[Première diffusion le 30 avril 2020]
Durant la semaine du 19 au 25 avril 2020, de nombreuses émeutes ont éclaté dans des banlieues françaises. Si celles-ci ont été parfois été d’une rare violence, allant jusqu’à la tentative d’assassinat de deux policiers à Colombes, le ministre de l’intérieur s’est montré compréhensif vis-à-vis des jeunes supportant mal le confinement. Alors que ces violences urbaines ont été couvertes a minima dans les médias de grand chemin, des témoignages accréditant l’existence de consignes de laisser faire dans les banlieues, en particulier pendant le ramadan, s’accumulent et mettent dans l’embarras une partie de la classe médiatique.
Le confinement à géométrie variable
Très rapidement après le début du confinement, de nombreux indices témoignant d’un moindre respect des mesures de distanciation et d’isolement dans les banlieues se sont accumulés. Nous y avons consacré plusieurs articles recensant des témoignages et des reportages accréditant cette thèse.
Il n’en fallait pas plus pour qu’une large frange de la classe médiatique, à l’instar de Sibeth Ndaye, s’émeuve de cette stigmatisation inacceptable d’une partie de la population.
Le 4 avril, LCI mène l’enquête sur ces « fausses vidéos » qui circulent sur le non-respect du confinement.
La radio publique Le Mouv s’interroge gravement le 8 avril : « Covid-19 : les banlieues sont-elles stigmatisées ? ».
Terra Femina estime le 9 avril qu’« en banlieue, il n’y a pas plus de jeunes dehors qu’ailleurs ».
Actu.fr publie la tribune d’une députée européenne écologiste : « les habitants n’ont pas être stigmatisés, voire sacrifiés ».
Dans Libération, un sociologue pratique l’inversion accusatoire : alors que les violences contre les forces de l’ordre se multiplient, l’universitaire estime dans les colonnes du journal que « la police cultive une forme d’impunité dans les quartiers populaires, plus visibles encore durant l’épidémie ».
Selon le journal allemand Die Zeit, c’est… la taille des logements dans les banlieues françaises qui n’est pas adaptée au confinement.
Culture de l’excuse toujours, bien sûr, sur le Bondy blog qui relaie le 23 avril une pétition lancée par la fine fleur de l’extrême gauche et du communautarisme (CGT, Attac, CCIF) intitulée : « la colère des quartiers est légitime ».
Mais quel est donc ce traitement différencié dont seraient victimes certains jeunes de banlieue et qui légitimerait leur colère ?
Les violences urbaines pendant la semaine du 19 au 25 avril
Nous le relations dans un précédent article, bien avant l’accident d’un jeune motard multirécidiviste à Villeneuve-la-Garenne, la situation dans de nombreuses banlieues, en particulier en région parisienne, était particulièrement « tendue ». Un qualificatif pudique souvent employé par les journalistes de grand chemin pour désigner des violences – et non de simples « tensions » – contre les forces de l’ordre. Guet-apens, tirs de mortiers, jets d’acide et de projectiles divers, un quotidien que de nombreux médias semblent considérer comme faisant partie du paysage.
Sans surprise, les médias de grand chemin ont couvert a minima les émeutes qui ont éclaté dans de nombreuses de villes du pays suite à l’accident le 18 avril d’un motard récidiviste qui pourrissait la vie des habitants du quartier. Pourtant, pas moins d’une cinquantaine de banlieues ont été concernées par des violences urbaines plusieurs nuit d’affilée, comme l’indiquait un porte-parole du ministère de l’Intérieur au Figaro. Les agressions contre des policiers, les attaques contre des commissariats, les incendies de bâtiments et de mobilier urbain ont été particulièrement nombreux.
Comme chacun a pu le constater, à l’unisson du ministre de l’intérieur, les médias de grand chemin ont grandement minimisé ces événements.
La compréhension du ministre de l’intérieur
La minimisation des événements est d’abord venue du sommet de l’État : lors d’une interview sur BFMTV jeudi 23 avril, le ministre de l’intérieur estimait que les émeutes étaient « l’effet de la dureté du confinement pour ces jeunes gens ». Un discours d’assistante sociale et compatissant uniquement pour une partie de la population qui est apparu particulièrement décalé dans la période. Il en profitait pour récuser l’idée selon laquelle le confinement était moins strictement respecté dans les banlieues. Or, selon de nombreuses indices, non seulement le confinement est moins respecté dans les banlieues de l’immigration, mais également des consignes visant à les exclure de la loi républicaine ont été données en haut lieu. Les médias de grand chemin ont été d’une pudeur de jeune fille à ce sujet.
