Un sujet risque de connaître un intérêt croissant en cette période de pandémie du coronavirus : le survivalisme. Le survivalisme n’a pas bonne presse. Le « survivaliste » est souvent présenté comme un barbouze en treillis ouvrant des canettes de bière avec les dents en attendant l’apocalypse. Certains médias de grand chemin contribuent pour beaucoup à cette image caricaturale. Pourtant, en regardant de près et avec un peu d’humilité, des enseignements positifs du survivalisme ne peuvent-ils pas être tirés ? Si les médias de grand chemin nous le permettent, c’est parfois bien involontairement.
La pandémie sur Netflix
La pandémie que nous connaissons devrait inciter à l’humilité. Il suffit de voir la série « Pandémie » sur Netflix pour constater que si la conscience des enjeux d’une pandémie était bien présente avant qu’elle ne se déclenche, de nombreux gouvernements sont totalement désarmés face au coronavirus.
Manque de masques, manque de tests, manque d’appareils respiratoires, manque de produits d’hygiène, de nombreux pays sont obligés d’appliquer la vieille quarantaine face à la pénurie de moyens et à la saturation des hôpitaux. Qu’adviendra-t-il si cette quarantaine se prolonge et que la pandémie continue à se développer ? Nul ne le sait. Un vaccin est annoncé dans quelques mois. Et d’ici là, il faudra, dans tous les sens du terme, tenir tant individuellement que collectivement. Le décompte macabre quotidien continuera pendant une durée plus ou moins longue, en l’attente d’une décrue du nombre de morts. Il faudra bien prévoir une sortie d’un confinement qui a déjà mis une partie de l’économie à terre.
Au niveau individuel, c’est en certains endroits déjà le chacun pour soi, avec des scènes de bousculades devant des magasins alimentaires avant l’entrée en vigueur du confinement. Dans certains quartiers, un traitement différencié s’applique, des sauvageons bravent sans être inquiétés le confinement et mettent toute la société en danger. Une illustration des limites des mesures de prévention collectives.
La « guerre » annoncée par le Président Macron, a déjà ses déserteurs et même ses bras cassés aux plus hauts postes. Dans ces conditions, la démarche individuelle du survivalisme peut-elle être écartée d’un revers de main et caricaturée, comme le font certains médias ? Nous vous donnons quelques éléments à mettre au débat.
Le survivalisme
Le survivalisme est un courant apparu essentiellement aux États-Unis dans les années 1960. La dégradation de la situation économique a amené des américains à envisager des scenarii « catastrophe », comme une grave crise économique. La menace atomique et les tensions entre le bloc soviétique et les pays occidentaux ont également contribué à développer ce courant, avec la construction d’abris antiatomiques chez des particuliers. Dans tous les cas, et face à différentes menaces (nucléaire, bactériologique, chimique, virale), il s’agit de se préparer à des conditions extrêmes pour assurer sa survie. Depuis quelques années, le survivalisme connait un regain de popularité en France comme ailleurs. La préoccupation pour l’environnement et les prévisions de réchauffement climatique n’y sont pas étrangères.
Les partisans du survivalisme sont souvent raillés dans les médias de grand chemin. Ils oublient souvent que les survivalistes ne constituent pas un bloc homogène. Chaque survivaliste a sa conception du survivalisme, même si l’organisation de certains d’entre eux en associations contribue à l’émergence de courants. Libération a consacré en mars 2018 à l’occasion du salon du survivalisme qui a eu lieu à Paris un article aux différents profils des survivalistes. On peut y constater que ces profils sont variés, de l’adepte occasionnel du stage dans la nature à celui qui se prépare à une grave crise pandémique…
Les médias survivalistes
Le suisse Piero San Giorgio est une figure marquante du survivalisme. Auteur de plusieurs livres, l’ouvrage intitulé Survivre aux événements nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques comporte un passage consacré aux épidémies virales et comment mieux y faire face. Sur son site internet, plusieurs rubriques correspondent aux différentes activités de l’auteur : romans, articles de presse, consulting, entrainement. Lors d’une émission sur TV Libertés, il évoquait en 2016 (7e minute) la possibilité de l’apparition d’un virus « particulièrement virulent et mortel (…) avec des effets en chaîne ». Quatre ans avant la pandémie actuelle, il appelait à se préparer, notamment pour éviter de devoir aller dans un hôpital saturé. Ce qui est déjà la situation dans l’est de la France et en Ile-de-France.
Dans la presse consacrée à ce thème, on peut mentionner notamment le magazine francophone Survival Mag publié à plusieurs milliers d’exemplaires. Il est consacré à la survie en milieu hostile et plus largement à l’outdoor, aux activités en extérieur.
De nombreux blogs sont dédiés au survivalisme. Parmi ceux-ci, le site Le survivaliste se présente comme visant à « sensibiliser les gens aux notions de prévoyance, de résilience et d’autonomie et dès lors de minimiser la panique et la surenchère que provoque, par nature, une situation sur la fabrique sociale ». Plusieurs articles sur la conduite à tenir en cas de situation extrême y sont présents.
