Le 6 février 2019, comme en 2018, l’association Conspiracy Watch et la Fondation Jean Jaurès, marqués à gauche, publiaient leur seconde enquête consacrée au conspirationnisme. Globalement les enseignements sont les mêmes que l’année précédente. Par contre, il est intéressant d’écouter comment un média tel que RMC en rend compte.
Les principaux enseignements de cette nouvelle enquête méritent que l’on s’y arrête un instant, bien qu’étant quasiment identiques à ceux de 2017/2018. Pourquoi ? Ces éléments sont repris tels quels, sans esprit critique par les médias évoquant l’enquête les 6 et 7 février 2019, à commencer par Le Figaro ou RMC par exemple. Quasiment ? Le mot est important : le thème dominant de l’enquête est que « Les Français sont toujours aussi sensibles aux théories du complot ». Autrement dit : malgré tous les efforts pour lutter contre, ces théories continueraient à progresser au sein de la population française et singulièrement dans les franges les plus jeunes de cette population, tout comme dans ses franges dites extrémistes et moins éduquées, moins diplômées. Celles où l’on trouve le plus de personnes en confrontation avec la conception du monde dominante actuellement.
Principaux « enseignements » selon l’enquête ?
Ce que dit l’enquête, réalisée en collaboration avec l’IFOP :
- « Elle met en lumière l’influence préoccupante des représentations conspirationnistes dans la société française : si deux Français sur trois sont relativement hermétiques au complotisme, 21 % des personnes interrogées se déclarent cependant « d’accord » avec 5 énoncés complotistes parmi les 10 qui leur ont été soumis ».
- « Les moins de 35 ans, les moins diplômés et les catégories sociales les plus défavorisées demeurent les plus perméables aux théories du complot : 28 % des 18–24 ans adhèrent à 5 théories ou plus, contre seulement 9 % des 65 ans et plus ».
- « Si l’attachement à la démocratie reste nettement majoritaire dans l’opinion, il diminue à mesure qu’augmente le degré d’adhésion aux théories complotistes ».
- « Invités à se prononcer séparément sur l’attentat de Strasbourg du 11 décembre 2018, seuls les deux tiers des sondés estiment que la version des autorités est conforme à la réalité. 10 % pensent qu’il s’agit d’une manipulation du gouvernement ».
Les théories interrogées :
« Plusieurs grandes théories du complot en circulation dans l’espace public avaient été soumises à un échantillon représentatif de la population française. Elles concernaient les vaccins, l’apparition du sida, les origines de l’État islamique, le rôle des sociétés secrètes dans l’histoire, le « nouvel ordre mondial », les « chemtrails », l’utilisation d’armes climatiques secrètes, l’assassinat du président John F. Kennedy, la « Terre plate » ou bien, encore, le premier pas de l’homme sur la Lune. En plus de cette batterie centrale de dix énoncés complotistes, des questions avaient été posées permettant de croiser l’adhésion à ces théories du complot avec d’autres items tels que la fréquence de consultation de son horoscope, l’adhésion au négationnisme, au créationnisme, à la thèse d’un plan visant à remplacer la population française au moyen de l’immigration, à la thèse d’un complot politico-scientifique pour faire croire à l’existence du réchauffement climatique, la confiance dans les médias et la confiance dans la fiabilité des élections. Des questions étaient également relatives aux théories du complot sur les attentats du 11 septembre 2001 et ceux des 7, 8 et 9 janvier 2015 avaient également été posées dans cette première étude ».
Le rendu par BFM/RMC au cours de Bourdin direct (7 février 2019)
- « Au total 21 % des sondés déclarent croire à au moins 5 théories du complot ». Cette « information » apparaît aussi sur le site des Inrockuptibles.
- « Un Français sur dix pense que l’attentat de Strasbourg était une manipulation du gouvernement pour détourner l’attention ».
- La plupart des jeunes interrogés par le média, rendant compte de l’enquête dans le reportage, affirme ne pas être complotiste sauf… pour l’une des théories proposées.
Pourtant ? BFM et RMC l’indiquent : un Français sur cinq serait complotiste, soit 20 %.
- L’expert convoqué ? Rudy Reichstadt de Conspiracy Watch. La question de la validité de cette expertise mériterait d’être soulevée, ce qui n’est pas le cas.
- Ce que préconisent les animateurs de l’enquête : une meilleure éducation à l’information.
Reprenons autrement ces chiffres
→ Quatre Français sur cinq, autrement dit 80 % de la population ne croit pas aux théories du complot.
→ 90 % des Français ne pensent pas que l’attentat de Strasbourg était une manipulation
La perspective est autre selon que l’on préfère observer le verre à moitié plein ou à moitié vide. Les données plus précises ?
→ Plus intéressant encore : les sondés « totalement d’accord » avec l’une des dix théories présentés s’échelonnent entre 6 % (les Américains ne sont jamais allés sur la lune) et 17 % (le ministère de la santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique). Plus précisément encore, seuls deux items sur dix atteignent 10 % et un seul atteint ou dépasse les 10 %.
La conclusion saute d’elle-même aux yeux : les Français croient très peu aux théories du complot. C’est pourtant le contraire qui est rapporté par cette enquête, et répercuté tel quel par plusieurs médias, dont RMC/BFM lors de Bourdin direct du 6 février 2019. Ce qui est conclu par l’enquête est ainsi complètement autre : « Un nombre important de sondés est concerné par une forme inquiétante d’adhésion conspirationniste ». Le document indique pourtant que 35 % des Français ne croient à aucune de ces théories, que 52 %, soit la majorité des Français, y sont « totalement hermétiques », une partie indiquant même n’avoir jamais entendu parler de ce qui leur est indiqué, etc. Tout est donc dans la manière de présenter le fait supposé : ici, la manière vise à diffuser l’idée selon laquelle les Français seraient massivement complotistes.