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Conférence de Claude Chollet au Parlement européen

11 août 2023

Temps de lecture : 9 minutes
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Conférence de Claude Chollet au Parlement européen

Temps de lecture : 9 minutes

Pre­mière dif­fu­sion le 15 mai 2023

Le 9 mai 2023, le Président de l’Observatoire du journalisme (Ojim) planchait devant une partie des députés européens à Strasbourg. Cette conférence sur les menaces contre la liberté d’expression des nouvelles directives de la Commission européenne se tenait à l’invitation des députées européennes Catherine Griset et Virginie Joron du groupe ID (RN).

Vers un nouveau ministère de l’information à Bruxelles

L’Observatoire du jour­nal­isme (Ojim), a été créé en 2012 avec pour objec­tif de « vous informer sur ceux qui vous infor­ment ». En dix ans nous avons pub­lié 300 por­traits de jour­nal­istes, 35 info­gra­phies sur les groupes de médias, plus de 6000 arti­cles sur les médias au sens large du terme, presse, télévi­sion, radio, télévi­sion, réseaux soci­aux et les divers­es cen­sures. Nous pub­lions essen­tielle­ment sous forme numérique, nous sommes entière­ment financés par nos lecteurs, vous pou­vez nous suiv­re sur www.ojim.fr et en plus c’est gratuit

J’essaierai de répon­dre à la ques­tion suiv­ante : du Dig­i­tal Ser­vices Act au Media Free­dom Act, allons-nous vers la créa­tion d’un nou­veau min­istère de l’information à Bruxelles ?

Le Digital Services Act

En décem­bre 2020, la Com­mis­sion européenne a présen­té le « Dig­i­tal Ser­vices Act », deux grands règle­ments visant offi­cielle­ment à mod­erniser la régu­la­tion d’Internet. Le pre­mier règle­ment se con­cen­tre sur l’encadrement des plate­formes et des réseaux soci­aux, « pour mieux lut­ter con­tre la haine en ligne et la dés­in­for­ma­tion ». L’Union européenne ne veut pas touch­er au statut d’hébergeur de ces plate­formes : elle mise sur des oblig­a­tions de « trans­parence des algo­rithmes » et de « coopéra­tion avec les régu­la­teurs ». De quoi s’agit-il ? C’est là que l’on voit qu’un objec­tif peut en cacher un autre

Depuis de nom­breux mois, l’Union européenne pré­parait cette « loi sur les ser­vices numériques ». Dans la lignée du RGPD, ce nou­veau règle­ment vise en théorie à s’attaquer aux défis posés par les géants d’Internet, à com­mencer par les GAFAM (Google, Apple, Face­book, Ama­zon, Mocrosoft). Serait visée la dom­i­na­tion des Gafam sur des pans entiers de l’économie numérique et, de là, sur l’économie tout court. Jusqu’ici tout va bien. Mais l’autre objec­tif (plus con­cret) est de lut­ter « con­tre la haine » et la régu­la­tion des réseaux soci­aux. Ce dernier objec­tif, du point de vue de l’UE, est le plus impor­tant, même si cela n’est pas franchement.

La « désinformation » en ligne de mire

L’occasion faisant le lar­ron, l’UE trou­ve l’opportunité de lim­iter l’expression de qui pense autrement que la doxa brux­el­loise, en par­ti­c­uli­er dans le domaine de ce que l’UE appelle la « dés­in­for­ma­tion », autrement la sim­ple infor­ma­tion ou expres­sion d’opinions libres. Il en va de même au sujet de la « haine en ligne » puisque la nature de cette « haine » cor­re­spond exclu­sive­ment aux car­ac­téris­tiques et déf­i­ni­tions de l’idéologie au pou­voir. En clair : la nou­velle loi vise à com­bat­tre ceux que l’UE assim­i­le à ses ennemis.

Les plate­formes devraient théorique­ment se voir impos­er le « devoir de coopér­er » pour retir­er les con­tenus sig­nalés comme haineux. Selon le com­mis­saire européen au marché intérieur, très act­if dans le cadre de la mise en œuvre du Dig­i­tal Ser­vices Act, du fait de son sec­ond volet, le Dig­i­tal Mar­ket Act, ce qui mon­tre com­bi­en les deux aspects sont liés dans l’esprit des mem­bres de la Com­mis­sion européenne, je cite : « dans bien des cas, l’espace numérique est une zone de non-droit. Il s’agit pour l’Europe de repren­dre la main sur les plate­formes struc­turantes. Le fil con­duc­teur du DSA est sim­ple : ce qui est autorisé offline doit l’être online, ce qui est inter­dit offline doit l’être online. Que l’on par­le de con­tre­façon, d’antisémitisme, de pédo­pornogra­phie, de men­aces de mort ou de vente de drogues, tous les con­tenus illé­gaux doivent être retirés. Les con­tenus haineux, l’amplification de la vio­lence ver­bale et physique, la dés­in­for­ma­tion doivent être iden­ti­fiés comme tels et traités en con­séquence. Tout ce qui est inter­dit dans l’espace pub­lic sera aus­si inter­dit dans l’espace online. »

