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Complément d’enquête sur Bardella, partis-pris et inventions

26 janvier 2024

Temps de lecture : 8 minutes
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Complément d’enquête sur Bardella, partis-pris et inventions

Temps de lecture : 8 minutes

Il y a quelques semaines, nous consacrions un papier au portrait de Cyril Hanouna qu’a produit France 2 lors de son Complément d’enquête en date de décembre 2023, indiquant qu’il s’agissait d’un pétard mouillé. Le 18 décembre 2024, France 2 récidivait avec un portrait de Jordan Bardella. Même émission, même format, et hélas même conclusion : un énième pétard mouillé, posant des questions déontologiques et ne masquant pas son parti pris idéologique.

Des intervenants hostiles

Au-delà du con­tenu de ce numéro de Com­plé­ment d’en­quête, plusieurs élé­ments de fond posent prob­lèmes. L’un des pre­miers est le choix des inter­venants. Hormis Marine Le Pen, aucune per­son­ne inter­viewée dans le doc­u­men­taire n’est « pour » Bardel­la. D’une manière ou d’une autre, toutes les per­son­nes – ou qua­si­ment toutes – ont quelque chose à reprocher au prési­dent du RN. Nous illus­trerons avec deux témoins : Flo­ri­an Philip­pot et Pas­cal Humeau.

Philippot opposant politique

Le patron des Patri­otes est l’un des pre­miers à être inter­rogé. Avant même d’aller au fond de ses déc­la­ra­tions, rap­pelons que Philip­pot est un ancien cadre du RN, dont il est par­ti pour des diver­gences de fond, et qui, surtout, est prési­dent d’un par­ti qui va être opposé au RN lors des élec­tions européennes qui auront lieu dans moins de six mois main­tenant. Par sim­ple cal­cul poli­tique, Philip­pot a intérêt à bross­er le por­trait d’un Bardel­la incon­sis­tant, inca­pable de tenir une ligne poli­tique. Que les affir­ma­tions de Flo­ri­an Philip­pot soient pris­es comme argent comp­tant pose un réel prob­lème en ter­mes de neu­tral­ité de la source. Autant deman­der aux gazelles leur avis sur les lions. Deux grandes accu­sa­tions sont émis­es par Philip­pot : Bardel­la n’au­rait pas de con­vic­tion et serait car­riériste. Que ce soit Philip­pot qui accuse Bardel­la de ne pas avoir de con­vic­tion est un peu auda­cieux. Rap­pelons que Philip­pot, dont le fonds de com­merce depuis trois ans est l’op­po­si­tion à la ges­tion gou­verne­men­tale du COVID, était en faveur du masque pour tous jusqu’au sec­ond con­fine­ment avant d’en­tamer un virage à 180 degrés et de devenir le chantre de l’op­po­si­tion au pass, obtenant ain­si quelques pas­sages sur CNews. Par ailleurs, en admet­tant que ces accu­sa­tions soient val­ables, Bardel­la ne serait ni le pre­mier ni le dernier à faire de la poli­tique pour obtenir quelques miettes de pouvoir.

Le média training en question

Le sec­ond inter­venant est Pas­cal Humeau, un com­mu­ni­cant offi­ciant chez BFM. Ici, la grande accu­sa­tion que lance le reportage con­siste à affirmer que Bardel­la est une pure créa­tion arti­fi­cielle, que rien chez lui n’est spon­tané. Pour cela, les jour­nal­istes revi­en­nent sur le media train­ing dont a béné­fi­cié Bardel­la au début de sa car­rière. Humeau y va de ses petites piques, décrivant Bardel­la comme « une coquille vide », « quelqu’un qui ne s’in­forme pas », et insis­tant sur le tra­vail de longue haleine néces­saire pour obtenir un « bon­jour » con­ven­able pour le petit écran. Ici Com­plé­ment d’en­quête prend comme un argu­ment une pra­tique courante et loin d’être neuve : le media train­ing. Tous les hommes poli­tiques pra­tiquent le média train­ing, et ce depuis longtemps. Rap­pelons par exem­ple que François Mit­ter­rand, avant de devenir à l’aise à la télévi­sion dans les années 80, a longtemps red­outé ce média comme l’il­lus­tre les couliss­es de l’en­reg­istrement d’un clip de cam­pagne pour la prési­den­tielle 1965. Vient ensuite une his­toire d’ar­gent, dont le but est d’ac­cuser Bardel­la de piocher facile­ment dans les caiss­es du par­ti. Lors des européennes 2019, Humeau réalise plusieurs clips de cam­pagne pour le RN. Lorsque vient le moment d’être payé par Bardel­la, ce dernier aurait tardé – il était tête de liste – et en serait arrivé à pro­pos­er à Humeau d’être payé sur les comptes de cam­pagne. Jor­dan Bardel­la ain­si que les cadres du RN impliqués dans l’his­toire, par­mi eux le tré­sori­er, nient cette ver­sion. Le seul argu­ment « val­able » con­tre Bardel­la repose donc sur une his­toire où c’est parole con­tre parole, sans qu’au­cune preuve ne soit apportée, mais où le doute est distillé.

