Première diffusion le 26 janvier 2023
Le 12 janvier 2023 se tenait une conférence à l’École de guerre économique organisée par le club OSINT & Veille et le club Influence. Elle avait pour thème la veille au sein de différents services du pouvoir exécutif français. Dans un dossier numérique paru en octobre 2022, l’Ojim s’était intéressé à l’OSINT, ce renseignement en sources ouvertes dont les journalistes mais en définitive surtout les services sont tant friands. Les deux intervenants à cette conférence sont venus confirmer notre constat : les services de l’État mettent un point d’honneur à utiliser les outils les plus en pointe pour collecter et traiter des informations et des données.
Mathieu Andro au service de Madame Borne
Le premier intervenant n’était autre que l’animateur du réseau de veille documentaire des Services du Premier Ministre. Docteur en sciences de l’information et de la communication, Mathieu Andro a expliqué son rôle de coordinateur des veilles de tous les services rattachés au Premier Ministre. On l’ignore souvent, mais Matignon a sous sa coupe des dizaines de services (Service d’Information du Gouvernement, Secrétariat Général du Gouvernement, etc.) et autres autorités indépendantes (CNIL, Défenseur des Droits, etc.).
L’intervention d’Andro est une bonne présentation de tous les outils et méthodes employés par les spécialistes de l’exploitation des données informatiques. Développement de robots pour « économiser du temps de cerveau humain », text-mining, crowdsourcing, webcrawling, Flux RSS, machine-learning et intelligence artificielle, tout est bon pour optimiser le fonctionnement des Services du Premier Ministre mais aussi pour être le plus efficace possible dans la veille sur de nombreux secteurs et thèmes et sur des personnalités.
Selon Andro, pour un budget annuel de 15 000 euros (qui paraît faible), entre 4000 et 5000 robots informatiques surveillent le Web pour le compte du Premier Ministre. Un de ses robots est notamment chargé tous les mardis soir de passer au peigne fin l’édition du Canard Enchaîné de la semaine pour savoir si elle ne comporte pas des informations pouvant politiquement gêner l’exécutif.
Louis Caldas au service d’En Marche puis de Dominique Faure
Les Service du Premier Ministre surveillent aussi les publications sur les réseaux sociaux, si nombreuses que leur traitement ne peut se faire par le simple travail humain. C’est un domaine dans lequel est spécialisé le second intervenant de cette conférence, Louis Caldas, ingénieur en sciences des données et en intelligence artificielle, Data Analyst pour En marche pendant la présidentielle et les législatives de 2022. Caldas travaille aujourd’hui en tant que Conseiller presse, communication et opinion auprès de Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité.
Son métier ? La surveillance des sources de manière automatisée. Caldas étudie les phénomènes d’influence sur les réaux sociaux, l’opinion et les données en ligne. Son travail permet d’anticiper l’arrivée de polémiques sur les réseaux sociaux pour le compte d’un client entendant défendre sa réputation et son image, ou encore de savoir si une idée a la vent en poupe, s’il est possible de la vendre ou si elle doit être abandonnée.
Social Network Analysis
Des outils et des méthodes très utilisés par les entreprises pour la communication de crise et par les hommes politiques. La Social Network Analysis est une discipline en plein essor et se pose les questions suivantes : quelles sont les personnes qui interagissent avec un sujet ? Quels sont les comptes qui influencent le plus une situation (une polémique, une crise) ? Comment se propage une information par rapport à une situation normale ?
Cette discipline remonte à la source de la propagation, elle « clusterise » les groupes de personnes, s’intéresse à leurs caractéristiques, manie des algorithmes de modularité, la théorie des graphes, des algorithmes de spacialisation pour obtenir la cartographie d’un évènement. Caldas donne un exemple : pour un évènement comptant un million de tweets, la cartographie est obtenue en une vingtaine de minutes.
Le but de ces procédés est d’identifier le « point de craquage » d’une polémique, le moment à partir duquel le milieu politique ne maîtrise plus un évènement sur les réseaux sociaux. Mais ces procédés permettent encore d’aller plus loin. En ce qu’ils permettent de brasser une quantité de données considérable, ils augmentent les opportunités des entreprises et des milieux politiques. Caldas le reconnaît en guise de conclusion à son propos : « on peut faire dire beaucoup de choses aux données ».
Plus on dispose de manières de collecter les données, plus on aura en effet de manières de les présenter. Autrement dit : ce type d’analyse permet aussi d’avoir plus d’options pour influencer l’opinion. Ceci Caldas ne peut l’évoquer : ces procédés ne permettent pas seulement d’anticiper, et donc d’éteindre, des polémiques, mais de créer des phénomènes sur les réseaux sociaux favorables à ceux qui les initient, par exemple le pouvoir exécutif.
Nous avons consacré une brochure numérique au journalisme dit de sources ouvertes, OSINT, les liens incestueux entre journalisme et services de renseignement, réservée aux donateurs. Pour y accéder cliquez ici.