020. Première diffusion le 22 janvier 2020
La majeure partie des journaux, mais aussi d’autres médias, reprennent chaque jour in extenso un nombre important de dépêches AFP, souvent sans en vérifier le contenu. Ce qui est en soi un premier problème. Le second vient d’une absence complète d’esprit critique quant à la sémantique de l’AFP. Un exemple datant du 18 janvier 2020.
L’information tombe dans le courant de la matinée : « le Marais pourrait perdre sa célèbre librairie LGBT », le mot « célèbre » tintera étonnement aux oreilles de nombre de Français qui ignoraient sans aucun doute l’existence de cette librairie. La nouvelle est rapidement reprise dans les médias, à commencer par Le Figaro, Ouest-France, BFMTV, 20 Minutes, CNews, Le Parisien, Têtu, Libération, L’Humanité… Les autres suivant au fil des heures.
La cause du « risque » étant l’augmentation des prix de l’immobilier qui pourrait conduire les libraires à ne plus pouvoir payer le loyer. Notons que le Marais est considéré, d’après le site topito.com comme l’un des « dix meilleurs quartiers gay dans le monde », l’un de ceux où il fait bon aller, « gay friendly ». Le Marais arrive même en seconde position après le quartier Le Castro de San Francisco. Le site écrit ceci : « D’abord réputé pour sa population juive, puis chinoise, le Marais n’est devenu un haut lieu de la culture gay parisienne qu’à compter des années 1980. Pendant des années, ce petit périmètre concentrait la plupart des bars et boutiques spécifiquement tournés vers les LGBT ; mais aujourd’hui, l’augmentation du prix des loyers dans les 3ème et 4ème a peu à peu changé le visage de l’endroit. S’il reste de nombreux bars arborant fièrement le drapeau LGBT, le Marais est avant tout un centre touristique où les boutiques de luxe s’étalent à ras de trottoir ».
Un exemple d’article : Le Figaro avec AFP
Comme ses petits camarades, Le Figaro reprend amplement et assaisonne (fort peu) la dépêche de l’AFP.
L’article
(Les commentaires en gras sont du rédacteur)
« Patrimoine culturel en danger », « Nous avons besoin de votre aide ! » avertit en grandes lettres rouges la première librairie LGBT de France, « Les Mots à la bouche » (les notions de patrimoine ont donc un coup dans l’aile, à moins que le fait d’être gay soit considéré dans cette librairie comme patrimonial). Contrainte au déménagement le 31 mars 2020, son libraire ne se résout pas à quitter son quartier parisien historique, le Marais, qui connaît une explosion des prix des loyers.
La boutique de la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, reconnaissable à sa devanture bleue, a annoncé que le bail ne serait pas renouvelé après plus de 36 ans dans les murs. Le propriétaire « veut s’aligner sur les prix du quartier, ce qui revient à multiplier par trois ou quatre le loyer », explique à l’AFP Nicolas Wanstok, libraire depuis treize ans.
Identité de quartier
Fondée au début des années 80 par Jean-Pierre Meyer-Guiton, militant du Groupe de libération homosexuelle (GLH), « Les Mots à la bouche » a fait partie des fondateurs du « Marais Gay », contribuant à faire émerger l’identité de ce quartier parisien (ici, la notion d’identité est clairement militante et désigne sans fard ce qui différencie être homosexuel et être gay). Etre gay est un acte militant, identitaire, communautariste, autrement dit se construisant contre un autre, acceptant de ce fait la pratique de la discrimination dont on s’affirme par ailleurs victime.
Mais depuis une dizaine d’années, comme dans d’autres secteurs de la capitale, le quartier se transforme sous l’effet de la gentrification (il n’est pas interdit de se demander si la « communauté » gay n’aurait pas joué un petit rôle dans ce phénomène) avec une implantation des marques de luxe et une explosion des loyers, poussant les commerces historiques (le mot est peut-être osé, la librairie n’ayant pas la gloire passée du Procope ou du Louvre) au déménagement.
