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Conflit russo-ukrainien : un regard italien

22 mars 2022

Temps de lecture : 9 minutes
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Conflit russo-ukrainien : un regard italien

Temps de lecture : 9 minutes

Au-delà de l’invasion de l’Ukraine, nous avons déjà exprimé par deux fois (ici et ) notre volonté de prendre de la hauteur devant la guerre de l’information américano-russe. Avec la même idée de prendre de la distance, nous publions en tribune libre l’extrait d’un texte de Franco Cardini, universitaire italien, paru le 16 mars 2022 sur le site ariannaeditrice.it. Nous avions publié le 8 mars une première tribune du même auteur. Certains sous-titres sont de notre rédaction.

La crise russo-euro-OTAN en cours

J’ex­prime quelques posi­tions, dans un ordre sys­té­ma­tique (du moins dans mes inten­tions) con­cer­nant la guerre en cours entre la Russie et l’OTAN, avec pour théâtre prin­ci­pal au moins pro­vi­soire, mal­heureuse­ment pour les Ukrainiens, le ter­ri­toire ukrainien.

Refonte de l’ordre mondial

1. La guerre actuelle est un épisode (pour l’in­stant le dernier chronologique­ment par­lant) d’une phase de « refonte de l’or­dre mon­di­al » com­mencée avec le début de l’ad­min­is­tra­tion Biden aux USA et car­ac­térisée par trois aspects saillants :

a) la reprise en force, avec le binôme Biden-Har­ris, de la poli­tique tra­di­tion­nelle du Par­ti démoc­rate améri­cain, qui con­siste à croire au « des­tin man­i­feste » de la nation améri­caine cen­tré sur le principe que l’in­térêt améri­cain et la lib­erté-droit au bon­heur de l’hu­man­ité coïncide;

b) la prise de con­science du déclin objec­tif de l’hégé­monie mon­di­ale de la super­puis­sance améri­caine après le « pic » du début des années 1990 (les années de la « prophétie » mal­adroite de Fran­cis Fukuyama) ;

c) la con­science pro­fonde de la néces­sité de « dis­traire » l’opin­ion publique améri­caine (et mon­di­ale) du spec­ta­cle du déclin améri­cain, de l’ap­pau­vrisse­ment socio-économique et cul­turel du peu­ple améri­cain à l’énor­mité insouten­able de la dette publique et extérieure, etc. Les États-Unis et le monde regar­dent ailleurs, vers le scé­nario mon­di­al ; et cela à tout prix, même à celui d’une guerre. En fait, ils en ont choisi une : celle avec la Russie, à moins que le coup d’É­tat de la « révo­lu­tion orange » y soit aus­si pos­si­ble, peut-être provo­qué par les oli­gar­ques qui actuelle­ment sont peut-être plus ou moins pou­tiniens, mais qui sont tou­jours et en tout cas, comme pré­cisé­ment des « Oli­gar­ques » (donc un lob­by plouto­cra­tique, busi­ness et entre­pre­neur­ial), spec­ta­teurs sen­si­bles et en par­tie co-stars du tur­bo­cap­i­tal­isme qui gou­verne ou en tout cas dirige la planète.

Les prémisses de 2022 en 2014

2. La guerre actuelle n’a pas com­mencé fin févri­er 2022 avec l’a­gres­sion russe con­tre l’Ukraine, mais en 2014 avec le coup d’É­tat qui a ren­ver­sé le gou­verne­ment légitime de Ianoukovitch à Kiev (comme cela s’é­tait pro­duit en 2003 avec la « révo­lu­tion des ros­es » en Géorgie et avec celle « orange » de 2004–2005 en Ukraine) et entame une pre­mière ten­ta­tive, avec le gou­verne­ment Porochenko, de pass­er de la par­tie formelle de l’U­nion Européenne, c’est-à-dire essen­tielle­ment de l’OTAN ; avec des épisodes tris­te­ment célèbres, comme le mas­sacre de citoyens russ­es sans défense à Odessa par les mil­ices extrémistes ukraini­ennes (2.5.2014)

Minsk, un protocole ignoré

3. Le “Pro­to­cole de Min­sk” con­venu le 5 sep­tem­bre 2014 entre la Russie, l’Ukraine et la com­mu­nauté rus­so­phone du Don­bass sous les aus­pices de l’OSCE avait con­venu d’une large autonomie pour le Don­bass lui-même ; dans le même temps, l’OTAN s’é­tait engagée (elle l’a fait en 1991) à ne pas rechercher de nou­veaux pro­grès vers l’Est.

