Première diffusion le 15 mai 2023
Le 9 mai 2023, le Président de l’Observatoire du journalisme (Ojim) planchait devant une partie des députés européens à Strasbourg. Cette conférence sur les menaces contre la liberté d’expression des nouvelles directives de la Commission européenne se tenait à l’invitation des députées européennes Catherine Griset et Virginie Joron du groupe ID (RN).
Vers un nouveau ministère de l’information à Bruxelles
L’Observatoire du journalisme (Ojim), a été créé en 2012 avec pour objectif de « vous informer sur ceux qui vous informent ». En dix ans nous avons publié 300 portraits de journalistes, 35 infographies sur les groupes de médias, plus de 6000 articles sur les médias au sens large du terme, presse, télévision, radio, télévision, réseaux sociaux et les diverses censures. Nous publions essentiellement sous forme numérique, nous sommes entièrement financés par nos lecteurs, vous pouvez nous suivre sur www.ojim.fr et en plus c’est gratuit
J’essaierai de répondre à la question suivante : du Digital Services Act au Media Freedom Act, allons-nous vers la création d’un nouveau ministère de l’information à Bruxelles ?
Le Digital Services Act
En décembre 2020, la Commission européenne a présenté le « Digital Services Act », deux grands règlements visant officiellement à moderniser la régulation d’Internet. Le premier règlement se concentre sur l’encadrement des plateformes et des réseaux sociaux, « pour mieux lutter contre la haine en ligne et la désinformation ». L’Union européenne ne veut pas toucher au statut d’hébergeur de ces plateformes : elle mise sur des obligations de « transparence des algorithmes » et de « coopération avec les régulateurs ». De quoi s’agit-il ? C’est là que l’on voit qu’un objectif peut en cacher un autre
Depuis de nombreux mois, l’Union européenne préparait cette « loi sur les services numériques ». Dans la lignée du RGPD, ce nouveau règlement vise en théorie à s’attaquer aux défis posés par les géants d’Internet, à commencer par les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Mocrosoft). Serait visée la domination des Gafam sur des pans entiers de l’économie numérique et, de là, sur l’économie tout court. Jusqu’ici tout va bien. Mais l’autre objectif (plus concret) est de lutter « contre la haine » et la régulation des réseaux sociaux. Ce dernier objectif, du point de vue de l’UE, est le plus important, même si cela n’est pas franchement.
La « désinformation » en ligne de mire
L’occasion faisant le larron, l’UE trouve l’opportunité de limiter l’expression de qui pense autrement que la doxa bruxelloise, en particulier dans le domaine de ce que l’UE appelle la « désinformation », autrement la simple information ou expression d’opinions libres. Il en va de même au sujet de la « haine en ligne » puisque la nature de cette « haine » correspond exclusivement aux caractéristiques et définitions de l’idéologie au pouvoir. En clair : la nouvelle loi vise à combattre ceux que l’UE assimile à ses ennemis.
Les plateformes devraient théoriquement se voir imposer le « devoir de coopérer » pour retirer les contenus signalés comme haineux. Selon le commissaire européen au marché intérieur, très actif dans le cadre de la mise en œuvre du Digital Services Act, du fait de son second volet, le Digital Market Act, ce qui montre combien les deux aspects sont liés dans l’esprit des membres de la Commission européenne, je cite : « dans bien des cas, l’espace numérique est une zone de non-droit. Il s’agit pour l’Europe de reprendre la main sur les plateformes structurantes. Le fil conducteur du DSA est simple : ce qui est autorisé offline doit l’être online, ce qui est interdit offline doit l’être online. Que l’on parle de contrefaçon, d’antisémitisme, de pédopornographie, de menaces de mort ou de vente de drogues, tous les contenus illégaux doivent être retirés. Les contenus haineux, l’amplification de la violence verbale et physique, la désinformation doivent être identifiés comme tels et traités en conséquence. Tout ce qui est interdit dans l’espace public sera aussi interdit dans l’espace online. »
Bien des questions pourraient se poser. Ainsi, la désinformation à répétition, concernant la covid-19, issue des rangs du gouvernement français à l’époque du premier confinement entrerait-elle dans le cadre de cette loi ? Assurément non puisqu’il s’agit de désinformation officielle, autrement dit de la propagande idéologique dominante ayant vocation à incarner une prétendue vérité. Cette dernière, issue de la nouvelle loi, étant censée structurer le secteur numérique pour les décennies à venir.
Obligations de moyens pour les réseaux sociaux
Examinons concrètement les mesures envisagées : Les réseaux sociaux auront des « obligations de moyens » quant à la modération des contenus.
- Les plateformes numériques, notamment Twitter, Facebook et Google auraient une obligation de « transparence » concernant la façon dont les algorithmes imposent des contenus en général.
- Le prétexte de l’assassinat du professeur Samuel Paty est mis en avant afin de démontrer la nécessité de « lutter contre la haine en ligne ». Ce qui est louable, pour peu que la nature de cette haine soit clairement nommée et que la loi n’autorise pas à lutter contre des modes de pensée non haineux. Ce dont il est possible de douter au regard des mésaventures de Renaud Camus, par exemple, quand Amazon tente d’empêcher la vente de ses livres. Pour l’anecdote, une partie des sommes recueillies par le fond Marianne créé en France après l’assassinat de Samuel Paty par le ministre Marlène Schiappa, se sont retrouvées sur les comptes d’associations pro Macron ou compagnons de route comme Conspiracy Watch de Rudy Reichsdadt.