Des consignes de laxisme qui fuitent dans les médias
On connaissait la discrimination positive. L’épisode de confinement va-t-il consacrer un nouveau concept : la « stigmatisation positive » ?. Car loin d’appliquer une répression féroce, ce sont des messages de laxisme qui ont été donnés par les autorités dans l’application du confinement en banlieue.
Le 25 mars, Le Canard enchaîné révélait qu’en dépit de la violation des restrictions des déplacements dans de nombreuses banlieues, un fait connu depuis plusieurs jours, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, Laurent Nunez, aurait affirmé lors d’une visioconférence organisée avec les préfets :
« Ce n’est pas une priorité de faire respecter dans les quartiers les fermetures des commerces et de faire cesser les rassemblements. »
Le 22 avril, un mois après ce premier message laxiste, c’est selon une syndicaliste de la Police, Linda Kebbab, un nouvel appel à fermer les yeux et à ne pas faire de contrôles dans les banlieues chaudes qui est lancé oralement aux policiers :
« Ordre sur les ondes Police « Suites au phénomène de violences urbaines (#Emeutes), il y a lieu d’éviter tout contact avec les perturbateurs (le mot pour délinquants) »
Plus récemment, le 22 avril, le journaliste de LCI et TF1 William Molinié nous apprend que ce sont les pompiers à qui l’on demande de « laisser brûler » dans les cités dès lors qu’il n’y a pas de danger de propagation :
« En petite couronne et à Paris, il est désormais demandé aux policiers qui escortent les pompiers intervenant sur des départs de feu, de laisser brûler dès lors qu’il n’y a pas de danger de propagation, afin de ne pas s’exposer au risque de guet-apens ».
Le Calvados vend la mèche
La pédagogie étant avant tout affaire de répétition, dans le Calvados, le chef d’état-major de la Direction départementale de la sécurité publique réitérait le 22 avril le message à ne pas intervenir en banlieue. Comme nous le précise Le Parisien le 24 avril, le fonctionnaire appelait dans un courriel du 22 avril à n’intervenir dans certains quartiers pendant le ramadan qu’en cas d’atteinte aux personnes ou atteinte grave aux biens.
« Sauf atteinte aux personnes ou atteinte grave aux biens (dégradations par moyen dangereux pour les personnes, de bâtiment, véhicule), il n’y a pas lieu d’intervenir dans les quartiers à forte concentration de population suivant le ramadan, pour relever un tapage, contrôler un groupement de personnes rassemblées après le coucher de soleil pour s’alimenter ».
Si le fonctionnaire qui a donné cette consigne a fait l’objet d’un démenti par le patron de la Police nationale, est-ce parce qu’il l’a donné ou bien plutôt parce qu’il l’a écrit dans un mail repris par la presse ?…
Au regard des articles qui lui ont été consacrés, la consigne du chef d’état-major de la Direction de la sécurité publique du Calvados n’a fait l’objet que d’une couverture très ponctuelle, bien que celle-ci soit en tous points scandaleuse et qu’elle s’inscrive dans la suite d’autres consignes tout aussi scandaleuses.
Alors que les preuves s’accumulent sur la partition du territoire, Le Point, France 3, le Huffington Post, L’Obs et d’autres n’en ont pas fait un sujet d’envergure nationale et surtout plus général. Pour ces médias, la thèse du patron de la Police selon laquelle il s’agit dans le Calvados d’une initiative locale malheureuse n’est pas remise en cause.
Tous les messages invitant les forces de l’ordre à appliquer un traitement différencié en fonction des populations auraient pourtant mérité de faire l’objet d’une véritable enquête. Au lieu de cela, hormis dans de rares médias, aucun recoupement n’a été fait sur ces indices concordants attestant une véritable partition du territoire.
On dit souvent que les changements dans la société précèdent le changement de la loi. Les signaux d’une partition du territoire, y compris dans l’application de la loi, commencent à s’accumuler ces derniers temps. Cette dernière affaire nous montre qu’il ne faut pas compter sur les médias de grand chemin pour jouer un rôle de vigie et encore moins de lanceur d’alerte.