Bien des ques­tions pour­raient se pos­er. Ain­si, la dés­in­for­ma­tion à répéti­tion, con­cer­nant la covid-19, issue des rangs du gou­verne­ment français à l’époque du pre­mier con­fine­ment entr­erait-elle dans le cadre de cette loi ? Assuré­ment non puisqu’il s’agit de dés­in­for­ma­tion offi­cielle, autrement dit de la pro­pa­gande idéologique dom­i­nante ayant voca­tion à incar­n­er une pré­ten­due vérité. Cette dernière, issue de la nou­velle loi, étant cen­sée struc­tur­er le secteur numérique pour les décen­nies à venir.

Obligations de moyens pour les réseaux sociaux

Exam­inons con­crète­ment les mesures envis­agées : Les réseaux soci­aux auront des « oblig­a­tions de moyens » quant à la mod­éra­tion des contenus.

  • Les plate­formes numériques, notam­ment Twit­ter, Face­book et Google auraient une oblig­a­tion de « trans­parence » con­cer­nant la façon dont les algo­rithmes imposent des con­tenus en général.
  • Le pré­texte de l’assassinat du pro­fesseur Samuel Paty est mis en avant afin de démon­tr­er la néces­sité de « lut­ter con­tre la haine en ligne ». Ce qui est louable, pour peu que la nature de cette haine soit claire­ment nom­mée et que la loi n’autorise pas à lut­ter con­tre des modes de pen­sée non haineux. Ce dont il est pos­si­ble de douter au regard des mésaven­tures de Renaud Camus, par exem­ple, quand Ama­zon tente d’empêcher la vente de ses livres. Pour l’anecdote, une par­tie des sommes recueil­lies par le fond Mar­i­anne créé en France après l’assassinat de Samuel Paty par le min­istre Mar­lène Schi­ap­pa, se sont retrou­vées sur les comptes d’associations pro Macron ou com­pagnons de route comme Con­spir­a­cy Watch de Rudy Reichsdadt.
  • Les plate­formes numériques vont devoir met­tre en place des moyens suff­isants pour con­tre­car­rer les con­tenus défi­nis comme étant à abat­tre, sous peine de sanc­tions et de lour­des amendes. Les sanc­tions pou­vant aller offi­cielle­ment jusqu’à un blocage de l’accès à leurs services.

À pre­mière vue, la volon­té de con­trôler le pou­voir exor­bi­tant des GAFAM devrait être une bonne nou­velle. Cepen­dant, tout dépend de pourquoi et qui con­trôler. Dans ce cas pré­cis, l’objectif est d’empêcher que des influ­enceurs inter­vi­en­nent dans des proces­sus tels que les élec­tions améri­caines ou bien le référen­dum sur le Brex­it, ou les élec­tions à venir. En clair : l’objectif de la Com­mis­sion européenne est de s’assurer que les peu­ples pensent cor­recte­ment, s’expriment cor­recte­ment, con­som­ment cor­recte­ment et finale­ment, votent cor­recte­ment. Ces nou­veaux règle­ments ont beau naître dis­crète­ment, cer­tains pour­raient con­sid­ér­er qu’il s’agit d’une véri­ta­ble déc­la­ra­tion de guerre con­tre les lib­ertés con­crètes des européens.

Le Media Freedom Act ou le diable est dans les détails

Mais ce n’était sans doute pas suff­isant. Le DSA se voit com­plété par le Euro­pean Media Free­dom Act qui pré­tend lut­ter pour le plu­ral­isme des médias tout en annonçant des mesures con­traires à ce même pluralisme

Reporters sans fron­tières, autre­fois ferme défenseur des lib­ertés des jour­nal­istes et devenu une officine libérale lib­er­taire, est en par­tie à l’origine de l’idée de cette lég­is­la­tion qui devrait com­pléter les lég­is­la­tions nationales. Du moins dans un pre­mier temps, car il y a fort à pari­er que dans un sec­ond temps chaque nation devra s’y con­former. Du côté des jour­nal­istes, la FEJ (Fédéra­tion Européenne des Jour­nal­istes) est égale­ment en faveur de la lég­is­la­tion. Les édi­teurs sont plus que réservés.

