Il y a quelques semaines, nous consacrions un papier au portrait de Cyril Hanouna qu’a produit France 2 lors de son Complément d’enquête en date de décembre 2023, indiquant qu’il s’agissait d’un pétard mouillé. Le 18 décembre 2024, France 2 récidivait avec un portrait de Jordan Bardella. Même émission, même format, et hélas même conclusion : un énième pétard mouillé, posant des questions déontologiques et ne masquant pas son parti pris idéologique.
Des intervenants hostiles
Au-delà du contenu de ce numéro de Complément d’enquête, plusieurs éléments de fond posent problèmes. L’un des premiers est le choix des intervenants. Hormis Marine Le Pen, aucune personne interviewée dans le documentaire n’est « pour » Bardella. D’une manière ou d’une autre, toutes les personnes – ou quasiment toutes – ont quelque chose à reprocher au président du RN. Nous illustrerons avec deux témoins : Florian Philippot et Pascal Humeau.
Philippot opposant politique
Le patron des Patriotes est l’un des premiers à être interrogé. Avant même d’aller au fond de ses déclarations, rappelons que Philippot est un ancien cadre du RN, dont il est parti pour des divergences de fond, et qui, surtout, est président d’un parti qui va être opposé au RN lors des élections européennes qui auront lieu dans moins de six mois maintenant. Par simple calcul politique, Philippot a intérêt à brosser le portrait d’un Bardella inconsistant, incapable de tenir une ligne politique. Que les affirmations de Florian Philippot soient prises comme argent comptant pose un réel problème en termes de neutralité de la source. Autant demander aux gazelles leur avis sur les lions. Deux grandes accusations sont émises par Philippot : Bardella n’aurait pas de conviction et serait carriériste. Que ce soit Philippot qui accuse Bardella de ne pas avoir de conviction est un peu audacieux. Rappelons que Philippot, dont le fonds de commerce depuis trois ans est l’opposition à la gestion gouvernementale du COVID, était en faveur du masque pour tous jusqu’au second confinement avant d’entamer un virage à 180 degrés et de devenir le chantre de l’opposition au pass, obtenant ainsi quelques passages sur CNews. Par ailleurs, en admettant que ces accusations soient valables, Bardella ne serait ni le premier ni le dernier à faire de la politique pour obtenir quelques miettes de pouvoir.
Le média training en question
Le second intervenant est Pascal Humeau, un communicant officiant chez BFM. Ici, la grande accusation que lance le reportage consiste à affirmer que Bardella est une pure création artificielle, que rien chez lui n’est spontané. Pour cela, les journalistes reviennent sur le media training dont a bénéficié Bardella au début de sa carrière. Humeau y va de ses petites piques, décrivant Bardella comme « une coquille vide », « quelqu’un qui ne s’informe pas », et insistant sur le travail de longue haleine nécessaire pour obtenir un « bonjour » convenable pour le petit écran. Ici Complément d’enquête prend comme un argument une pratique courante et loin d’être neuve : le media training. Tous les hommes politiques pratiquent le média training, et ce depuis longtemps. Rappelons par exemple que François Mitterrand, avant de devenir à l’aise à la télévision dans les années 80, a longtemps redouté ce média comme l’illustre les coulisses de l’enregistrement d’un clip de campagne pour la présidentielle 1965. Vient ensuite une histoire d’argent, dont le but est d’accuser Bardella de piocher facilement dans les caisses du parti. Lors des européennes 2019, Humeau réalise plusieurs clips de campagne pour le RN. Lorsque vient le moment d’être payé par Bardella, ce dernier aurait tardé – il était tête de liste – et en serait arrivé à proposer à Humeau d’être payé sur les comptes de campagne. Jordan Bardella ainsi que les cadres du RN impliqués dans l’histoire, parmi eux le trésorier, nient cette version. Le seul argument « valable » contre Bardella repose donc sur une histoire où c’est parole contre parole, sans qu’aucune preuve ne soit apportée, mais où le doute est distillé.
Faux-compte et témoins anonymes
Le grand élément qui devait meubler ces 50 minutes d’enfonçage de porte ouverte, c’était la découverte d’un compte fake ayant supposément appartenu à Jordan Bardella entre août 2015 et février 2017. Pour étayer sa thèse, France 2 affirme tenir quatre témoins anonymes, donc invérifiables, ayant désigné le compte RepNat du Gaito comme l’alias de Bardella. Le reportage montre des captures d’écrans piochées sur le compte en question. Nous voyons alors des montages « glorifiant Jean-Marie Le Pen », un montage concernant l’affaire Théo, et enfin la republication d’un poste à propos de la piscine d’Aulnay-sous-Bois, nous y reviendrons. Notons qu’aucun élément n’est illégal. France 2 se contente d’accusations graves selon son logiciel idéologique.
