Dans le cadre de la procédure de sanction sous le régime de l’article 7 lancée contre la Pologne en décembre par la Commission européenne, une délégation de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen était en visite à Varsovie du 19 au 21 décembre pour y rencontrer des représentants des autorités, mais aussi des représentants de la société civile et des médias. Cette visite de trois jours doit permettre au rapporteur Claude Moraes, un travailliste britannique, de préparer un rapport sur la base duquel le Parlement européen pourra décider à la majorité des deux tiers s’il décide de donner son feu vert à la procédure initiée par la Commission devant le Conseil européen. Il s’agit donc d’un rapport comme celui préparé à propos de la Hongrie par la députée verte néerlandaise Judith Sargentini, également membre de la Commission LIBE présidée par Moraes, et sur la base duquel le Parlement européen votait le 12 septembre à propos du lancement d’une procédure de sanction du même type que pour la Pologne.
Comment se passe une telle visite en ce qui concerne les médias ? Quels médias la Commission LIBE a‑t-elle souhaité rencontrer et quels médias a‑t-elle voulu éviter ? L’Observatoire du journalisme s’est adressé à plusieurs acteurs de ces rencontres varsoviennes pour en avoir le cœur net, et l’image qui ressort de notre enquête est celle d’un rapporteur, Claude Moraes, et d’une Commission LIBE qui ne veulent entendre que les voix les plus hostiles au gouvernement polonais.
C’est le programme prévu par la Commission LIBE, auquel nous avons pu avoir accès le 18 septembre, qui nous a alerté. En effet, sur cinq médias dont les représentants avaient été invités pour venir parler devant la délégation parlementaire européenne de la liberté de la presse en Pologne le 21 septembre, quatre sont connus pour leur violente hostilité au PiS et leurs convictions très nettement libérales-libertaires (alors que le PiS, au pouvoir depuis l’automne 2015, passe pour avoir un programme plutôt conservateur). Le cinquième, le quotidien Rzeczpospolita, a certes une ligne plus libérale-conservatrice que les quatre premiers, mais son propriétaire depuis 2011 est un homme d’affaires très proche de personnalités importantes de la Plateforme civique (PO), le parti de Donald Tusk qui dénonce justement à Bruxelles les violations de la démocratie et de l’État de droit par le PiS. Qui plus est, cet homme d’affaires a acquis ce quotidien en 2011 avec le soutien actif du gouvernement de Donald Tusk que l’on disait agacé par les critiques de ce journal prestigieux. Peu après le changement de propriétaire, la rédaction a été changée et les critiques contre le gouvernement de Tusk sont devenues plus douces, tandis que celles contre le PiS s’accentuaient. Parmi les quatre autres médias, deux – le quotidien Gazeta Wyborcza et la radio Tok FM – appartiennent en fait au même groupe médiatique, Agora, soutenu financièrement par George Soros. Leur grande hostilité au PiS est de notoriété publique et ne date pas de 2015. Quand le PiS était dans l’opposition, il était déjà la cible privilégiée des attaques de ces deux médias d’obédience ouvertement libérale-libertaire. Quant à l’hebdomadaire Polityka, également sur la liste des médias invités par la Commission LIBE lors de son passage à Varsovie, c’est un média bien ancré à gauche, post-communiste, qui n’est sans doute pas moins hostile au PiS que les deux précédents.
Une télévision avait aussi été invitée, et pas n’importe laquelle. Il y a en Pologne trois grands groupes de télévision : la télévision publique (TVP), pro-gouvernementale, et donc pro-PiS aujourd’hui comme elle était pro-PO hier, Polsat, d’idéologie libérale-libertaire et généralement assez critique vis-à-vis du PiS, et TVN qui est depuis des années, avec Agora, le groupe médiatique le plus ouvertement engagé dans une véritable guerre contre le PiS. Or c’est un représentant de TVN qui avait été invité.
Au final, il n’y avait cependant que les quatre premiers médias mentionnés ci-dessus qui ont pu envoyer leur représentant, et il n’y avait donc personne pour TVN.
Toute la semaine, le député français Nicolas Bay (RN), membre de la délégation, a demandé au secrétariat de la Commission LIBE, sous l’autorité du président de la Commission Claude Moraes, d’ajouter des médias classés à droite pour assurer le pluralisme des points de vue présentés à la délégation en mission à Varsovie et avoir une image plus complète et plus réaliste de la liberté des médias en Pologne sous le gouvernement du PiS. Nicolas Bay a transmis à la Commission LIBE les coordonnées de journalistes appartenant à trois médias de droite : le quotidien catholique Nasz Dziennik, l’hebdomadaire conservateur Do Rzeczy et le groupe de presse proche du PiS Gazeta Polska. Il lui a été dit que Moraes avait donné son accord pour que rendez-vous soit pris avec les représentants de deux de ces rédactions. En réalité, le secrétariat de la Commission LIBE n’a téléphoné qu’au journaliste de Nasz Dziennik et n’a même pas daigné prendre contact avec les deux autres médias. Le journaliste de Nasz Dziennik s’est vu proposer par le secrétariat de la Commission LIBE un rendez-vous pour le vendredi 21 septembre à 16h30, après la rencontre avec les journalistes des quatre médias résolument anti-PiS. Le même secrétariat avait été chargé de réserver les billets d’avion des députés du Parlement européen en mission à Varsovie, et il ne pouvait donc pas ne pas savoir que l’unique journaliste de droite invité pour venir parler de la liberté des médias ne rencontrerait que trois députés sur les sept qui faisaient partie de la délégation, les quatre autres – dont le rapporteur Moraes – étant déjà repartis à l’aéroport…
C’est donc uniquement devant la députée française Noëlle Bergeron (ex-FN, aujourd’hui non-inscrite et affiliée au groupe de Nigel Farage au PE), la députée verte néerlandaise Judith Sargentini et la députée communiste italienne Barbara Spinnelli que ce journaliste d’un média catholique a pu donner son point de vue sur la liberté des médias dans son pays. Un point de vue selon lequel la situation se serait plutôt améliorée par rapport à l’époque de Donald Tusk, mais il est permis de douter que Moraes en tiendra compte dans son rapport sur la Pologne, puisqu’il n’était plus là pour l’entendre.