Histoire récente et histoire tout court
Un coup dur pour la communauté gay de Paris (ainsi, Paris est une ville communautariste, cela semble un fait accompli pour l’AFP et les médias qui en reprennent les dépêches, ici Le Figaro.) qui voit son identité culturelle détruite (si l’on comprend bien, l’identité culturelle du Marais, quartier pour le coup historique de l’île de la Cité, l’ancien Paris en réalité, aurait plus comme identité la gay attitude que son histoire née au moyen-âge), au profit des boutiques de mode de luxe destinées aux touristes, forçant ainsi la sortie des commerces locaux, y compris les bars gays.
Après la fermeture en 2008 de la librairie Blue Book, rue Quincampoix, « Les Mots à la Bouche » est l’une des dernières librairies LGBT en France, avec les enseignes « Vigna » à Nice ou « Violette and Co » à Paris, qui proposent des ouvrages féministes et LGBT.
« Les Mots à la bouche » est une librairie historique, confirme à l’AFP Christophe Girard, Maire-adjoint de Paris pour la culture (entrée en scène de la mairie de Paris : voir la conclusion de notre analyse), « nous y sommes tous très attachés et notre objectif est qu’elle soit sauvée » (des élections sous peu, sans doute ?). « Nous continuons à chercher des options, tandis qu’ils règlent leurs conditions de sortie des lieux avec le propriétaire », ajoute-t-il.
Un quartier autrefois ouvrier, miteux et bon marché
L’univers gay du Marais a émergé dans les années 1980, contribuant au réveil de ce quartier qui était alors encore ouvrier, miteux et bon marché (la sémantique de l’AFP quant aux mots « ouvrier » et « miteux », un bel exemple de la culture issue des écoles de journalisme en France, dont les diplômés s’affirmant en général de gauche n’en ont pas moins intégré la culture du mépris de classe). Sébastien Grisez, le libraire de « Les Mots à La Bouche » déplore l’érosion de cette culture gay dans le Marais : « Il y a dix ans, il y avait beaucoup plus de bars gays ici, maintenant il n’en reste que quelques-uns. C’est vrai que la sociologie gay est en train de changer : les gens sont plus dispersés, il y a peut-être moins besoin de se rencontrer dans les bars quand on peut se rencontrer sur des applications. Mais, même ainsi, les gens regrettent que ce point de rencontre de quartier disparaisse. », confie-t-il au journal britannique The Guardian.
Par l’intermédiaire d’entités comme le GIE Paris Commerce ou le Semaest, la mairie du IVe arrondissement a proposé quelques locaux à l’enseigne historique, mais ces « pistes ne correspondaient pas » du fait de leur emplacement, souligne Nicolas Wanstok.
Fragilisée par la baisse de ses ventes, dans un quartier qui perd peu à peu sa dimension communautaire, l’équipe des « Mots à la bouche » est, selon lui, tiraillée entre la volonté de « défendre ce modèle » et celle de s’implanter ailleurs.
Moutons de Panurge
Ainsi, l’AFP, Le Figaro, mais aussi toute une presse qui ce même jour ne fait que reprendre la dépêche diffuse ce traitement-là de l’information, traitement au cœur duquel se trouve la mise en avant positive du communautarisme identitaire sexuel et géographique. Personne ne semble par ailleurs se rendre compte ou bien vouloir se rendre compte du rôle joué par la culture gay et bobo des grandes métropoles dans l’augmentation du prix des loyers de ce type de quartiers.
Gageons que la librairie sera vite sauvée par Anne Hidalgo, sans doute avant le premier tour des municipales. Elle n’a d’ailleurs pas cessé de favoriser les communautés homos, dans la lignée de Delanoë, ce que l’OJIM a montré dans un dossier consacré à l’affaire Mehdi Meklat : la Mission Intégration, Lutte contre les Discriminations et droits de l’Homme de la Mairie de Paris attribue chaque année plein de sympathiques subventions à nombre d’associations dont SOS Racisme, Le MRAP, MAG-Jeunes LGBT, SOS Homophobie et le Mouvement d’Affirmation des Jeunes Gais, Lesbiennes, Bi et Trans…
Les problèmes de ce type de quartier, et donc de ce type de librairies, pourraient bien avoir une cause clairement identifiée, mais non exprimée : la culture libérale libertaire du fric.