Les sites internet consacrés au survivalisme sont également nombreux. Ils ont une vocation qui peut être informative et/ou commerciale, et proposent parfois des stages de survie, du matériel de survie, à l’image de survivreauchaos.blogspot.com, ce qui est un indice de la vitalité de ce courant.
Plusieurs vidéos à vocation « survivaliste » sont en ligne sur YouTube. Elles vont de la sensibilisation à la formation à différentes techniques permettant de s’adapter à une environnement inhabituel. Là aussi, c’est l’auberge espagnole, et caractériser le survivalisme à partir d’un ou de quelques-uns de ses partisans actifs sur le web est un raccourci énorme. France inter a consacré en mars 2018 un reportage aux différentes chaînes YouTube dédiées à la survie en cas de catastrophe. La variété des chaînes et la préoccupation environnementale de certains survivalistes ne sont pas passées sous silence.
Le survivalisme dans les médias
Si un animateur veut amuser la galerie, il invite un survivaliste. Il suffit de voir Cyril Hanouna interviewer le 27 février sur C8 Bernard, un survivaliste, pour constater que c’est le buzz qui est recherché avant tout. Aucun intervenant n’arrive à finir une phrase lors de l’émission, sauf Cyril Hanouna. Bien sûr, il était important d’avoir dans la bonne humeur au moins un détail croustillant, comme le fait que Bernard a une arme chez lui.
Sur TMC lors de l’émission Quotidien en mars 2019, les animateurs ont toujours des difficultés à se départir d’un ton moqueur et ricanant. « Chaouch express » commence par une introduction d’un reportage au salon du survivalisme tout en nuances : « Ça peut faire flippé ou barré, ça dépend pour qui ». Suivi de l’inévitable ricanement et d’un reportage qui commence par un « délire » américain avec un bunker de luxe. Mais faut-il s’attendre à autre chose avec Barthès ? C’est l’émission de l’après boulot, on se détend en prenant l’apéro avant de passer à table et on passe à autre chose.
D’autres médias présentent une vision moins caricaturale des choses. Parmi ceux-ci, le pure player Arrêts sur images a essayé en aout 2018 de sortir de ces ornières, en présentant un reportage qui échappe aux raccourcis. Les nombreux reportages comme ceux de France 3, Vincent Lapierre, Le Parisien, etc., témoignent de l’engouement croissant pour le survivalisme.
Parano ou prévoyant ?
Arte a consacré en juin 2018 un reportage à des survivalistes en Allemagne. S’il était difficile à la chaine publique franco-allemande de ne pas tourner en dérision la crainte d’un survivaliste d’attentats islamistes commis par des migrants, un scenario qui s’est pourtant réalisé en 2015, mais la mémoire du journaliste est courte, quelques passages du reportage sont riches d’enseignements. On suit ainsi le responsable de la principale association allemande de survivalisme à son domicile. Il nous présente son « stock » de sécurité constitué bien avant l’épidémie du coronavirus. Il nous montre son stock de masques FFP3 (ça ne vous dit rien ?) pour se protéger d’une contamination virale. Puis il passe à ses réserves alimentaires. Son objectif est d’éviter d’avoir à se précipiter dans un commerce alimentaire en début de crise et de s’exposer à des risques. Les scènes de cohue dans certains supermarchés les 16 et 17 mars, où certains de nos concitoyens ont probablement contracté le coronavirus, sont encore dans toutes les mémoires… Parano ou prévoyant, le survivaliste ?
Puis c’est un écrivain à succès qui évoque les conséquences d’une panne durable d’électricité. Ses propos incitent à la réflexion : on ne serait plus dans cette situation en semi réclusion comme actuellement, mais dans un autre stade bien plus aigu de crise. Y sommes-nous prêts ?
Dans un article du mensuel Sciences humaines en juin 2018 consacré à ce courant, le journaliste écrivait que les différentes productions imaginaires (films d’anticipation, jeux vidéo, etc.), étaient « le seul stock de connaissances dont (les survivalistes) puissent se servir pour se représenter l’événement auquel ils se préparent ». La situation actuelle nous montre que les scenarii catastrophe les plus improbables sont possibles. Elle nous montre aussi la fragilité de notre société libérale libertaire avancée, pour reprendre les termes d’un ancien président de la République. L’épisode pandémique que nous connaissons pourrait bien marquer un essor considérable de ce courant, qui nous apprend à plus compter sur nous-mêmes et moins sur un État omniprésent mais dépassé par les événements, peu réactif et très préoccupé par la mise en scène martiale de son image. De nombreux médias ne s’y trompent pas en consacrant plusieurs articles au nouvel essor du survivalisme depuis le début de la pandémie du coronavirus. Ce n’est peut-être qu’un début…