4. Le « pro­to­cole de Min­sk » a été ignoré à la fois par l’OTAN et, surtout, par le gou­verne­ment de Želen­sky; ce dernier est passé du pas­sage de l’Eu­rope à l’UE (c’est-à-dire essen­tielle­ment à l’OTAN, avec l’a­vancée vers l’est de sa ligne de mis­siles « défen­sive ») tan­dis que le Le gou­verne­ment ukrainien a inten­si­fié la répres­sion con­tre les groupes poli­tiques réputés “pro-russ­es” et les actions mil­i­taires con­tre les com­mu­nautés du Don­bass et le har­cèle­ment des citoyens “non alignés” depuis au moins 2015.

Avertissements ignorés

5. Le gou­verne­ment russe a aver­ti à plusieurs repris­es le gou­verne­ment ukrainien d’ar­rêter la vio­lence et les ter­giver­sa­tions et, en décem­bre 2021, il a offi­cielle­ment trans­mis au gou­verne­ment améri­cain une propo­si­tion d’ac­cord sur la sit­u­a­tion ukraini­enne. Tous les appels sont restés sans réponse et les médias occi­den­taux n’en ont pas parlé.

6. À ce stade, la Fédéra­tion de Russie ne pou­vait compter que sur les armes pour la pro­tec­tion des deux républiques auto­proclamées du Don­bass ; et il devait le faire dès que pos­si­ble pour précéder toute entrée ukraini­enne dans l’OTAN. D’où le dis­cours télévisé de Pou­tine dans la nuit du 25.2.2022.

L’OTAN en guerre

7. Des choix tels que l’en­voi d’armes à l’Ukraine en temps de con­flit sont formelle­ment des actes de guerre de l’OTAN con­tre la Russie ; seuls la mod­éra­tion et le sens des respon­s­abil­ités du gou­verne­ment de la Fédéra­tion de Russie peu­vent nous sauver d’une réponse légitime qui, à ce stade, coïn­ciderait avec une guerre mondiale.

8. Agres­sion d’un État sou­verain ? Très bien : que le tri­bunal de La Haye pour­suive con­tre la Fédéra­tion de Russie. A quand les procès con­tre l’OTAN ? (placé sous le haut com­man­de­ment améri­cain) pour la Ser­bie 1998–9, l’Afghanistan 2001, l’I­rak 2003, la Géorgie 2004–13 (l’in­fâme gou­verne­ment du crim­inel Saak’ashvili), la Libye 2011, la Syrie 2011.

9. Les sanc­tions con­tre la Russie sont payées par la Russie, et aus­si par l’Eu­rope ; les USA et l’OTAN, qui paient très peu, s’en fichent.

Europe et Italie victimes consentantes

10. La vérité ultime, à garder à l’e­sprit, est que ce qui est en cours est une guerre déclenchée par l’OTAN directe­ment con­tre la Russie pour ren­vers­er l’or­dre interne de ce pays et détourn­er l’opin­ion publique améri­caine et mon­di­ale de la ruine dans laque­lle le gou­verne­ment Biden se pré­cip­ite les Etats Unis .; Et indi­recte­ment con­tre l’Eu­rope, asservie par l’OTAN et risquant d’être en pre­mière ligne en cas d’ex­ten­sion du conflit.