Revenons un instant sur le tweet à propos de la piscine. Celui-ci souligne le faible nombre de blancs présents sur deux photos. Sur l’écran, nous relevons que le compte à l’origine de ce tweet est intitulé « Algérien ». Sans aller trop loin, il ne semble pas risqué de dire que ce compte n’est pas celui d’un néo-nazi. Par ailleurs, le fait d’avoir un compte anonyme est une pratique courante. Il y a quelques années, Marine Le Pen avait admis en posséder un. C’est une pratique normale et nécessaire si l’on ne veut pas être scruté sur les réseaux sociaux.
Par ailleurs, suite à la diffusion de l’émission, l’un des témoins anonymes a affirmé sur X ne jamais avoir confirmé que Bardella était propriétaire du compte désigné. Faisons les comptes. Quatre sources anonymes et la seule qui se manifeste affirme que le montage est trompeur, si ce n’était pas sur le service public, on pourrait parler de désinformation.
Un témoignage inventé
Poursuivons notre analyse en nous intéressant à un ancien proche de Bardella, Philippe Vardon. Le reportage prétend avoir obtenu un entretien avec lui, au cours duquel il serait revenu sur la publication de la tribune de Bardella sur le conflit ukrainien. Selon lui, Bardella aurait voulu mesurer son poids au sein du parti et aurait constaté sa faiblesse, son manque de légitimité. Le reportage tente alors de lancer l’idée que Bardella serait contesté au sein du RN, du fait de sa jeunesse, et qu’il y aurait une guerre des chefs entre lui et Marine Le Pen. Une idée que Waleckx appuiera en fin d’émission face à Thierry Mariani qui affirmera – ce que personne ne conteste – que c’est Marine Le Pen le grand chef.
Toute cette histoire est plausible. Le seul souci, c’est que Philippe Vardon a expliqué avoir refusé de participer à Complément d’enquête alors que l’émission prétend l’inverse. Pire, pour essayer de convaincre Vardon de participer, France 2 aurait fait pression en menaçant de diffuser une vieille vidéo où Vardon apparaît dans sa jeunesse. Ainsi, France 2 semble avoir purement et simplement inventé l’interview de Vardon pour alimenter sa machine. Bel exemple de déontologie, aux frais du contribuable.
Fausses comparaisons au Parlement européen
Autre élément de ce reportage : le travail de Bardella au Parlement européen. Pour faire simple, Bardella serait un député invisible. Pour appuyer son propos, le reportage compare les chiffres entre Manon Aubry, Stéphane Séjourné et Bardella. La conclusion, c’est que Bardella est nettement moins actif. Cependant rien ne vient nuancer les chiffres annoncés. Par exemple, Bardella ne publie aucun rapport, cependant Thierry Mariani précise durant son entretien que le RN ne peut pas publier de rapport du fait du cordon sanitaire mis en place par les autres groupes parlementaires. Une précision utile, mais omise par France 2. De la même manière, le reportage compare Bardella à Aubry et Sejourné, cependant aucun des deux n’a à gérer, en plus de son mandat de député, l’organisation d’un des plus gros partis politiques de France, tâche que l’on peut légitimement penser chronophage.
Agence de communication et GUD connection
Enfin est évoqué le lien mis en lumière dans le reportage entre des anciens du GUD et le RN. Toutes fières de leur trouvaille, les équipes de France 2 ont baptisé ce lien la « GUD connexion ». Pour appuyer ce lien, le magazine se concentre sur Frédéric Chatillon et Axel Loustau. En tant que patrons d’agences de communication, les deux hommes ont travaillé avec le RN. Une prestation légale et rémunérée, évidemment problématique pour France 2. En effet, il se trouve que Chatillon et Loustau ont aussi été membres du GUD dans les années 90, il y a donc plus de trente ans. Suite à diverses polémiques, et afin de faire taire les critiques et de ne pas créer davantage de soucis au RN, Chatillon et Lousteau se sont mis en retrait.
Plusieurs points sont à souligner. Tout d’abord rien n’est illégal dans ce qui est mentionné. Les transactions entre les agences de communication et le RN sont parfaitement légales. Cependant, France 2 s’en offusque car Chatillon et Loustau sont d’anciens membres du GUD. Mais le reportage ne se demande pas les alternatives qu’avait le RN. Comme l’illustre ce reportage, travailler avec « l’extrême droite » est risqué pour une entreprise. Entre le travail des « journalistes » — comme ceux de Complément d’enquête – et les Sleeping Giants, c’est l’assurance d’une belle polémique et le risque de perdre des clients. Le RN pouvait-il travailler avec beaucoup d’autres agences de communication ?
Au total le reportage présente des faits scandaleux ou problématiques selon le seul logiciel mental de ses concepteurs, pour ensuite bâtir un dossier d’accusation bancal. Le résultat est cette bouillie prenant quelques libertés avec la déontologie journalistique, qu’on appellerait propagande si cela émanait de Fdesouche mais qu’on nomme journalisme grâce au tampon du service public.