Faux-compte et témoins anonymes

Le grand élé­ment qui devait meubler ces 50 min­utes d’en­fonçage de porte ouverte, c’é­tait la décou­verte d’un compte fake ayant sup­posé­ment appartenu à Jor­dan Bardel­la entre août 2015 et févri­er 2017. Pour étay­er sa thèse, France 2 affirme tenir qua­tre témoins anonymes, donc invéri­fi­ables, ayant désigné le compte Rep­Nat du Gaito comme l’alias de Bardel­la. Le reportage mon­tre des cap­tures d’écrans piochées sur le compte en ques­tion. Nous voyons alors des mon­tages « glo­ri­fi­ant Jean-Marie Le Pen », un mon­tage con­cer­nant l’af­faire Théo, et enfin la repub­li­ca­tion d’un poste à pro­pos de la piscine d’Aulnay-sous-Bois, nous y revien­drons. Notons qu’au­cun élé­ment n’est illé­gal. France 2 se con­tente d’ac­cu­sa­tions graves selon son logi­ciel idéologique.

Revenons un instant sur le tweet à pro­pos de la piscine. Celui-ci souligne le faible nom­bre de blancs présents sur deux pho­tos. Sur l’écran, nous relevons que le compte à l’origine de ce tweet est inti­t­ulé « Algérien ». Sans aller trop loin, il ne sem­ble pas risqué de dire que ce compte n’est pas celui d’un néo-nazi. Par ailleurs, le fait d’avoir un compte anonyme est une pra­tique courante. Il y a quelques années, Marine Le Pen avait admis en pos­séder un. C’est une pra­tique nor­male et néces­saire si l’on ne veut pas être scruté sur les réseaux sociaux.

Par ailleurs, suite à la dif­fu­sion de l’émis­sion, l’un des témoins anonymes a affir­mé sur X ne jamais avoir con­fir­mé que Bardel­la était pro­prié­taire du compte désigné. Faisons les comptes. Qua­tre sources anonymes et la seule qui se man­i­feste affirme que le mon­tage est trompeur, si ce n’é­tait pas sur le ser­vice pub­lic, on pour­rait par­ler de désinformation.

Un témoignage inventé

Pour­suiv­ons notre analyse en nous intéres­sant à un ancien proche de Bardel­la, Philippe Var­don. Le reportage pré­tend avoir obtenu un entre­tien avec lui, au cours duquel il serait revenu sur la pub­li­ca­tion de la tri­bune de Bardel­la sur le con­flit ukrainien. Selon lui, Bardel­la aurait voulu mesur­er son poids au sein du par­ti et aurait con­staté sa faib­lesse, son manque de légitim­ité. Le reportage tente alors de lancer l’idée que Bardel­la serait con­testé au sein du RN, du fait de sa jeunesse, et qu’il y aurait une guerre des chefs entre lui et Marine Le Pen. Une idée que Waleckx appuiera en fin d’émis­sion face à Thier­ry Mar­i­ani qui affirmera – ce que per­son­ne ne con­teste – que c’est Marine Le Pen le grand chef.