11. Mais venons-en à l’Eu­rope et à l’I­tal­ie, vraisem­blable­ment vic­times du con­flit et apparem­ment ravies de l’ex­ac­er­ber. L’en­voi d’armes à l’Ukraine en temps de con­flit représente formelle­ment un acte de guerre de l’OTAN con­tre la Russie. De 1914 à 1917, l’Amérique a envoyé une aide à l’An­gleterre sous pré­texte de la loi sur les loy­ers et les prêts : le Kaiser a coulé les con­vois bri­tan­niques avec des sous-marins. À la fin, cepen­dant, la guerre a égale­ment éclaté : essayons de ne pas en arriv­er là. Quant aux sanc­tions con­tre la Russie : la Russie paie, mais l’Eu­rope paie aus­si tan­dis que les États-Unis et l’OTAN, qui paient très peu, s’en fichent. Inquié­tante cepen­dant, l’ac­tu­al­ité du 15 u.s. des États-Unis : si Želen­sky com­mence à mon­tr­er des signes d’es­souf­fle­ment (ce qui serait plutôt raisonnable), des « fau­cons » poussent autour de lui qui refusent toute forme de négo­ci­a­tion et sem­blent trou­ver un ver­sant inat­ten­du dans les cer­cles proches du prési­dent Biden, qui en rai­son à son indé­ci­sion chronique est mis en dif­fi­culté. Même l’in­ef­fa­ble Mike Pom­peo, le “super fau­con”, égale­ment pour la ligne dure, entre dans le débat avec une jambe droite. On se demande si tout cela n’est pas par hasard un symp­tôme de quelque chose qui bout dans la mar­mite. L’his­toire est imprévis­i­ble. Si dans les prochaines heures ou dans les prochains jours quelque chose d’i­nat­ten­du se pro­dui­sait, cela remet­tait tout en ques­tion, ce ne serait pas sur­prenant. Peut-être quelque chose de grave à attribuer immé­di­ate­ment et facile­ment aux Russ­es — “qu’avons-nous besoin de témoins ?” -, une sorte de nou­veau “feu du Reich­stag”. Que sig­ni­fie l’insin­u­a­tion vague mais têtue, cir­cu­lant dans de nom­breux milieux jour­nal­is­tiques et même mil­i­taires, que les Russ­es pour­raient utilis­er des « armes chim­iques », pos­si­bil­ité objec­tive­ment éloignée dans ce type de conflit ?

Combattre la Russie jusqu’au dernier Européen ?

12. La nou­velle de ce matin 16.3.2022 con­cer­nant la présence prochaine du prési­dent Biden à Brux­elles pour le prochain som­met de l’OTAN sus­cite des inquié­tudes. L’hési­tant Biden sent de plus en plus sur lui se pro­fil­er l’om­bre de Mme Kamala Har­ris et donc de Mme Clin­ton, patronne de tous les “fau­cons améri­cains” ten­ants du “Let’s arm-and-go” et bien décidée à com­bat­tre la Russie jusqu’au bout.

Des Améri­cains « par­ti­sans du « Let’s arm-and-go » et bien déter­minés à com­bat­tre la Russie jusqu’au dernier Ukrainien, peut-être jusqu’au dernier Européen. Com­bi­en de temps les bonnes inten­tions de Želen­s­ki tien­dront-elles quant à la néces­sité de rester en dehors de l’OTAN ? Mon hum­ble et sourde con­vic­tion serait que Pou­tine ferait bien de s’y com­plaire plutôt que de les déclar­er (car elles le sont d’ailleurs) insuff­isantes : une telle posi­tion risque de rep­longer le prési­dent ukrainien dans la gueule de ceux qui (en Ukraine, en Europe, surtout aux USA) veu­lent dur­cir l’embargo anti-russe et peut-être même la guerre, per­suadés qu’ils paieront peu pour le pre­mier en per­son­ne et qu’ils gag­neront aus­si une guerre “élargie” par exem­ple cor­po­ra alterius (alias Europe­o­rum)… Et, on se demande, de com­bi­en grossi, jusqu’à quel point ? Dans le pire des cas, les mis­siles russ­es tomberont à peine sur la Nou­velle-Angleterre ou la Cal­i­fornie, mais presque immé­di­ate­ment sur la Sicile, la Vénétie et la Toscane, le siège prin­ci­pal de l’US-OTAN en Ital­ie et la ligne avancée du déploiement “occi­den­tal”.

Fran­co Cardini
Source :
ariannaeditrice.it

Notes

1. Je con­seille la lec­ture de: Grand Atlas du monde, dir. p. F. Tétart, Paris 2013; La gèopoli­tique mon­di­ale en 40 cartes, Paris 2022; Le bilan du monde – “Le Monde”, Hors Série, éd 2002, Paris 2022: La Rus­sia cam­bia il mon­do, “Limes”, 2, 2002.
2. O.Boyd-Barrett, West­ern Main­stream Media and the Ukraine Cri­sis, Rout­ledge 2016.
3. Cfr.rapporto OSCE 15.4.2016, PC.SHDM.NGO/17/16.
4. Ma cfr. “Il Man­i­festo”, 15.12.2021.
5. Cfr. M. D. Nazem­roaya, La glob­al­iz­zazione del­la NATO, Bologna 2014; D. Ganser, Breve sto­ria dell’impero amer­i­cano, Roma 2021.
6. Cfr. M. Ful­gen­zi, La guer­ra delle sanzioni, Rim­i­ni 2021.
7. Cfr. A. Bedi­ni, L’Italia “occu­pa­ta”. La sovran­ità mil­itare ital­iana e le basi USA-NATO; Rim­i­ni 2013

Tra­duc­tion : CC

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