Thier­ry Bre­ton, com­mis­saire au marché intérieur à Brux­elles comme la très libérale lib­er­taire vice-prési­dente de l’U.E. Vera Jou­vo­va, sont formels : cette lég­is­la­tion dans leur esprit devrait répon­dre à la pseu­do-main­mise de Vik­tor Orbán sur les médias publics hon­grois et celle de ses sou­tiens sur les médias privés du pays, ain­si qu’au pseu­do-muse­lage des médias polon­ais publics et privés. Le deux­ième inter­venant don­nera plus de détails sur ce sujet. Alors qu’en France comme en Alle­magne les médias sont à 90% dans le camp libéral lib­er­taire mono­col­ore et qu’en Hon­grie ou en Pologne l’équilibre entre pou­voir et oppo­si­tion est à 50/50 ou 40/60 pour l’un ou l’autre camp, assur­ant un véri­ta­ble pluralisme.

La double guillotine de l’article 17

En par­ti­c­uli­er, l’article 17 oblig­erait les plates-formes numériques à prévenir les médias lorsqu’elles entre­pren­nent de retir­er leurs con­tenus, une dis­po­si­tion en sus du Dig­i­tal Ser­vices Act (DSA) qui les oblige déjà à agir con­tre les con­tenus illicites. Une sorte de dou­ble guil­lo­tine, un post qui « ne cor­re­spond pas aux critères de la com­mu­nauté » est mis sous con­trôle (avec un aver­tisse­ment) ou sup­primé et en sus s’il avait été la source d’une infor­ma­tion reprise par un média clas­sique celui-ci devra cor­riger son infor­ma­tion et met­tre la source sur une liste noire. Le DSA n’est pas encore en entière­ment en vigueur, il le sera en févri­er 2024, mais la Com­mis­sion européenne a déjà demandé aux prin­ci­paux acteurs de leur fournir un rap­port sur les mesures mis­es en place pour garan­tir l’application des mesures du DSA

Twitter ne fait pas assez de censure !

Par­mi les entre­pris­es con­cernées Face­book, Tik Tok et autres Insta­gram, seul Twit­ter à peine racheté par Elon Musk, ne serait pas en mesure de fournir un rap­port com­plet de cen­sures, préven­tives comme puni­tives. Pour mon­tr­er pat­te blanche, Twit­ter doit ren­seign­er ses plans de col­lab­o­ra­tion avec les « organ­ismes de véri­fi­ca­tion des faits ». Tous ces organ­ismes de pseu­do véri­fi­ca­tion sans excep­tion appar­ti­en­nent au monde libéral lib­er­taire, des Décodeurs du Monde en pas­sant par Check News de Libéra­tion et autres AFP Factuel de l’AFP ou l’université Poyn­ter aux Etats-Unis.

Sans sur­prise, Vera Jourovà, vice-prési­dente de la Com­mis­sion européenne pour les valeurs a déclaré à Politi­co : « Je suis déçue de voir que le rap­port de Twit­ter est à la traîne com­paré aux autres ». Com­prenez, la décep­tion que Twit­ter, plus atten­tif à la lib­erté d’expression, soit un peu frileux pour met­tre en place la cen­sure désirée ardem­ment par la Com­mis­sion. Les amendes peu­vent s’élever jusqu’à 6% du chiffre d’affaires annuel et au bout du bout flotte la men­ace d’une inter­dic­tion d’exercer sur le ter­ri­toire de l’UE.

De son côté, Thier­ry Bre­ton déclarait sur France Info au sujet d’Elon Musk , je cite :“Il fait ce qu’il veut jusqu’au 1er sep­tem­bre. Après, il fera ce qu’on lui deman­dera de faire s’il veut con­tin­uer à opér­er sur le ter­ri­toire européen », fin de cita­tion. Ces deux déc­la­ra­tions inter­vi­en­nent au moment où Musk veut lim­iter au max­i­mum les cen­sures – préven­tives ou cura­tives- sur le réseau social.

Con­clu­sion pro­vi­soire, ces deux déc­la­ra­tions vont dans le même sens. Comme dans 1984 d’Orwell, la paix c’est la guerre, l’amour c’est la haine, la lib­erté c’est la cen­sure. Sous pré­texte de lib­erté et de plu­ral­isme, le DSA comme le Media Free­dom Act veu­lent musel­er les lib­ertés d’expression voire d’opinion. Je vous remercie.

Claude Chol­let

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