Toute cette his­toire est plau­si­ble. Le seul souci, c’est que Philippe Var­don a expliqué avoir refusé de par­ticiper à Com­plé­ment d’en­quête alors que l’émis­sion pré­tend l’in­verse. Pire, pour essay­er de con­va­in­cre Var­don de par­ticiper, France 2 aurait fait pres­sion en menaçant de dif­fuser une vieille vidéo où Var­don appa­raît dans sa jeunesse. Ain­si, France 2 sem­ble avoir pure­ment et sim­ple­ment inven­té l’in­ter­view de Var­don pour ali­menter sa machine. Bel exem­ple de déon­tolo­gie, aux frais du contribuable.

Fausses comparaisons au Parlement européen

Autre élé­ment de ce reportage : le tra­vail de Bardel­la au Par­lement européen. Pour faire sim­ple, Bardel­la serait un député invis­i­ble. Pour appuy­er son pro­pos, le reportage com­pare les chiffres entre Manon Aubry, Stéphane Séjourné et Bardel­la. La con­clu­sion, c’est que Bardel­la est net­te­ment moins act­if. Cepen­dant rien ne vient nuancer les chiffres annon­cés. Par exem­ple, Bardel­la ne pub­lie aucun rap­port, cepen­dant Thier­ry Mar­i­ani pré­cise durant son entre­tien que le RN ne peut pas pub­li­er de rap­port du fait du cor­don san­i­taire mis en place par les autres groupes par­lemen­taires. Une pré­ci­sion utile, mais omise par France 2. De la même manière, le reportage com­pare Bardel­la à Aubry et Sejourné, cepen­dant aucun des deux n’a à gér­er, en plus de son man­dat de député, l’or­gan­i­sa­tion d’un des plus gros par­tis poli­tiques de France, tâche que l’on peut légitime­ment penser chronophage.

Agence de communication et GUD connection

Enfin est évo­qué le lien mis en lumière dans le reportage entre des anciens du GUD et le RN. Toutes fières de leur trou­vaille, les équipes de France 2 ont bap­tisé ce lien la « GUD con­nex­ion ». Pour appuy­er ce lien, le mag­a­zine se con­cen­tre sur Frédéric Chatil­lon et Axel Lous­tau. En tant que patrons d’a­gences de com­mu­ni­ca­tion, les deux hommes ont tra­vail­lé avec le RN. Une presta­tion légale et rémunérée, évidem­ment prob­lé­ma­tique pour France 2. En effet, il se trou­ve que Chatil­lon et Lous­tau ont aus­si été mem­bres du GUD dans les années 90, il y a donc plus de trente ans. Suite à divers­es polémiques, et afin de faire taire les cri­tiques et de ne pas créer davan­tage de soucis au RN, Chatil­lon et Lousteau se sont mis en retrait.

Plusieurs points sont à soulign­er. Tout d’abord rien n’est illé­gal dans ce qui est men­tion­né. Les trans­ac­tions entre les agences de com­mu­ni­ca­tion et le RN sont par­faite­ment légales. Cepen­dant, France 2 s’en offusque car Chatil­lon et Lous­tau sont d’an­ciens mem­bres du GUD. Mais le reportage ne se demande pas les alter­na­tives qu’avait le RN. Comme l’il­lus­tre ce reportage, tra­vailler avec « l’ex­trême droite » est risqué pour une entre­prise. Entre le tra­vail des « jour­nal­istes » — comme ceux de Com­plé­ment d’en­quête – et les Sleep­ing Giants, c’est l’as­sur­ance d’une belle polémique et le risque de per­dre des clients. Le RN pou­vait-il tra­vailler avec beau­coup d’autres agences de communication ?

Au total le reportage présente des faits scan­daleux ou prob­lé­ma­tiques selon le seul logi­ciel men­tal de ses con­cep­teurs, pour ensuite bâtir un dossier d’ac­cu­sa­tion ban­cal. Le résul­tat est cette bouil­lie prenant quelques lib­ertés avec la déon­tolo­gie jour­nal­is­tique, qu’on appellerait pro­pa­gande si cela émanait de Fdes­ouche mais qu’on nomme jour­nal­isme grâce au tam­pon du ser­vice public.

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