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Comment Marianne a refusé l’offre (généreuse) de Pierre-Édouard Stérin

15 juillet 2024

Temps de lecture : 4 minutes
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Comment Marianne a refusé l’offre (généreuse) de Pierre-Édouard Stérin

Temps de lecture : 4 minutes

Racheter un média ce n’est pas seulement racheter un titre, une entreprise avec chiffre d’affaires et résultat, c’est aussi racheter une histoire, une culture, une rédaction, une humeur, ces quatre éléments qui se sont révélés – à moins d’un revirement inattendu, incompatibles avec l’entrepreneur catholique pratiquant.

Marianne/Křetínský, étrange attelage

Sur le plan financier Mar­i­anne ce n’est pas la gloire. Nous ignorons pourquoi le mil­liar­daire tchèque Daniel Křetín­ský a racheté en 2018 un titre hos­tile au libéral­isme débridé, à la mon­di­al­i­sa­tion, au laiss­er faire et laiss­er-pass­er chers à l’extrême-centre. C’était le début de ses incur­sions dans les médias, un bal­lon d’essai peut-être. Un bal­lon anti-Macron devenu encom­brant pour ses affaires et qui l’a obligé à lancer un anti-Mar­i­anne, Franc-tireur, furieuse­ment libéral-lib­er­taire et macroniste.

Des pertes récurrentes

Mar­i­anne a per­du 5M€ en 2022, 3M€ en 2023, on peut prévoir au moins la même perte en 2024. Un com­mu­niqué de CMI, la hold­ing médias de Křetín­ský indi­quait que depuis son rachat en 2018 le groupe a « depuis lors injec­té 20 mil­lions d’euros dans la société, repo­si­tion­né le titre » et « décidé de pass­er le relais ». 20 mil­lions d’euros c’est beau­coup, même pour le roi du char­bon. Le jour­nal a été réduit à 50 pages, le prix dimin­ué à 3,50€ ce qui a per­mis une relance des ventes en kiosque, le tout insuff­isant pour réduire de manière sig­ni­fica­tive les pertes en qua­si absence de publicité.

Négociations prometteuses puis rupture

À la mi-mai 2024, CMI annonçait être en négo­ci­a­tion exclu­sive avec Pierre-Édouard Stérin pour le rachat du titre. Une con­tre offre de la Finan­cière de loisirs est apparue peu après. Une offre sans finance­ment sérieux et sus­citée sans doute pour faire pres­sion sur Stérin.

Comme le men­tionne un com­mu­niqué de CMI paru dans Mar­i­anne 1245 du 4 au 10 juil­let 2024 :

La mise en vente du jour­nal était « sous deux con­di­tions : que l’acheteur soit solide finan­cière­ment pour soutenir le titre et inve­stir ; qu’il accepte les règles d’indépendance négo­ciées par nous, Nat­acha Polony et la rédaction. 

Ces règles sont excep­tion­nelles : renou­vel­er le man­dat de Nat­acha Polony à la tête de la rédac­tion ; con­sacr­er le man­i­feste fon­da­teur du jour­nal « laïque et répub­li­cain » ; adopter une charte déon­tologique garan­tis­sant l’indépendance ; créer un comité indépen­dant qui sur­veille l’application de la charte ; soumet­tre le directeur de la rédac­tion à l’approbation majori­taire des jour­nal­istes ; com­pos­er le con­seil d’administration a par­ité entre ‘l’actionnaire et la rédac­tion ; incor­por­er de manière défini­tive ces principes dans les statuts de la société. M. Pierre-Édouard Stérin … a accep­té l’ensemble de ces règles … le plus haut stan­dard de la planète ».

Il était dif­fi­cile de deman­der mieux, pourtant…

Grève de la rédaction

Ces con­di­tions léonines n’’ont pas suf­fi. Après une con­sul­ta­tion approu­vée par 60% de la rédac­tion le 21 juin pour pour­suiv­re les dis­cus­sions, le ven­dre­di 28 juin la rédac­tion se met­tait en grève per­lée. Tou­jours dans le numéro 1245 de l’hebdomadaire « les salariés de Mar­i­anne » ou au moins la majorité d’entre eux s’en expliquaient :

« Nous avons appris par divers médias, notam­ment Le Monde, que les posi­tion­nements poli­tiques de Pierre-Édouard Stérin ne se lim­i­tent pas à la sphère privée. Plusieurs can­di­dats de l’alliance LR-RN aux lég­isla­tives venaient notam­ment des rangs, des con­seillers, lob­by­istes, et autres salariés du mil­liar­daire »

Adieu veaux, vach­es, cochons et fin des discussions.

La morale de l’histoire

Elle pour­rait être triple :

  1. Si les « con­seillers, lob­by­istes et autres salariés » de Pierre-Édouard Stérin avaient opté pour le Front Pop­u­laire, les LR cha­peaux à plumes, ou pour l’extrême-centre, ça pou­vait pass­er. Leçon retenue qui n’étonnera personne.
  2. Quand on reprend un média, ou bien il est à peu près dans la ligne du repre­neur et ça passe. Exem­ple, si Stérin repre­nait Valeurs actuelles à la famille Safa, on imag­ine moins de remous. Ou alors on applique le régime Bol­loré : on ouvre le robi­net à démis­sions avec les grass­es indem­nités qui vont avec, on vire les autres avec les mêmes indem­nités grass­es et on recon­stru­it une équipe. Entre les deux, point de salut, des bis­billes, des malen­ten­dus qui se ter­mi­nent en con­flit ouvert.
  3. Le futur de Mar­i­anne paraît com­pro­mis et c’est bien dom­mage, ce ton pop­uliste de gauche est unique dans la presse. La rédac­tion veut tous les avan­tages de la coopéra­tive sans met­tre un sou de sa poche. Qui voudra injecter de nou­veau 20M€ pour ses beaux yeux ?