- Les plateformes numériques vont devoir mettre en place des moyens suffisants pour contrecarrer les contenus définis comme étant à abattre, sous peine de sanctions et de lourdes amendes. Les sanctions pouvant aller officiellement jusqu’à un blocage de l’accès à leurs services.
À première vue, la volonté de contrôler le pouvoir exorbitant des GAFAM devrait être une bonne nouvelle. Cependant, tout dépend de pourquoi et qui contrôler. Dans ce cas précis, l’objectif est d’empêcher que des influenceurs interviennent dans des processus tels que les élections américaines ou bien le référendum sur le Brexit, ou les élections à venir. En clair : l’objectif de la Commission européenne est de s’assurer que les peuples pensent correctement, s’expriment correctement, consomment correctement et finalement, votent correctement. Ces nouveaux règlements ont beau naître discrètement, certains pourraient considérer qu’il s’agit d’une véritable déclaration de guerre contre les libertés concrètes des européens.
Le Media Freedom Act ou le diable est dans les détails
Mais ce n’était sans doute pas suffisant. Le DSA se voit complété par le European Media Freedom Act qui prétend lutter pour le pluralisme des médias tout en annonçant des mesures contraires à ce même pluralisme
Reporters sans frontières, autrefois ferme défenseur des libertés des journalistes et devenu une officine libérale libertaire, est en partie à l’origine de l’idée de cette législation qui devrait compléter les législations nationales. Du moins dans un premier temps, car il y a fort à parier que dans un second temps chaque nation devra s’y conformer. Du côté des journalistes, la FEJ (Fédération Européenne des Journalistes) est également en faveur de la législation. Les éditeurs sont plus que réservés.
Thierry Breton, commissaire au marché intérieur à Bruxelles comme la très libérale libertaire vice-présidente de l’U.E. Vera Jouvova, sont formels : cette législation dans leur esprit devrait répondre à la pseudo-mainmise de Viktor Orbán sur les médias publics hongrois et celle de ses soutiens sur les médias privés du pays, ainsi qu’au pseudo-muselage des médias polonais publics et privés. Le deuxième intervenant donnera plus de détails sur ce sujet. Alors qu’en France comme en Allemagne les médias sont à 90% dans le camp libéral libertaire monocolore et qu’en Hongrie ou en Pologne l’équilibre entre pouvoir et opposition est à 50/50 ou 40/60 pour l’un ou l’autre camp, assurant un véritable pluralisme.
La double guillotine de l’article 17
En particulier, l’article 17 obligerait les plates-formes numériques à prévenir les médias lorsqu’elles entreprennent de retirer leurs contenus, une disposition en sus du Digital Services Act (DSA) qui les oblige déjà à agir contre les contenus illicites. Une sorte de double guillotine, un post qui « ne correspond pas aux critères de la communauté » est mis sous contrôle (avec un avertissement) ou supprimé et en sus s’il avait été la source d’une information reprise par un média classique celui-ci devra corriger son information et mettre la source sur une liste noire. Le DSA n’est pas encore en entièrement en vigueur, il le sera en février 2024, mais la Commission européenne a déjà demandé aux principaux acteurs de leur fournir un rapport sur les mesures mises en place pour garantir l’application des mesures du DSA
Twitter ne fait pas assez de censure !
Parmi les entreprises concernées Facebook, Tik Tok et autres Instagram, seul Twitter à peine racheté par Elon Musk, ne serait pas en mesure de fournir un rapport complet de censures, préventives comme punitives. Pour montrer patte blanche, Twitter doit renseigner ses plans de collaboration avec les « organismes de vérification des faits ». Tous ces organismes de pseudo vérification sans exception appartiennent au monde libéral libertaire, des Décodeurs du Monde en passant par Check News de Libération et autres AFP Factuel de l’AFP ou l’université Poynter aux Etats-Unis.
Sans surprise, Vera Jourovà, vice-présidente de la Commission européenne pour les valeurs a déclaré à Politico : « Je suis déçue de voir que le rapport de Twitter est à la traîne comparé aux autres ». Comprenez, la déception que Twitter, plus attentif à la liberté d’expression, soit un peu frileux pour mettre en place la censure désirée ardemment par la Commission. Les amendes peuvent s’élever jusqu’à 6% du chiffre d’affaires annuel et au bout du bout flotte la menace d’une interdiction d’exercer sur le territoire de l’UE.
De son côté, Thierry Breton déclarait sur France Info au sujet d’Elon Musk , je cite :“Il fait ce qu’il veut jusqu’au 1er septembre. Après, il fera ce qu’on lui demandera de faire s’il veut continuer à opérer sur le territoire européen », fin de citation. Ces deux déclarations interviennent au moment où Musk veut limiter au maximum les censures – préventives ou curatives- sur le réseau social.
Conclusion provisoire, ces deux déclarations vont dans le même sens. Comme dans 1984 d’Orwell, la paix c’est la guerre, l’amour c’est la haine, la liberté c’est la censure. Sous prétexte de liberté et de pluralisme, le DSA comme le Media Freedom Act veulent museler les libertés d’expression voire d’opinion. Je vous remercie.
Claude Chollet